Par Bill Bonner (*)
"La crise de l’Europe… est pire que celle des Etats-Unis", écrit Henry Blodget. Il faut le reconnaître, les Américains sont rusés. Ils sont comme quelqu’un qui déclencherait une bagarre dans un bar bondé… avant de filer par la porte de derrière.
La rixe dure depuis 20 mois. Aux Etats-Unis, les prix des actions ont été réduits de moitié… mais regardez les autres ! L’Islande — ce hedge fund de l’Atlantique Nord — est quasiment K.O., tous les os brisés. La Chine compte une file de chômeurs longue de 100 millions de personnes. Le Royaume-Uni a plus de dette que les Etats-Unis… et dépend plus encore d’un secteur financier en faillite. La question qui se pose désormais est donc : qui ressortira de cette fête aux gnons avec le plus gros cocard ?
Les faits, rien que les faits : l’Europe de l’Est a emprunté environ 1 700 milliards de dollars, en majeure partie aux banques d’Europe de l’Ouest. Rien que cette année, le pays devrait rembourser 400 milliards de dollars. Renouveler une dette se faisait en un clin d’oeil il y a deux ans ; aujourd’hui, c’est nettement moins facile. 60% des prêts immobiliers polonais sont en francs suisses. Les Polonais ont emprunté en euros et en francs suisses pour tirer parti des taux plus bas. A présent, ils gagnent des zlotys, remboursent des francs suisses et pleurent.
"Puis est arrivée la récession mondiale synchronisée et de profonds déficits courants pour la Pologne — valant trois fois ceux des Etats-Unis en termes de PIB", explique John Mauldin. "Le zloty polonais a été globalement divisé par deux par rapport au franc suisse. Si vous avez un prêt immobilier, cela signifie que les remboursements sur votre maison viennent de doubler. Cette même histoire se répète partout dans la Baltique et en Europe de l’Est".
Les banquiers ne sont que des lemmings à forme humaine ; tout le monde le sait. Les banquiers autrichiens cherchent des falaises escarpées. L’effondrement de CreditAnstalt, en mai 1931, a précipité le secteur bancaire dans le vide, menant à la Grande Dépression. Cette fois-ci, les banques autrichiennes ont prêté l’équivalent de 70% de leur PIB national à l’Europe de l’Est. Si ne serait-ce que 10% de cette somme sont perdus, le système financier autrichien tout entier sera ruiné… et pourrait entraîner toute l’Europe avec lui. Au début des années 30, les économies de France, de Grande-Bretagne et des Etats-Unis se contractaient de 6% environ par an. Au dernier trimestre 2008, l’économie américaine a reculé de près de 7% — et CreditAnstalt ne s’est pas encore produit.
Mais les Américains peuvent nationaliser leurs banques d’un trait de plume et sauver ainsi leur système financier. En Europe, ce n’est pas faisable. "Grandes banques, petits pays", déclare Mauldin. Proportionnellement, un renflouement de ce genre coûterait 14 000 milliards de dollars aux Etats-Unis, estime-t-il. Si bien que lorsque neuf pays d’Europe de l’Est se sont rassemblés pour demander de l’aide, Angela Merkel leur a donné la même réponse que Gerald Ford à la ville de New York lorsqu’elle quémanda un renflouement en 1975 : allez vous faire voir.
Pauvre Polonais. Il a traîné le boulet bolchevique pendant près d’un demi-siècle. Puis lorsqu’il s’est finalement libéré, les capitalistes l’ont arnaqué. Le méritait-il ? Non — simplement, il a le malheur de devoir de l’argent dans une devise qu’il ne peut pas bidouiller.
"La crise renforce la position relative des Etats-Unis", écrit Spengler dans le Asia Times, "et expose des faiblesses bien plus graves chez tous leurs concurrents potentiels. Elle fait de la dette du gouvernement américain l’actif le plus désirable de la planète. Les Etats-Unis méritent peut-être de décliner, mais comme le disait Clint Eastwood dans un tout autre contexte, ‘le mérite n’a rien à y voir’."
Les Américains doivent se sentir en veine. Durant les années de bulle… le reste du monde s’est moqué de leurs habitudes de dépenses, tout en leur offrant une nouvelle part de dessert — à crédit. Plus les Américains dépensaient… plus les dollars s’accumulaient à l’étranger… plus les étrangers prêtaient de dollars aux Etats-Unis en retour… et donc plus les Américains avaient de dollars à dépenser ! Maintenant que les Américains ne dépensent plus, les usines des étrangers sont silencieuses, leurs banques vacillent… et leurs actions chutent. A présent, ils achètent des obligations du Trésor américain à des rendements encore plus bas ! L’indice dollar a grimpé à un sommet de trois ans alors même qu’Obama annonçait un déficit de 1 700 milliards de dollars.
De tous les cash flows de la planète, déclare Spengler, le gouvernement le plus durable au monde, à la tête de la plus grande économie, doit être le plus fiable. Il nous rappelle que prêter aux Etats-Unis dans les années 80 était un bon investissement. A l’époque, le gouvernement américain avait baissé le taux d’imposition marginal de 70 à 40% et généré assez de croissance pour payer les intérêts et stimuler les valeurs des actifs. A présent, cependant, les valeurs des actifs baissent clairement, tandis que le taux marginal est en hausse. Prêter dans les années 80 revenait à prêter à des rendements élevés au début d’une expansion majeure. Aujourd’hui, on parle des taux les plus bas de l’histoire… au début d’une dépression.
Mais plus les choses empirent, mieux ça va pour les gens qui ont provoqué la situation. Non seulement les Américains peuvent sauver leur système bancaire… mais ils peuvent aussi secourir leurs ménages surendettés et effacer leurs dettes. Les Etats-Unis ont financé leur fièvre de dépenses avec l’argent des autres. A présent, ils financent leur cure de désintoxication de la même manière — avec l’argent des autres.
Les prêteurs peuvent être absolument, complètement assurés de retrouver leur argent — avec intérêt, au jour dit. Mais c’est de l’argent dont la valeur est déterminée par le débiteur lui-même.
Si seulement les Polonais pouvaient faire de même !
Meilleures salutations,
Bill Bonner
Pour la Chronique Agora
(*) Bill Bonner est le fondateur et président d’Agora Publishing, maison-mère des Publications Agora aux Etats-Unis. Auteur de la lettre e-mail quotidienne The Daily Reckoning (450 000 lecteurs), il intervient dans La Chronique Agora, directement inspirée du Daily Reckoning. Il est également l’auteur des livres L’inéluctable faillite de l’économie américaine et L’Empire des Dettes.