Alors elle fera juste volte-face !
Pendant que Wall Street se demandait hier soir s’il fallait mettre une majuscule ou une minuscule au début du terme « pivot », la Fed peut tranquillement passer sous silence son programme d’émission de 500 Mds$ – afin de permettre à l’Etat fédéral de régler ses arriérés consécutifs à une adoption tardive du relèvement du plafond de la dette – et s’abstenir d’évoquer les 1 100 à 1 200 Mds$ qu’il va falloir ponctionner sur l’épargne mondiale d’ici la fin de l’année.
Il a suffi pour distraire l’attention des investisseurs de lâcher cette petite formule choc :
« Aucun membre de la Fed n’anticipe de baisse de taux cette année […]. Il est probable que cela ne se produise pas avant ‘plusieurs années’. »
Autrement dit pas avant 18 à 24 mois : comprendre 2025.
Une pause anticipée
Les « dot plots », ou « nuages de points », qui synthétisent les anticipations des membres de la Fed, valident désormais une culmination des taux directeurs à 5,50% cette année – et c’est un minimum – avant une décrue vers 4,25% à fin 2024.
C’est juste 100 points de base de plus que ce que Wall Street anticipait, de façon inébranlable. La conviction était telle que le Nasdaq affiche désormais 36% de rebond depuis début octobre 2022, tandis que l’ETF « technologie/IA » a explosé de 48% dans le même temps. Ce dernier n’est ainsi plus qu’à 1% de son record absolu de janvier 2022, propulsé dans la stratosphère par Nvidia. L’action du groupe rajoutait en effet 5% à ses gains déjà considérables pour atteindre les 430 $, soit un total de 195% de hausse depuis le 1er janvier, et une capitalisation représentant 200 fois les bénéfices et 40 fois le chiffre d’affaires.
Nvidia absorbe tout l’oxygène environnant, asphyxiant 95% des autres composantes du S&P 500, loin devant Tesla avec ses 110% de hausse et sa série historique de 18 séances de hausse sur 21, dont 13 consécutives.
Le Nasdaq voit sa dynamique haussière confortée par la décision de la Fed de marquer une « pause » sans surprise dans ses hausses de taux, assortie de la réaffirmation que la lutte contre l’inflation demeure la « priorité absolue ».
Une formulation qui ne fait plus peur à personne, puisque la hausse des prix à la production aux Etats-Unis s’est établie en mai à 1,1% en données brutes et à 2,8% hors alimentation, énergie et services commerciaux, après des taux annuels de respectivement 2,3% et 3,3% observés au mois d’avril.
Retour à la normale
Tous les fragments « contrariants » du discours de la Fed ont été ostensiblement ignorés ou jugés de pure forme. Y compris l’avertissement de Jerome Powell en conférence de presse, pour qui le prochain comité (de juillet) devrait être « animé ».
Le patron de la Fed confirme que le scénario d’une ou deux hausses de taux supplémentaires (d’où un objectif à 5,50%, voire 5,75%) est toujours sur la table… mais un temps de pause va permettre d’évaluer la situation, afin de ne pas relever le loyer de l’argent au-delà du nécessaire.
Le Fed espère ainsi ramener l’inflation vers l’objectif des 2% en provoquant le minimum de pertes d’emplois.
La résilience dont fait preuve l’économie américaine dépasse les anticipations des économistes de l’institut d’émission. Cependant, un secteur montre des signes de faiblesse. Il s’agit sans surprise de l’immobilier de bureau, qui pâtit d’une transformation profonde et durable du mode de travail des salariés du tertiaire depuis les confinements.
Les mesures ont été particulièrement drastiques en Californie et à New York et le traumatisme qui en a résulté y reste plus persistant qu’ailleurs.
Des pertes importantes vont plomber les ratios de solvabilité des banques créancières des foncières spécialisées dans les bureaux. Ces établissements vont ainsi être demandeurs de refinancement au moment même où la Fed leur reprend des liquidités et aspire toutes celles présentes dans le système financier pour permettre à l’Amérique de tenir son rang face à la Russie, à la Chine et aux BRICS, dont les candidats à l’adhésion sont désormais aussi nombreux que les lettres de l’alphabet.
Alors le choix de la police de caractères afin que le terme « pivot », avec ou sans majuscule, ressorte au premier regard d’un communiqué de la Fed reste un débat qui paraît de plus en plus déconnecté des enjeux des prochains mois.