** Non, ce n’était pas un phénomène de déjà-vu ni une version boursière du film Un jour sans fin : la séance d’hier a été un véritable bis de celle de mercredi — les applaudissements en moins, la crispation en plus. Elle a en effet clôturé en tout juste négatif de 0,05% (après -0,04% la veille) malgré des gains résiduels au cours du dernier quart d’heure et des volumes d’échanges parfaitement identiques (2,8 milliards d’euros).
Les opérateurs n’ont pas pu se consolider avec une volatilité de tous les diables — favorisant des allers-retours à couper le souffle — puisque tout s’est déroulé comme au ralenti, avec un écart limité à 1,5% entre les extrêmes du jour (contre 2% la veille).
La couleur du jour a été une nouvelle fois le rouge. N’oubliez pas, c’est la semaine des ours et même si les variations sont anecdotiques, elles doivent être précédées d’un petit signe "moins".
La consolidation l’a emporté en Europe au cours des toutes dernières minutes (-0,17% pour l’Euro Stoxx 50) et pour la même raison que la veille, c’est-à-dire le basculement à la baisse des indices américains entre 17h15 et 17h30.
** C’est là que le scénario initial déjà vu a connu une évolution qui va combler d’aise les plantigrades qui viennent faire leurs griffes à Wall Street. L’indice Dow Jones a en effet perforé comme un pistolet à clou le plancher annuel des 7 552 points à plusieurs reprises tout au long de la séance, avant de se fixer définitivement à 7 466 points, en repli de -1,2%.
Le Dow Jones s’est même offert une petite coquetterie : inscrire à une demi-heure de la clôture un plus bas en séance de 7 447 points, légèrement inférieur au plancher du 21 novembre 2008 (7 449 points). Cela signifie qu’il a fait une incursion dans une zone de cours qui n’avait plus été testée depuis le 12 mars 2003.
Et encore, à l’époque, cela n’avait été l’affaire que de quelques minutes puisque le Dow avait clôturé — et nous ne croyons pas au hasard, en tout cas pas les jours impairs — à… mais oui, vous l’avez sur le bout de la langue, 7 552 points. Niveau qui est au point près le score final du 21 novembre dernier et des 17 et 18 février 2009.
Le Dow Jones cumule désormais -10,1% en très exactement huit séances. Cela fait une bonne moyenne quotidienne mais les deux tiers de la baisse se sont matérialisés les 10 et 17 février derniers comme nous l’avions souligné hier (+ lien). Le score s’établit à -4,9% en trois séances pour la semaine en cours ; cependant, l’indice renferme en son sein de fortes disparités sectorielles… et la principale d’entre elles concerne le secteur bancaire.
Bank of America et Citigroup se sont effondrés de 14%, inscrivant au passage de nouveaux plus bas historiques.
** La question qui est désormais sur toutes les lèvres est la suivante : si une mise en faillite de type Lehman constituerait un désastre absolu, si la mise en oeuvre de la bad bank a été stoppée, si le Congrès et l’establishment de Wall Street sont réfractaires au concept même de nationalisation, alors quelle est la solution ?
Faire jouer le fonds de garantie de la FDIC ? Ses réserves se sont évaporées de 90% ces six derniers mois. Elles n’existent peut-être même déjà plus au moment où nous rédigeons ces lignes, et pour cause ! Cet organisme est censé protéger les avoirs des épargnants répartis entre 8 300 établissements de crédit, dont un bon millier pourraient faire faillite d’ici 18 à 24 mois. Le roi de la sécurité bancaire est nu !
Il ne reste plus qu’à s’embarquer avec un stock d’aspirine et son manuel de survie dans le premier vol en partance pour la Tasmanie, une destination diablement judicieuse pour qui souhaiterait également échapper aux investigations de la SEC — nous évoquerons l’affaire Allen Stanford dans un prochain chapitre !
Afin de mesurer à quel point l’industrie du crédit est considérée comme une véritable malédiction, le conglomérat géant General Electric (-7,4%) a vu son cours chuter brièvement sous les 10 $ à quelques minutes de la clôture jeudi soir, affichant son plus faible niveau depuis la fin de l’année…1995. Le titre a perdu exactement 71% de sa valeur en un an puisqu’il valait encore 35 $ le 19 février 2008 ; la perte totale depuis le zénith des 42 $ d’octobre 2007 est de très exactement -75%, ce qui est sans précédent depuis 1973.
** Nous pouvons affirmer sans grand risque que cette journée de vendredi a toutes les chances de s’avérer — d’une manière ou d’une autre — décisive pour les Bourses mondiales. Les derniers optimistes impénitents soulignent que le Dow Jones est un indice obsolète, que son mode de calcul et sa composition le rendent exagérément vulnérable aux conséquences de la crise actuelle. Une chute de 15% depuis le 1er janvier, quand le repli du Nasdaq 100 se limite à 3,5%, n’en constitue-t-il pas la preuve flagrante ?
Par ailleurs, le S&P500 dispose encore d’une marge de sécurité de 3,5% avant d’enfoncer ses planchers du 21 novembre 2008 dernier et d’effectuer le grand plongeon en direction des 630 points — le plancher du printemps 1996 et de la mi-juillet 1996. Sans vouloir nous montrer exagérément alarmistes, le S&P, qui a dévissé de 1,2% mercredi soir, vient de retracer à deux points d’indice près son plancher du 9 octobre 2002.
** Les ours se pourlèchent déjà les babines en se figurant le festin baissier qui les attend à Wall Street au cours des prochaines semaines alors que Goldilocks s’enfuit en criant, abandonnant ses chaussures vernies et son petit panier en osier sur les marches du New York Stock Exchange !
La Bourse, les ventes à découvert, les opérations commando contre les valeurs bancaires, ce n’est pas fait pour les frêles jeunes filles un peu naïves qui pratiquent le stock picking en se fiant à de belles études financières imprimées sur papier glacé !
Faites place aux gros bras et aux bulldozers de 1 000 chevaux : le système financier américain est en ruine, il est temps d’évacuer les gravats.
La Fed a tiré ses dernières cartouches, l’effet Obama ne s’étend pas au-delà de la couverture des magasines et Timothy Geithner s’est fait moquer en présentant sa maquette d’un plan de sauvetage des banques, sans préciser s’il s’agissait de l’ébauche d’une fourgonnette blindée ou d’un hélicoptère, ni même s’il avait une idée du montant des fonds qu’ils pourraient emporter.
** Oui, le moment est bien choisi de passer un bon coup de lame sur les marchés financiers. Ils restent complètement désorientés après la publication d’un indice PPI (prix à la production) qui grimpe de 0,8% (+0,4% hors énergie, laquelle grimpe de 3,7%) tandis l’indice de la Fed de Philadelphie est en chute libre de 17 points (à -41,3 points) et atteint son pire niveau depuis octobre 1990.
Alors que la production industrielle chute de 10% en rythme annuel, alors que les mises en chantier de logements neufs s’effondrent de 56% en 12 mois, les investisseurs seraient bien inspirés de négliger délibérément les indicateurs avancés d’activité de la Fed, qui se redressent de 0,4% (au lieu d’une stagnation anticipée), ainsi que la stabilisation du chômage à 627 000 en données hebdomadaires. Le nombre total de chômeurs indemnisés progresse à pratiquement cinq millions (4 987 000).
** Assez curieusement, le pétrin dans le quel s’est fourré le Dow Jones hier n’a pas profité aux T-Bonds dont le rendement remonte de 2,64% à 2,82% en 48 heures. Encore plus curieusement, le pétrole a littéralement explosé de 14% à la hausse en cours de séance sur le NYMEX, passant de 37,2 $ à 42,9 $ le baril.
L’explication avancée par les bears coule de source. Face au second épisode de krach qui se dessine, tout vaut mieux que les actions… et même les T-Bonds. En effet, nul ne doute que la réponse du Trésor US et de la Fed va consister à inonder les marchés de liquidités surgies ex nihilo, ce qui va alourdir d’autant la dette des Etats-Unis.
** Pour achever de discréditer totalement le monde de la finance dérégulée et des chasseurs de paradis fiscaux, la SEC semble soudain sortie du coma. Elle se met à détecter bien des dossiers suspects dans le secteur de la gestion d’actifs, comme la garantie de "taux d’intérêt improbables par leur ampleur et non justifiés par des méthodes de placement vérifiables".
Elle ne croit plus aux "stratégies d’investissement exceptionnelles" comme celles du milliardaire Allen Stanford. Il est accusé d’une fraude portant sur huit milliards de dollars adossée à des produits financiers de type certificats de dépôts (probablement fictifs). Ils auraient été placés auprès de clients fortunés dans pas moins de 140 pays. C’est l’ultra-gauche anticapitaliste qui doit se frotter les mains : pour une fois, "les riches vont payer".
Comment le gendarme américain de la Bourse aurait-il pu se montrer soupçonneux avant que le bruit de l’explosion du scandale Madoff ne le réveille ? Quoi de plus normal que d’offrir des rendements deux fois supérieurs à la moyenne lorsqu’un groupe financier s’implante dans un paradis fiscal tel qu’Antigua aux Antilles (comme le Stanford Financial Group) et dissémine ses filiales des îles Caïman aux pays d’Amérique Latine — ceux n’ayant aucun accord de coopération avec le fisc américain comme le Pérou, l’Equateur ou le Venezuela ?
Afin d’assurer le meilleur rendement aux fonds qui lui étaient confiés, Allen Stanford limitait au maximum les frais d’audit des comptes de sa nébuleuse de sociétés off shore en faisant appel à un expert comptable londonien dont les locaux étaient moins vastes et moins bien équipés en télécommunication que l’ascenseur menant au penthouse d’un Bernard Madoff !
Aux dernières nouvelles, Allen Standford aurait malencontreusement raté le dernier vol pour la Tasmanie que nous évoquions dans un précédent chapitre.
L’escroc présumé — nous ne sommes pas du genre à condamner par avance un financier qui fait travailler des comptables fantômes sur le territoire britannique, il n’y a pas de raisons que l’Ecosse dispose du monopole des entités paranormales — aurait été localisé par le FBI à Fredericksburg, dans l’Etat de Virginie. Pas très exotique, comme planque !
Mais rassurez-vous, pas plus que Bernard Madoff n’a été jeté sans ménagement en prison lors de la découverte de ses forfaits, M. Stanford n’écope pas d’un mandat d’arrêt international en bonne et due forme. En effet, les poursuites relèvent d’une procédure civile et non pénale. Ce n’est que de l’argent après tout… Et puis quoi, le milliardaire texan n’a signé aucun chèque sans provision et n’a commis de fraude caractérisée comme l’impression de fausse monnaie, activité que la Fed se réserve jalousement.
Philippe Béchade,
Paris