La panne majeure du CME a mis en lumière la dépendance croissante des marchés à une infrastructure centralisée, où cryptomonnaies et produits dérivés s’entrecroisent.
Ce vendredi 28 novembre à 3 heures GMT, 90 % des échanges mondiaux sur les produits dérivés ont brusquement cessé sur le CME, et la panne – déjà qualifiée d’historique – a duré presque une douzaine d’heures.
La quasi-totalité des marchés à terme de la planète ne pouvait plus fonctionner, faute de contrepartie côté américain (Chicago Mercantile Exchange).
C’est la rupture d’une canalisation assurant le refroidissement du datacenter baptisé « CyrusOne », implanté dans l’Illinois (tout près de Chicago donc), qui a entraîné une défaillance des systèmes de refroidissement, provoquant la surchauffe et la mise hors tension de certains serveurs.
Cela a provoqué une réaction en chaîne de mise à l’arrêt des échanges, affectant notamment les systèmes traitant l’argent métal (qui s’envolera de 6 % entre 12 h et 19 h le 28/11), mais aussi les obligations du Trésor, le pétrole brut, les futures de l’indice S&P 500… puis les cryptos.
D’ailleurs, 147 000 options Bitcoin d’une valeur de 13,4 Mds$ ont expiré pendant la suspension des transactions, alors que les contrats à terme sur cryptomonnaies du CME ne pouvaient plus être arbitrés.
A l’heure où vous découvrez peut-être l’existence de cette méga-panne de « CyrusOne », nous ne savons pas comment sera résolu ce problème de non-expiration des options sur le Bitcoin.
Mais les détenteurs de Bitcoin, au travers d’ETF et d’options, viennent de découvrir qu’il n’existe pas de réelle liberté ni de réelle sécurité hors achat en direct et stockage sur un « portefeuille froid » (non connecté), de type « Ledger ».
La facilité d’accès que le « listage » des cryptos sur des plateformes institutionnelles représente est un piège : une fois qu’un actif est structuré, Wall Street contrôle les flux, la liquidité et l’effet de levier, sans avoir besoin de détenir les véritables clés et le code source.
La puissance de calcul se déplace peu à peu vers les entreprises cotées en Bourse, ce qui signifie que la « puissance de hachage » (le fameux « sha-256 ») devient un actif des marchés financiers.
De puissants intermédiaires contrôlent désormais d’énormes réserves de BTC, ce qui leur donne une influence sur le cycle sans jamais toucher au Bitcoin brut, une mécanique déjà parfaitement rodée depuis des décennies avec les contrats à terme sur le pétrole, le cuivre, l’argent…
Le but ultime des géants de l’intermédiation est de contrôler la plomberie, pas le protocole.
Le Bitcoin reste bien décentralisé, mais il baigne dans un halo de dérivés lentement construit par les mêmes qui contrôlent toutes les autres classes d’actifs, sous la bienveillante supervision de la SEC.
Et pour verrouiller définitivement la privatisation du BTC, en cas de vente, l’argent bascule dans l’univers Tether.
Et voilà l’étape essentielle : les flux aboutissent dans une entreprise dont personne n’a jamais vraiment compris comment fonctionne son business, et encore moins les garanties offertes (la promesse de « 1 $ détenu pour chaque stablecoin de 1 $ émis » a-t-elle jamais été tenue ?), car personne n’a jamais pu aller le vérifier : Tether ne relève pas de la juridiction américaine mais d’un paradis fiscal, puisqu’elle est basée aux îles Vierges !
Cela n’empêche pas Tether de continuer à se développer : l’entreprise détient désormais 181 Mds$ de réserves. Et Tether détient plus d’or que l’Australie. Et dégage plus de profits que Goldman Sachs. Tether a réalisé un chiffre d’affaires de 10 Mds$ en 2025 avec moins de 100 employés.
Ils sont le 17ᵉ plus important détenteur de dette souveraine américaine au monde. Ils ont accumulé 116 tonnes d’or physique, une centaine de milliards de dollars de T-Bonds, et ils détiennent 100 000 bitcoins. Ils justifient ces avoirs par leur engagement à sécuriser les fonds qu’ils gèrent et à assurer la stabilité des marchés, notamment du Bitcoin.
Depuis juillet 2025, leur activité aux Etats-Unis a été légalement interdite, ce qui n’est pas grave puisque leurs fonds ont toujours été détenus hors du sol US…
La loi GENIUS, qui les exclut des US, a en fait créé deux systèmes monétaires : l’un réglementé, limité aux bons du Trésor et aux dépôts de la FDIC, sous la supervision de Washington ; l’autre offshore, détenant de l’or et du Bitcoin aux côtés de la dette souveraine US, sans aucune supervision.
La société de l’ancienne secrétaire au Commerce US gère leur portefeuille du Trésor d’une valeur de 100 Mds$. Malgré cela, une agence de notation vient de dégrader la note de Tether à « non investissable », car la dette de 14,6 Mds$ qui devait être remboursée depuis 2022 ne l’a pas été… mais personne ne peut les contraindre à le faire.
Au fil des ans, Tether a muté : elle n’est plus seulement une entreprise proposant une solution de stockage sécurisé de cryptomonnaies sous forme de « stablecoin ».
C’est une banque centrale privée qui a dollarisé les pays en développement sans autorisation de la Fed, garantit leurs dépôts en équivalent dollar – partiellement avec de l’or – et génère un profit annuel supérieur au PIB de la plupart des nations.
En cas de faillite (frauduleuse ?), 174 Mds$ de créances s’évaporeraient du jour au lendemain. En cas de succès, ils auront prouvé que la souveraineté monétaire elle-même peut être privatisée.
La Réserve fédérale ne l’a pas approuvé, le Congrès ne l’a pas autorisé… et pourtant, c’est arrivé, car ni l’un ni l’autre n’y peuvent rien. Et même s’ils le pouvaient, y auraient-ils intérêt ?
Pourquoi ne pas laisser se dérouler l’une des plus brillantes expériences monétaires depuis Bretton Woods ?
Par pure jalousie ? Parce que ses fondateurs se sont montrés extrêmement malins, qu’ils opèrent depuis les îles Vierges britanniques, et que leur création affiche une surface financière à faire pâlir d’envie nombre d’Etats souverains ?
La doctrine de l’interdépendance n’est plus une théorie : c’est désormais le cœur de notre système financier. Tether est une nouvelle Réserve fédérale mondiale de facto, née d’un besoin qui a été intelligemment satisfait.
Parce que ses stablecoins sont convertibles en dollar (détenus sous forme de bons du Trésor US), cela renforce l’hégémonie du billet vert, alors que nombre de pays des BRICS, justement, se dédollarisent. Mais c’est pour mieux se réinsérer dans un univers « $ » (adossé aux T-Bonds) s’ils veulent conserver de la « fluidité » au sein de l’univers « cryptos ».
Tether a acquis le droit d’exister et de siéger à la table des marchés à mille milliards de dollars, c’est-à-dire too big to disappear.
Le Trésor américain et la Réserve fédérale se satisfont objectivement de cette forme de partenariat symbiotique, parce que cela représente plus d’avantages que d’inconvénients si Tether disparaissait. (Qui achèterait à sa place les milliards de T-Bonds US dont la Chine et le Japon ne veulent plus ?)
En résumé, pour des raisons de commodité, les détenteurs de bitcoins ou autres cryptos finissent par se retrouver happés par des entités qui contrôlent de facto leurs avoirs de bout en bout (BlackRock, CME, Tether), et par détenir ce à quoi ils souhaitent échapper : de la dette américaine adossée à une planche à billets.

5 commentaires
Je n’ai rien compris comme presque tout le monde. Le système communiste, le Profit Public, s’est effondré lentement, asphyxié par une lente pénurie. Le système capitaliste, le Profit Privé, triomphant, pourrait prendre le chemin d’une catastrophe explosive A chaque fois ce sont les peuples qui paient la note.
Like almost everyone else, I didn’t understand anything. The communist system, Public Profit, collapsed slowly, suffocated by a slow-burning scarcity. The capitalist system, Private Profit, triumphant, could be heading for an explosive catastrophe. And each time, it’s the people who pay the price.
Effectivement, complexe pour le simple particulier.
Neanmoins, merci pour ces explications, qui permettent de comprendre qu’il faut laisser ces grands stratèges, échanger du vide bien aéré ( les bitcoins ) contre du vent coloré ( des dollars )
Emmetre des stable coins qui ne portent pas intérêt en les garantissant par des bons du trésor qui rapportent environ 4% est la base du métier de banquier et peu s’avérer très rentable si tether maîtrise ses coûts et optimise ses profits.
Si j’ai bien compris l’utilité des stable coins (que je n’utilise pas ) il s’agit de passer par un réseau moins coûteux que celui des banques pour transférer des dollars.
« Mais les détenteurs de Bitcoin, au travers d’ETF et d’options, viennent de découvrir qu’il n’existe pas de réelle liberté ni de réelle sécurité hors achat en direct et stockage sur un « portefeuille froid » « . M. Béchade fait bien d’attirer l’attention sur ce point.
Ceux qui préfèrent acheter des ETF Bitcoin plutôt que de détenir du BTC sur un portefeuille froid commettent la même erreur que ceux qui préfèrent l’or-papier à l’or physique détenu dans un coffre. Il est de notoriété publique, je crois, que la quantité d’or-papier est sensiblement plus élevée que la quantité réelle d’or physique. Et la valeur d’un titre qui n’est pas couvert par une quantité présente dans le monde réel, c’est la valeur (assez faible, convenons-en) d’une feuille de papier A4 et de l’encre qui a été déposée dessus.
Si vous tapez dans votre barre de recherche Google « Bitcoin uptime » et cliquez sur un des liens proposés, vous constaterez que la blockchain Bitcoin, en 17 ans d’existence, a fonctionné 99,99% du temps (la dernière panne a eu lieu il y a plus de 12 ans, le 12/03/2013 pour une durée de 6h20) et 100% du temps depuis 2013, ce qui en fait le réseau le plus fiable au Monde, et d’assez loin.
Pourquoi, dès lors, vouloir confier ses avoirs à des institutions telles que Coinbase, Binance, BlackRock et consorts, qui sont toutes susceptibles d’être piratées un jour ou l’autre et transforment (ou tentent de transformer) le Bitcoin en quelque chose qu’il n’était pas destiné à être ?
Rien compris ! Etait-ce la peine de nager dans la finance depuis toujours, d’avoir une licence en Sciences Eco, un MBA de l’IMD Lausanne, et 2 diplômes d’Ingénieur Grandes Ecoles (françaises).