Sur les épaules de géants… et de biens plus petits qu’eux.
« Il existe en ces matières un grave vice de pensée, une erreur qu’il faut absolument éviter. Le pouvoir des yeux ne nous a pas été donné, comme nous pourrions croire, pour nous permettre de voir au loin, de même que ce n’est pas pour la marche à grands pas que jambes et cuisses s’appuient à leur extrémité sur la base des pieds et savent fléchir leurs articulations ; les bras n’ont pas été attachés à de solides épaules, les mains ne sont pas de dociles servantes à nos côtés, pour que nous en fassions usage dans les besoins de la vie. Toute explication de ce genre est à contresens et prend le contre-pied de la vérité. »
~ De rerum natura, Lucrèce
Darwin a lu Adam Smith. Quand il est revenu de son long voyage sur le Beagle, il a lu la biographe d’Adam Smith écrite par Bugald Stewart. Il a lu Mathus. Il a lu les écrits de son propre grand-père, Erasmus, un admirateur et imitateur de Lucrèce. Il n’était pas seul. Il évoluait.
Les idées se battent pour survivre. Certains réussissent. La majorité disparaissent. Des dizaines d’hérésies chrétiennes ont succombé. Des dizaines de théories bien développées également – concernant le mouvement des planètes… l’influence des dieux… les vapeurs… l’air lui-même et le flux de la nature. Toutes ont vécu, certaines brièvement, et toutes sont mortes ; comme les dinosaures et les disquettes, elles n’étaient pas adaptées au nouveau monde.
Une plus grande révolution
Mais l’idée nouvelle de Smith était une idée majeure… une idée de la trempe de Genghis Khan, qui donnerait naissance à une vaste descendance. Elle n’était pas entièrement nouvelle. Mais elle était suffisamment originale… et elle était prête pour une renaissance – elle est née ainsi durant le XIXe siècle, et continue de modeler notre pensée après plus de 150 ans.
Le mouvement que Darwin a lancé, a écrit Alfred Russel Wallace, « fut une plus grande révolution de la pensée humaine en un quart de siècle que n’importe quelle autre durant notre temps – ou peut-être durant n’importe quel temps […]. Une nouvelle conception du monde de la vie. »
L’idée était restée dans les coulisses pendant de nombreux siècles. Et avait complètement disparu pendant de longues périodes. Alors qu’elle est largement reconnue aujourd’hui comme étant utile, ses implications ne sont toujours pas pleinement comprises. Cela explique pourquoi tant de politiques publiques sont destinées à l’échec… et pourquoi tant d’opinions et tribunes que vous pourriez lire dans les journaux sont absurdes.
Dans un premier temps, l’idée de « l’évolution » a été confinée à la biologie. Nous pouvions voir les fossiles… les squelettes… les traces de pas d’anciennes espèces ; nous pouvions remarquer les jambes prenant une forme différente… les bras de même… et les singes, sautant d’arbre en arbre… puis se déplaçant debout, presque humains.
Puis la collection de fossile a grossi. Des os de hanches ont été placés à côté d’os de jambes… et de nouveaux fruits ont poussé sur l’arbre généalogique de l’Humanité – dont des espèces « d’humains » jusqu’alors inconnues. Les ressemblances étaient impossibles à ignorer. Il y avait là la mâchoire d’un de nos proches – sur le visage d’un babouin ! Et le grognement menaçant d’une vieille dame… sortant de la gorge d’une hyène.
« L’évolution de tout »
Et tout avait été expliqué pour nous, il y a 2 000 ans, après que les dieux grecs ont été remis au placard et avant le calvaire du Christ, par Lucrèce :
« On ne dira pas sans doute que les éléments se soient rangés à dessein et avec intelligence chacun à leur place, ni qu’ils aient réglé de concert leurs mouvements réciproques. Mais comme, depuis tant de siècles, ces atomes innombrables se combinent de mille façons, et sont agités par mille chocs au sein du vide immense ; après avoir essayé des mouvements et des assemblages de toute sorte, ils sont enfin parvenus à cet arrangement qui a produit le monde. »
Les gens font des choses. Ils construisent leur maison. Ils choisissent de la musique. Ils inventent. Ils innovent. Ils trouvent leurs partenaires, souvent sans avoir conscience de ce qu’ils font… ou de pourquoi ils le font. Et, par combinaison et recombinaison, des choses se mettent en place, pas par dessein… mais par hasard. Certaines de ces choses survivent. D’autres non.
Dans tous les cas, elles n’ont pas besoin de cette satanée Fed pour les guider.
Même Darwin hésitait à pousser son idée au-delà de la biologie. Et pourtant, ne s’applique-t-elle pas à peu près à tout ? Lord Ridley a écrit un livre sur le sujet, The Evolution of Everything [NDLR : l’évolution de tout, non traduit en français).
Le principe voulant que les choses évoluent par l’action humaine, et non pas par un dessein humain… semble décrire les gouvernements, la monnaie, la technologie, la culture, les gènes, et même la moralité. Ils sont tous mêlés à la condition humaine ; mais aucun esprit humain ne les contrôle ou ne les comprend.
Vous avez pu lire précédemment l’un de nos arguments sur l’esclavage : s’il était encore profitable, il ne serait pas interdit. C’est la Révolution industrielle qui y a mis fin… et non pas Lincoln… ou Harriet Beecher Stowe… ou même le général William T. Sherman incendiant la ville d’Atlanta.
Graduellement… puis soudainement
Imaginez que vous vouliez voyager à travers les Etats-Unis. Et imaginez que l’esclavage soit encore à la mode. Vous pourriez attacher un équipage d’esclaves à un chariot. En pratique, vous auriez besoin de plusieurs chariots… rien que pour transporter la nourriture, l’eau et les vêtements des esclaves.
A la tête d’une telle équipée, assisté d’un fouet solide, vous pourriez bourlinguer par monts et par vaux… sur une chaise à porteurs reposant sur les épaules de vos esclaves. Puis, après être parti de New York… et de longs mois de voyages, de grands sacrifices et des aventures inoubliables… vous pourriez peut-être arriver en Californie. Ou peut-être pas.
Ou, utilisant les avantages permis par la Révolution industrielle, vous pourriez partir en voiture et arriver à destination en quelques jours d’un voyage confortable.
Qui doit-on remercier pour ce merveilleux progrès ? Qui a orchestré la Révolution industrielle ? Henry Ford ? Andrew Carnegie ? Eugenio Barsanti ? Ou le pasteur baptiste Thomas Newcomen ?
Newcomen est considéré comme le premier à avoir converti de la chaleur en énergie kinétique utile. Il bricolait… cherchant un moyen de faire pomper de l’eau d’infiltration hors des mines. Pour cela, il a fait bouillir de l’eau. La vapeur produite pousse un piston vers le haut, puis fait tourner une vanne d’arrêt. Le piston repart alors en sens inverse, expulsant la vapeur refroidie. Puis la vanne se rouvre et le processus se répète. Le piston monte… descend… monte… descend… ajoutez plus de combustible au feu, et la « machine » continuera de pomper.
Mais qui a inventé le fer qu’il a utilisé pour construire cette machine ? Et la roue ? Qui a découvert le feu ?
L’évolution façonne le monde. Mais ce n’est pas un monde que quiconque a voulu ou créé. A la place, nous y ajoutons (ou y retirons) tous des choses… petit à petit, puis par des à-coups soudains occasionnels – comme L’Origine des espèces de Darwin.
Les entrepreneurs trouvent un modèle profitable… ou font faillite en le cherchant.
Les investisseurs placent prudemment leur argent, espérant obtenir un rendement décent, et continuent de le faire… jusqu’à avoir tout perdu.
Les politiciens vont de mensonge en erreur… forçant ou incitant des personnes à faire des choses qu’ils ne devraient pas… déformant le présent… retardant le progrès…
… et la Fed utilise son « intelligence remarquable » pour prétendre savoir ce qu’elle ne pourra jamais savoir et faire ce qu’elle ne pourra jamais faire. Elle ne va pas laisser le marché du crédit « tomber » dans sa forme naturelle ; elle va lui donner un coup de main…