Sous un ciel d’Irlande saturé de pluie, les marchés mondiaux semblent suivre la même trajectoire : celle d’une tempête annoncée.
« Une grosse tempête approche… » C’est ainsi que notre constructeur nous a accueillis.
De retour en Irlande, nous avons vu le ciel s’assombrir à mesure que les nuages montaient de l’Atlantique. Les cimes des arbres bruissaient, une fine pluie commençait à tomber… le gros de la tempête restait à venir.
Notre homme posait déjà des panneaux de contreplaqué sur les fenêtres et verrouillait les écoutilles.
Le marché boursier, lui, est bien plus imprévisible que la météo terrestre. Ici, en Irlande, un météorologue peut observer l’Atlantique Nord et prévoir les tempêtes plusieurs jours, parfois plusieurs semaines à l’avance. Mais sur les marchés, nous ne découvrons les dégâts qu’après coup — et c’est seulement alors que nous pouvons dire : « Je vous l’avais bien dit. »
Bien sûr, nul ne sait jamais ce qui va arriver. Pourtant, si vous avez toujours rêvé de prononcer ces mots, le moment est peut-être venu. Tôt ou tard, la bulle boursière doit éclater. Elle peut se dégonfler lentement, rongée par une inflation persistante… ou bien éclater brutalement. L’un ou l’autre. Ou les deux.
Et aujourd’hui, tout indique que l’économie comme le marché boursier y sont prêts.
Voici le titre du jour, tiré de Money Talks News :
« La dette moyenne des ménages américains atteint 138 000 dollars – les coûts d’emprunt étranglent encore davantage les budgets. »
Les ménages américains croulent sous des niveaux d’endettement record : les soldes de cartes de crédit atteignent désormais 1 210 milliards de dollars, avec des taux d’intérêt punitifs avoisinant les 20 %.
Partout sur Main Street, l’économie ralentit. Les révisions récentes confirment un affaiblissement du marché de l’emploi. La croissance réelle du PIB – si l’on exclut les dépenses d’investissement extravagantes dans l’intelligence artificielle et les artifices statistiques liés aux importations et aux stocks – est désormais fortement négative.
Quant à l’inflation, elle est loin d’être « maîtrisée » : elle reste supérieure de 50 % à l’objectif de la Fed, et risque d’augmenter encore avec l’entrée en vigueur des nouveaux droits de douane.
S’ajoute à cela le chaos politique : le gouvernement fédéral est actuellement paralysé, et nul ne sait quand ni comment il reprendra ses dépenses inconsidérées.
Pendant ce temps, une guerre fait rage à l’est de l’Europe, un massacre se poursuit en Terre Sainte, le président américain propose de « former » les troupes fédérales à intervenir contre les civils dans les villes du pays, et la dette nationale devrait franchir les 50 000 milliards de dollars d’ici 2030. Un seul faux pas pourrait déclencher la panique, et le président américain n’est pas connu pour sa prudence.
Sur les marchés, difficile d’imaginer moment plus propice à un krach.
Les valorisations atteignent des sommets : le ratio cours/chiffre d’affaires du S&P 500 culmine à 3,3 – un record historique. Le ratio cours/bénéfices est au plus haut depuis 25 ans.
L’indicateur Buffett, qui compare la valeur totale des actions au PIB, se situe lui aussi à un niveau inédit. Quant au ratio CAPE du professeur Robert Shiller, supérieur à 40, il n’a été dépassé qu’une seule fois : en 1999… et nous savons tous ce qui a suivi.
Les rendements obligataires à long terme augmentent partout dans le monde. Au Japon, le rendement des obligations d’Etat à 30 ans vient d’atteindre un sommet vieux de 25 ans. Ce durcissement des taux provoquera inévitablement des faillites, les grandes institutions ayant de plus en plus de mal à refinancer leur dette.
Voici maintenant ce qu’écrit MarketWatch :
« ‘La bulle de l’IA est 17 fois plus grosse que celle des dot-com et quatre fois plus importante que celle des subprimes’, selon un analyste.
Les taux d’intérêt artificiellement bas ont alimenté une frénésie d’investissements dans l’intelligence artificielle, mais celle-ci a désormais atteint ses limites, selon le cabinet MacroStrategy Partnership. »
L’analyste Julien Garran estime que la bulle de l’IA dépasse de loin celle de 1999. La semaine dernière encore, nous avons vu le PIB basculer de positif à négatif, principalement à cause des investissements massifs dans ce secteur. L’engouement pour tout ce qui touche à l’IA a entraîné la hausse générale du marché.
En d’autres termes, sans l’IA, le marché boursier et l’économie seraient déjà en recul.
Mais ne vous inquiétez pas, a déclaré Jeff Bezos lors du salon Italian Tech la semaine dernière :
« Il s’agit d’une bulle industrielle, non d’une bulle financière. Les bulles bancaires, comme celle de 2008, sont destructrices et doivent être évitées. Les bulles industrielles, elles, ne sont pas aussi nocives – elles peuvent même être bénéfiques. Une fois la poussière retombée, les innovations qui survivent profitent à la société. C’est ce qui se passera ici aussi. Les gains que l’IA apportera à l’humanité seront considérables. »
Probablement pas, selon nous. Comme pour la bulle Internet, certaines applications de l’IA seront effectivement utiles, quelques entreprises survivront et prospéreront.
Mais la plupart des rêves des investisseurs se révéleront vains – et lorsque la poussière retombera, elle sera plus épaisse qu’ils ne l’imaginent.
Revenons-en à la météo.
Comme prévu, la tempête s’est intensifiée vendredi. Dans l’après-midi, la pluie tombait à torrents, presque à l’horizontale. Les arbres ployaient sous les rafales. Les panneaux s’arrachaient, et les passants se penchaient dans le vent pour garder l’équilibre.
Nous avons pris la route vers l’aéroport de Cork pour y louer une voiture. Au moment de partir, le vent soufflait si fort que nous ne pouvions pas fermer la portière. Nous avons dû la retenir à deux mains pour éviter qu’elle ne torde les charnières, puis attendre une accalmie pour nous glisser à l’intérieur.
Nous avons pris le chemin du retour… en esquivant les branches d’arbres tombées.