Les entreprises ou secteurs qui dégageront les meilleurs rendements en Bourse ces prochaines années ne sont probablement pas ceux qui ont crû le plus durant les dernières.
Après une année 2022 placée sous le signe de la baisse de valorisation des actifs, les investisseurs s’affairent à chercher les poches de rendement résiduelles.
La contraction des valeurs technologiques (qui ont perdu 24% sur un an, à l’écriture de ces lignes), des cryptomonnaies (le Bitcoin se retrouve 50% plus bas), des actions des pays émergents (le fonds iShares MSCI Emerging Markets a baissé de 17%) et le gel des transactions immobilières laissent bien peu de place à l’optimisme. Plus question désormais de chercher les plus-values en spéculant sur les variations de prix des actifs : il convient de dénicher les activités capables, indépendamment de leur valeur de marché, de générer de la valeur ajoutée.
Malgré l’engouement des dix dernières années pour les valeurs dites de croissance, malgré la tentation d’aller chercher de la création de richesse avec des technologies de niche comme la blockchain, l’IA, ou le cloud, et malgré le mirage offert par produits virtuels comme les NFT, impossible désormais d’ignorer cette vérité : l’économie réelle reste ce qui se fait de mieux pour créer de la richesse.
Les chiffres sont formels. Ce sont bel et bien les activités les plus classiques qui ont été les plus créatrices de richesse ces dernières années. Pour l’investisseur en quête de protection et de croissance de son patrimoine, revenir sur ces dossiers démodés, mal-aimés, ringards – mais rentables – est sans doute la meilleure stratégie à suivre cette année.
Banques : les gagnantes inattendues
Les analystes les avaient volontiers condamnées après la crise des subprimes tant leurs bilans semblaient fragiles. Les investisseurs de la nouvelle génération n’envisageaient même pas d’y investir, tant elles opéraient sur des marchés matures synonymes de croissance anémique. Les traders, après avoir fait des fortunes en pariant sur leur baisse durant des années, ne songeaient pas à jouer leurs actions à la hausse.
Evoluant au mieux dans l’indifférence, au pire dans une franche hostilité, les valeurs bancaires n’ont pas connu les faveurs des marchés depuis près de quinze ans.
Pourtant, ce désamour ne les a pas empêchées de continuer à jouer leur rôle de financement de l’économie avec la production de crédits, et d’apporteurs de liquidités avec l’animation de marché. Ce faisant, elles ont engrangé un pactole qui a de quoi faire pâlir de jalousie les valeurs technologiques californiennes et asiatiques les plus en vogue. Selon un décompte réalisé par Bloomberg, les principaux groupes bancaires ont réalisé des bénéfices record sur les dix dernières années.
Le géant JPMorgan aurait généré, sur les exercices 2013-2022, près de 300 Mds$ de bénéfices. Son éternelle rivale Bank of America la talonne avec 202 Mds$, suivie par Wells Fargo et ses 192 Mds$. Au total, ce sont plus de 1 000 Mds$ de bénéfices qui ont été engrangés par les grands noms de la banque à l’échelle de la planète sur dix exercices.
Ce chiffre est à mettre au regard des montants qui ont défrayé la chronique sur la même période. En France, on se souviendra bien sûr de l’affaire Kerviel à 4,9 Mds€ en 2008. A Londres, la « baleine » de JPMorgan (un trader qui avait eu la main lourde lors d’un passage d’ordres) avait fait perdre à son établissement 4,4 Mds$ en 2012. Plus récemment, Goldman Sachs a été condamnée en Malaisie à une amende de 2,9 Mds$ dans le cadre du scandale 1MDB.
Des sommes, qui, mises bout à bout, font pâle figure face aux profits engrangés par ces établissements sur la même période… d’autant que les profits ont été réalisés dans un contexte de taux bas, période structurellement peu rentable pour les banques.
Le retour du crédit
En ce début 2023, les Cassandre voient (une nouvelle fois) la fin du modèle bancaire et l’imminence de faillites en séries. Il est vrai que le ralentissement des opérations d’introduction en Bourse et des fusions-acquisitions va mécaniquement réduire les profits de l’activité de banque d’investissement. Mais, en parallèle, les établissements voient revenir une source de profits qui s’était tarie au point d’être oubliée : l’activité de production de crédit.
Avec la hausse des taux, les banques peuvent plus facilement augmenter le différentiel entre le prix de l’argent qu’elles empruntent et celui des fonds qu’elles prêtent. La production de crédit va redevenir la corne d’abondance qu’elle était par le passé.
L’effet ciseaux promet d’être d’autant plus important que la rémunération des dépôts tarde à augmenter, à part sur les livrets réglementés. De son côté, la hausse du coût de l’argent pour les emprunteurs est d’une rapidité inédite. De 1% en janvier 2021, le taux d’intérêt moyen des crédits immobiliers sur 20 ans est passé à 2,8% en 2023 selon Empruntis, soit une hausse de 180% en deux ans seulement.
Entre bénéfices record et potentiel inexploité, les valeurs bancaires sont l’exemple parfait d’un compartiment délaissé par les analystes malgré sa capacité indiscutable à créer de la richesse.
Pourquoi, alors, constatons-nous que les investisseurs rechignent à profiter de cette manne économique ? Après tout, la plupart des banques d’envergure internationale sont cotées en Bourse, et acheter leurs actions se fait en quelques clics.
Mais malgré leurs bons résultats et leur dividende particulièrement généreux (2,55% pour Bank of America, 2,84% pour JP Morgan, 6% pour BNP Paribas et même 6,65% pour la Société Générale), les cours restent dépréciés.
Ne comptez pas sur la Bourse pour vous montrer le chemin
Dans un phénomène auto-entretenu, les acheteurs délaissent les dossiers dont les cours n’évoluent pas à la hausse, ce qui installe un plafond de verre sur les cours, qui vient à son tour alimenter la méfiance. C’est ainsi que nous assistons à une décorrélation totale entre le prix de ces actions et le bénéfice qu’elles génèrent.
BNP Paribas, par exemple, s’échange autour de 60 € par titre, soit une hausse de 2,6 % depuis son sommet de… 2002. L’action de la Société Générale, de son côté, s’échange au même prix qu’en 1998.
Dès lors, faut-il considérer que ces dossiers sont à éviter, les marchés ayant par définition toujours raison lorsqu’il s’agit de déterminer le prix des actifs ?
Pas nécessairement, comme nous le montre la dernière vague d’engouement pour les valeurs technologiques. A l’été 2020, le pétrolier ExxonMobil a été exclu avec fracas du Dow Jones pour laisser sa place à l’éditeur de logiciel SalesForce. Pour beaucoup, ce remplacement signait le triomphe des valeurs technologiques sur les encombrantes valeurs industrielles.
Ceux qui ont décidé de se fier à la sagesse des marchés et de basculer leurs investissements du pétrole démodé vers l’informatique au potentiel illimité en sont pour leurs frais. Depuis l’opération, la valeur boursière du prodige SalesForce a chuté de 40 %, tandis que le pétrolier a dégagé des bénéfices insolents et vu sa capitalisation s’envoler de 176%.
Benjamin Graham décrivait, dès 1934, la capacité des marchés à être irrationnels sur le court terme, tout en étant un outil incomparable pour déterminer la valeur réelle des actifs sur le long terme.
Nous sortons d’une phase de déni des fondamentaux qui a duré près de dix ans. Durant celle-ci, la croissance de l’activité des entreprises a fait oublier toute notion de rentabilité. En 2022, les opérateurs ont brusquement pris conscience du fait qu’un actif, même de qualité, pouvait coûter trop cher… et la « bulle de tout » a fait soudainement place à la « baisse de tout ».
En ce début 2023, la baisse de valorisation des dossiers les plus faibles a déjà eu lieu – et les investisseurs ne reviendront pas dessus de sitôt.
La prochaine étape sera le rebond de la valorisation des actifs capables de créer de la richesse. Ils sont, malgré le désamour dont ils ont été victime ces dernières années, encore nombreux.