** Alors que la croissance mondiale continue de se contracter, les marchés s’envolaient au second trimestre au nom du bourgeonnement des signaux de reprise économique. Mais le printemps s’est achevé sans que le jardin industriel américain ne reverdisse ; le secteur tertiaire n’est pas mieux loti alors que le crédit aux ménages demeure rare et les défauts de paiement de plus en plus nombreux.
Adieu aux jeunes pousses et bienvenue à "l’été en pente douce" ! Wall Street aligne une troisième semaine de repli consécutive mais le S&P 500 ne casse pas de façon irrémédiable son support moyen terme des 900 points. Le Nasdaq Composite n’effectue quant à lui qu’une timide incursion sous les 1 800 points.
La réalité, c’est que les indices américains et européens oscillent depuis le 17 juin dernier dans un étroit corridor de 3% à 3,5% d’amplitude. De nombreux stratèges estiment que la situation pourrait se maintenir en l’état actuel d’ici la rentrée.
Les marchés ont besoin de souffler après les records de hausse enregistrés du 9 mars au 12 juin dernier… Cependant, ils n’ont pas de raisons de rebaisser car de nombreux opérateurs n’ont pas investi lors du retournement de tendance qui s’est radicalisé début avril.
La rumeur voudrait que les liquidités leur brûlent les doigts ; pour propulser les indices boursiers vers de nouveaux records annuels, ils n’attendraient plus qu’une série de trimestriels satisfaisants (Alcoa ouvrira le bal ce mercredi), comme durant la période avril/mai.
Le message implicite est le suivant : dormez braves gens, le système financier est sorti d’affaire, les marchés ont retrouvé leurs marques et les épargnants peuvent partir en vacance tranquilles. Rien ne devrait troubler leur sérénité, Wall Street va tenter de leur faire oublier les mois de juillet calamiteux de 2007 et de 2008.
Quand il n’est plus possible de faire croire que la conjoncture obéit aux souhaits du marché, les rois de l’intox (qui ont probablement du papier à vendre depuis début juin) proposent aussitôt une nouvelle fable alternative telle que les optimistes les aiment : certes, les derniers chiffres déçoivent mais les marché regardent plus loin et peuvent compter sur les efforts des gouvernements pour soutenir l’économie.
Les plans de relance vont finir par produire leurs fruits… et les gérants les plus sceptiques finiront par se laisser séduire par les actions alors que les bons du Trésor perdent tout attrait en termes de rendement et de protection du patrimoine.
** Nous ne sommes pas convaincu par ce scénario — et Wall Street nous a donné raison jeudi soir en sanctionnant les mauvais chiffres de l’emploi. Les gérants se sont empressés de prendre leurs bénéfices avant une fermeture de trois jours des marchés américains. L’indice Dow Jones a chuté de plus de 200 points jeudi (sa plus forte correction depuis le 20 avril) pour clôturer en baisse de 2,6% à 8 285 points et terminer la semaine en repli de 2,8%.
C’était un petit coup d’oeil dans le rétroviseur car les places européennes étaient bel et bien ouvertes ce vendredi, ce qui leur offrait une occasion d’effacer une partie des pertes subies la veille.
Malheureusement, les nouvelles macroéconomiques relatives à la consommation ne sont pas encourageantes dans la Zone euro. Le volume des ventes du commerce de détail a diminué de 0,4% dans l’Eurozone et de 0,5% dans l’Union européenne en mai 2009 par rapport à avril 2009, d’après Eurostat (en glissement annuel, la progression s’élève à 3,3%).
** Les signaux de faiblesse conjoncturelle se sont multipliés ces 15 derniers jours — mais cela n’a pas empêché le pétrole de battre une succession de records annuels alors que les marchés d’actions, eux, "n’y étaient plus".
Une certaine incrédulité s’est même installée mardi matin lorsque le baril de brent a pulvérisé la barre des 73 $ sur les marchés asiatiques (73,5 $ au plus haut de l’année). Cela aurait été explicable avec l’annonce de nouveaux sabotages de pipe-lines au Nigeria ou d’achats massifs de la Chine… mais ce n’était pas le cas — Pékin vient d’ailleurs de signer un contrat d’approvisionnement avec l’Irak.
La vraie raison de la flambée de mardi serait liée à un mouvement de marché accidentel et imprévisible. Et voilà que l’on nous refait le coup du trader fou qui aurait réussi à échapper à la vigilance de sa hiérarchie et fait perdre 10 millions de dollars à son employeur, courtier pétrolier londonien dénommé PVM Oil Futures.
Le Kerviel local dont le nom vient d’être jeté en pâture à l’opprobre planétaire s’appelle Steve Perkins. Il serait coupable d’avoir exécuté une série de transaction non autorisées et illégales sur les cours du brent pour des raisons qui n’ont pas été détaillées ; une fois découvertes, les positions ont été débouclées en bon ordre.
Le baril était monté jusque vers 73,5 $ en Asie avant de reperdre brutalement 10% pour rechuter jusque sur 66,00 $ et 66,50 $ en 48 heures.
** Deux mois auparavant, l’autorité de régulation des marchés à terme britanniques avait sanctionné un ancien trader de Morgan Stanley qui s’était "lâché" — c’est la version officielle, et elle prête à sourire — après un repas trop arrosé.
Ah la la, ça se prétend maître du monde et ça ne maîtrise même plus son clavier d’ordinateur après trois flûtes de champagne millésimé et un verre de cognac hors d’âge ! Bien entendu, ses collègues ne l’ont pas vu tituber ni parler fort… et son chef, trahi par un subordonné instable et sournois, se voit contraint d’exclure le fautif.
Curieusement, il n’y a jamais d’excuses publiques ni de sanctions lorsqu’une transaction "illégale" (mais nous n’en saurons jamais rien) débouche sur un gros gain. Dans ce cas, c’est toute l’équipe — dont l’union des talents a fait merveille — qui a su prendre les bonnes décisions… et on arrose ça discrètement, entre soi.
Si les choses tournent mal, un fusible saute, le trader fou — machiavélique et solitaire — est chargé de tous les péchés… et la réputation de sérieux et d’exemplarité de sa firme reste (plus ou moins) intacte.
La gloire d’une salle de marché se doit de rester collective (et très discrète) ; l’erreur est forcément individuelle lorsqu’elle devient publique.
** Une illustration de ce principe nous est fournie, à une toute autre échelle, par une campagne de dénigrement de l’action d’Alan "Bulles" Greenspan. Ce dernier aurait fait preuve d’incompétence en négligeant complètement l’impact macroéconomique de l’inflation titanesque de la masse des dérivés de crédit, notamment des ABS, RMBS et autres CDO.
Mister Bulles se défend mollement en expliquant qu’il est difficile de tirer des conclusions d’un phénomène inconnu qui ne rentre dans le champ d’aucun travail théorique. Il avoue même avoir été bluffé par des démonstrations de haute abstraction mathématique qui tendaient à démontrer que les MBS (prêts adossés aux prêts hypothécaires) notés BB- étaient aussi sûrs que du AAA compte tenu des instruments de couverture (CDS) à la disposition des marchés.
Nous reconnaissons volontiers que dans le joli train couchette qui emmène les estivants vers Sainte-Maxime, Cannes ou Juan-les-Pins, les Logan et les Ferrari affichent un temps de parcours identique… En imaginant que le train déraille — ou que les marchés soient victimes d’un accident systémique –, ces véhicules, situés aux deux extrêmes de la gamme, ont toutes les chances de subir des dégâts aussi irrémédiables.
Il y a donc mathématiquement moins à perdre en achetant trois Logan au moteur trafiqué pour qu’elles filent à 270 km/h, plutôt qu’un véhiculé orné de l’écusson au cheval cabré, qui tient parfaitement la route à des vitesses extrêmes… La preuve, cela ne coûtait pas plus cher en assurance !
La stupidité de ce raisonnement n’a vraiment sauté aux yeux d’Alan Greenspan que lorsque les assureurs de crédit (les monoliners et AIG en particulier) ont fait faillite… et sa réputation de gourou infaillible de la finance avec.
Depuis qu’il a reconnu que la dérégulation du système — qu’il avait lui même encouragée — le privait de tout moyen d’éviter une catastrophe, voilà que certains commentateurs s’engagent dans la brèche du "président fou", du fonctionnaire de la Fed solitaire et aliéné. Non les brasseurs d’argent cyniques et avides n’y sont pour rien… c’est bien l’homme seul, cet Alan –comment déjà ? — qui a pété les plombs après avoir fait une overdose de camomille !
[NDLR : Et si pour une fois un "trader fou" vous faisait gagner de l’argent ? Rendez-vous vendredi 10 juillet sur nos sites pour une interview exclusive de Marc Dagher, spécialiste de l’analyse technique et trader de talent : ne manquez pas ses conseils et analyses !]
Philippe Béchade,
Paris