▪ Le gouvernement allemand, emprunteur au niveau AAA, a plus de probabilités de faire défaut que Viacom, un emprunteur « quasi-spéculatif ». Du moins, c’est ce que le marché des CDS (credit default swap) nous dit. Naturellement, le marché des CDS peut se tromper mais il n’est pas totalement stupide. Le gouvernement allemand, noté AAA, doit supporter un endettement très lourd ces temps-ci, du fait des difficultés financières de ses compagnons de l’Eurozone.
Résultat de cet endettement — à la fois immédiat et futur : le coût pour assurer une obligation allemande à cinq ans contre un défaut est plus élevé que le coût pour assurer une obligation Viacom à cinq ans contre un défaut.
▪ Comment cela est-il possible ?
La réponse est simple : dans un groupe d’amis qui dîneraient dans un restaurant chic, l’Allemagne est devenu celui qui est « riche ». Avant le repas, tout le monde supposait que l’autre paierait sa part de l’addition (c’est-à-dire tout le monde sauf la Grèce — cet ami-là, il ne paie jamais).
Mais à présent qu’ils ont tous bien mangé, quasiment personne ne met la main à la poche. La Grèce « est sortie fumer une cigarette », l’Espagne « est allée aux toilettes », l’Italie « s’est excusée car elle a eu un appel téléphonique urgent ». Pendant ce temps, la plupart des autres convives farfouillent nerveusement leur portefeuille, marmonnant qu’ils ne trouvent pas la carte de crédit qu’ils recherchent.
Au bout de la table, est assise l’Allemagne, triste et solitaire — carte Platinum American Express à la main — redoutant le destin qui, elle le sait, l’attend. C’est pour cela que les investisseurs estiment que l’assurance sur la dette AAA de l’Allemagne est valorisée à un niveau BBB.
Les emprunteurs AAA, selon Standard & Poor’s, possèdent « une très forte capacité à satisfaire leurs engagements financiers » alors que les emprunteurs BBB comme Viacom possèdent simplement « une capacité suffisante à satisfaire leurs engagements financiers mais [sont] plus sensibles à des conditions économiques défavorables ».
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L’Allemagne est l’exemple type de l’emprunteur AAA : elle possède « une très forte capacité à satisfaire ses engagements financiers ». Malheureusement, ces engagements deviennent paraboliques… ce qui signifie que le bilan pourtant solide de l’Allemagne est autant « sensible à des conditions économiques défavorables » que n’importe quel emprunteur BBB.
▪ L’ardoise s’alourdit pour l’Allemagne
Au final, l’Allemagne est tenue d’assumer environ 1 500 milliards d’euros de dettes directes et potentielles. Pour commencer, comme l’explique James Grant, éditeur du Grant’s Interest Rate Observer, « il y a l’argent que le gouvernement allemand a promis pour défendre l’euro. Dans ces engagements — promis mais pas encore souscrits — on compte les 22 milliards d’euros pour le premier renflouement grec, 211 milliards d’euros pour le Fonds européen de stabilité financière, 190 milliards d’euros pour le Mécanisme européen de stabilité, 12 milliards d’euros pour le Mécanisme européen de stabilisation financière et 40 milliards d’euros pour le Securities markets program. Au total, cela revient à 475 milliards d’euros, soit 18% du PIB de l’Allemagne ».
Ensuite, la Bundesbank doit faire face à une exposition de 698,6 milliards d’euros à diverses banques centrales européennes périphériques. Cette exposition provient d’une obscure ligne de crédits appelée le Trans-European Automated Real-Time Gross Settlement Express Transfer System –« Target2 ». « Les positions sur le Target2 de la Bundesbank ont grimpé en flèche pour atteindre 698,6 milliards d’euros en mai… alors qu’elles étaient de 644,2 milliards d’euros en avril », observe Grant, « et quasiment proches de zéro en 2006 ».
De même, dans le secteur privé, les banques allemandes ont une exposition d’environ 323 milliards d’euros à la Grèce, à l’Irlande, au Portugal, à l’Espagne et à l’Italie.
Par conséquent, lorsqu’on additionne tous ces acronymes, emprunts directs, garanties déguisées et lignes de crédit sibyllines, l’exposition totale de l’Allemagne à ses voisins européens aux abois s’élève à 1 500 milliards d’euros ! C’est là une somme ahurissante, équivalente à plus de la moitié du PIB allemand.
En outre, il ne faut pas oublier que pas une seule de ces lignes de crédit ne finance l’activité intérieure allemande ; elles sont simplement des cordons de sécurité pour la crédibilité des économies étrangères ayant une longue histoire en dents de scie de dette/remboursement… ou, plus généralement, de dette/non-remboursement.
« Les marchés commencent à se rendre compte que, effectivement, l’Allemagne est l’euro et que l’euro est l’Allemagne », observe Evan Lorenz, analyste chez Grant’s Interest Rate Observer.
C’est pourquoi, selon Lorenz, assurer une dette allemande notée AAA contre un défaut coûte aujourd’hui 100 points de base par an, ce qui est plus élevé que le coût pour assurer une entreprise comme Viacom notée BBB+ (92 points de base) et le double du coût pour assurer des bons du Trésor US notés AA+.
Curieusement, les obligations de l’Etat allemand restent l’actif refuge « pour plus de sécurité » sur le continent européen. Le rendement du Bund à 10 ans n’est que de 1,32% — bien en dessous du rendement du bon du Trésor américain à 10 ans, de 1,52%.
Par conséquent, cher investisseur, nous sommes ici en présence d’une anomalie, d’une énigme. Ceux qui achètent des assurances sur le crédit de type CDS considèrent les obligations allemandes deux fois plus risquées que les bons du Trésor US. Mais ceux qui achètent des obligations considèrent les obligations allemandes moins risquées que les bons du Trésor US.
Alors ? Et bien nous pensons que l’un des deux groupes a raison.
Quoi qu’il advienne, les risques sur le bilan national de l’Allemagne sont clairement de plus en plus élevés. Si ces risques continuent sur cette pente, le marché obligataire allemand qui naviguait dans les hautes sphères pourrait commencer à voler comme un zeppelin plombé.