** Les portes du turbulent saloon baptisé le « NY-MEX » (abréviation du New York-Mexico) battent à toute volée depuis une dizaine de jours. Les bulls et les bears se livrent à une furieuse bagarre et de nombreux protagonistes, pris dans la mêlée, ne touchent plus terre.
Tous les coups sont permis, le but est d’éjecter l’adversaire avec armes et bagages jusqu’au milieu de la rue principale dans un nuage de poussière, sous l’oeil goguenard du shérif, Burt O’Pep, qui compte les points en sifflotant.
Les rebonds de 5% succèdent aux K.-O. de -4% en quelques heures, la foule qui essaye de ne pas en perdre une miette doit parfois reculer de six pas lorsqu’un baril passe en tournoyant par la fenêtre, pulvérisant les vitres dans un fracas assourdissant. Les plus téméraires se précipitent alors pour récupérer les derniers centilitres qui s’échappent par la bonde… histoire de recharger leur lampe à huile pour la soirée.
Le spectacle public est tel que les Texans les aiment : brutal, confus et dévastateur pour les gringalets intrépides venus se mesurer aux malabars qui assomment un boeuf d’un seul coup de poing — toute ressemblance avec les protagonistes de séries télé se déroulant à Dallas n’a rien de fortuite.
Oui vraiment, le Nymex est devenu l’endroit rêvé pour venir se distraire après une partie de football américain, histoire de se payer une troisième mi-temps mémorable avec des potes un peu éméchés de l’escouade défensive — de gros costauds d’1m90, pesant 120 kilos en moyenne, avec tout plein de poésie dans leurs yeux soulignés d’un gros trait au cirage noir.
** Nous ne savons pas ce que va donner l’après-match mais la partie qui s’est déroulée lundi avait déjà de quoi satisfaire les amateurs de sensations fortes. Le pétrole est venu tutoyer les 140 $ (à 139,9 $), à l’issue d’une flambée de 5 $ en 90 minutes. Elle est survenue après la publication (à 14h30) d’un chiffre d’activité industrielle (Empire State, région de New York) décevant aux Etats-Unis.
Cela ne va décidément pas fort sur la côte Est. Les nouvelles économiques que nous avons reçues de la part d’amis californiens ce week-end sont encore plus alarmantes. Le secteur de l’immobilier et du bâtiment connaît la pire crise que la génération de l’après-Seconde guerre mondiale ait connu. L’indice du NAHB (National Association of Home Builders) s’inscrivait lundi soir à 18 — encore un point de perdu en mai par rapport à avril — son plus bas score depuis 22 ans.
Mais allez comprendre quelque chose — comme lorsque deux équipes de football américain se ruent soudain l’une vers l’autre pour former des enchevêtrements puis des pyramides de casques et de chaussures à crampons : voilà que le pétrole se met à flamber alors qu’un coup d’oeil sur les rares chantiers de construction de la ville devrait suffire à provoquer sa consolidation.
Il a battu ses records dans des conditions d’autant plus paradoxales que, dimanche dernier, l’Arabie Saoudite a fait connaître son intention d’augmenter de sa production quotidienne de 200 000 barils et fait état d’une baisse des perspectives de la demande auprès de l’OPEP en 2008.
Comme vous l’avez constaté, c’est une nouvelle fois l’affaiblissement du dollar qui débouche sur une furieuse vague d’arbitrage au profit de l’or noir et de l’euro.
** Ce phénomène a de nouveau précipité nos places boursières vers leurs planchers du mois de juin. La plupart d’entre elles ont même reflué vers des niveaux proches de la fin mars — l’Euro Stoxx 50 et l’Eurofirst 80 ont au final chuté de 0,85%.
Avec un euro caracolant au-delà des 1,55 $, Paris affichait jusqu’à -1,25% en milieu d’après-midi. Le dollar a cependant rebondi vers les 1,547 euro et le CAC 40 a ainsi limité son repli à 0,52%, dans un volume plutôt modéré de 4,65 milliards d’euros.
A Wall Street, la tendance s’est alourdie au fil des heures, malgré la publication des résultats trimestriels définitifs de Lehman Brothers qui s’avèrent conformes aux attentes (2,8 milliards de dollars de pertes).
Le compartiment bancaire se redressait… mais tous les autres s’inscrivaient en net repli à mi-séance, sur de nouveaux soupçons de manifestation d’une mécanique récessionniste. L’indice d’activité Empire State calculé par la Réserve fédérale de New York est ressorti à -8,68 en juin, contre -3,23 en mai.
Le seul aspect de ce chiffre qui pourrait apparaître comme positif aux yeux des investisseurs américains est qu’il tempère un peu les craintes de hausse de taux au cours des prochains mois. Cette nouvelle ne contribue cependant pas à soutenir le dollar, pour le plus grand profit des firmes exportatrices américaines.
**Les cambistes n’ont en revanche plus aucune raison de douter de l’imminence de la reprise du cycle de resserrement monétaire dans la Zone euro. Le taux d’inflation annuel pour le mois de mai a en effet été révisé en hausse à 3,7%, contre 3,6% en estimation initiale. Il se compare aux 3,3% d’avril et au 1,9% de mai 2007. Le taux d’inflation mensuel a été de 0,6% en mai 2008.
Le patron de la banque centrale néerlandaise, Nout Wellink, assure que le combat contre l’inflation doit être mené sans faiblesse. Plus les sherpas de la BCE argumentent à ce sujet — en affichant leur mine la plus résolue –, plus le pétrole grimpe et plus les prix de l’énergie et des matières premières s’envolent… ce qui aboutit immanquablement au résultat inverse de celui recherché.
Peut-être qu’un petit détour — un peu chaotique — par le NY-MEX saloon pourrait leur remettre les idées en place ?
Cela dit, pour être tout à fait honnête, c’est quand même la Fed qui a déclenché la baston en refilant des liasses de dollars qui avaient l’air trop verts pour être vrais à certains clients ! Y’a des joueurs de poker qui supportent pas la vue de la fausse mornifle !
Philippe Béchade,
Paris