La concurrence – même déloyale – est préférable au protectionnisme et aux droits de douane. Car la concurrence fait progresser mais pas les impôts.
Dans Les Echos, Jean-Marc Vittori rejoint le camp des partisans du protectionnisme et des droits de douane et signe un éditorial intitulé : « Les économistes découvrent les dégâts du libre-échange ».
« Et si Donald Trump avait raison de fermer les frontières ? Longtemps, la grande majorité des économistes aurait bondi à cette question. Voyons, les avantages du libre-échange sont trop évidents ! Ses bénéfices sont d’ailleurs l’un des sujets sur lequel les chercheurs sont le plus d’accord (1). Mais ils publient désormais des travaux troublants.
La concurrence chinoise tuerait plus de 100 emplois par jour en France (2). Elle expliquerait le quart des destructions d’emplois dans l’industrie américaine (3) (chiffres portant sur le début des années 2000). »
Les idées fausses sont comme les mauvaises herbes ou les espèces envahissantes. Elles finissent toujours par ressurgir alors qu’on pensait s’en être débarrassé.
Les Chinois, les Mexicains, les plombiers polonais voleraient/détruiraient les emplois des Américains ou des Français.
Au XIXème siècle le maçon italien volait déjà le « pain des Français ».
Au milieu du XXème siècle c’était les Japonais qui détruisaient les emplois des occidentaux.
« Tous les économistes admettent désormais l’idée que la mondialisation fait des gagnants et des perdants. Ils exploitent de nouveaux outils pour analyser plus finement les effets des échanges. Les débats restent vifs. Un expert reconnu du commerce international, Gary Hufbauer (4), a ainsi calculé que les droits de douane imposés par les Etats-Unis en 2009 sur les pneus chinois ont permis de préserver 1 200 emplois dans l’industrie américaine du pneu… mais qu’ils en ont détruit trois fois plus dans le commerce.
La mondialisation fait peut-être des gagnants et des perdants mais les taxes ne font que des perdants : ceux qui les paient.
Sans la concurrence chinoise – très déloyale – combien coûteraient nos tee-shirts, notre électronique, de la porcelaine bon marché, des ustensiles de cuisine, des bicyclettes, des voitures… ? Quel serait le pouvoir d’achat des » victimes françaises » de la mondialisation ?
Peut-être que Monsieur Vittori et ses économistes devraient faire un voyage d’études dans les pays à protectionnisme fort pour vivre à l’épreuve de la réalité leurs belles idées.
Je ne parle même pas des pays à frontières étanches du genre de la Corée du Nord ou de l’ex-URSS.
Je parle par exemple du Congo où je séjourne actuellement. Tous les produits importés sont soumis à de fortes taxes. Bien entendu, c’est pour aider l’industrie locale à se développer, selon le discours officiel de son dirigeant Denis Sassou-Nguesso, « l’infatigable bâtisseur », comme le proclamaient ses derniers slogans de campagne.
Droits de douanes au Congo Brazzaville
Résultat : un simple robinet mitigeur coûte environ 600 €, la quincaillerie est hors de prix, les gens arrivent avec des pneus de deux-roues dans leurs bagages. Les seules choses qui ne soient pas chères, à Pointe Noire, c’est la langouste et la bière locale.
Quant à l’industrie congolaise, hé bien, si elle s’était développée, tout cela ne coûterait pas si cher, non ?
Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas
Sans le vouloir, Jean-Marc Vittori apporte de l’eau au moulin des libre-échangistes et nous fait toucher du doigt le principe exposé par l’économiste libéral français du XIXème, Frédéric Bastiat.
« Dans la sphère économique, un acte, une habitude, une institution, une loi n’engendrent pas seulement un effet, mais une série d’effets. De ces effets, le premier seul est immédiat ; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas ; heureux si on les prévoit.
Entre un mauvais et un bon Economiste, voici toute la différence : l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir.
Mais cette différence est énorme, car il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. — D’où il suit que le mauvais Economiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d’un grand mal à venir, tandis que le vrai économiste poursuit un grand bien à venir, au risque d’une petit mal actuel. »
Frédéric Bastiat, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, 1850
Il y a toujours dans le commerce, ce qui se voit et ce qui ne se voit pas et peu d’interventionnistes modernes sont capables d’appréhender ce qui ne se voit pas. Jean-Marc Vittori nous en donne un magnifique exemple :
« David Autor, un économiste du travail qui oeuvre au MIT de Boston, a lancé un pavé dans la mare (5) il y a cinq ans. En examinant avec David Dorn et Gordon Hanson l’impact des importations chinoises au niveau des comtés américains exposés à cette concurrence, il a montré qu’elles ont détruit un million et demi d’emplois industriels entre 1990 et 2017.
‘Tu es contre le libre-échange ?’ lui demanda un collègue lorsqu’il présenta ses travaux. Robert C. Feenstra, de l’université de Californie, avec Hong Ma et Yuan Xu, de l’université Tsinghua, ont pris les mêmes outils pour montrer (6) que la croissance des exportations américaines avait permis de créer presque autant d’emplois. »
La destruction d’emplois se voit, mais la hausse des exportations (et des emplois qui y sont liés) ne se voit pas…
On peut toujours mener beaucoup d’études statistiques et les faire payer aux contribuables mais il est des évidences qui ne devraient jamais être perdues de vue :
- La concurrence est la seule façon de progresser, même la concurrence déloyale !
- Les déséquilibres commerciaux actuels ne seraient pas possibles avec un système monétaire honnête et sain, adossé à de la monnaie marchandise et non pas à de vagues promesses de payer un jour ce qu’on ne pourra pas payer.
1- http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/cae-focus018-2.pdf
2- https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/818071_rdb57_fr_v5.pdf
3- https://seii.mit.edu/wp-content/uploads/2013/11/Autor-Dorn-Hanson-The-China-Syndrome-Local-Labor-Market-Effects-of-Import-Competition-in-the-United-States-American-Economic-Revi.pdf
4- https://piie.com/publications/pb/pb12-9.pdf
5- https://seii.mit.edu/wp-content/uploads/2013/11/Autor-Dorn-Hanson-The-China-Syndrome-Local-Labor-Market-Effects-of-Import-Competition-in-the-United-States-American-Economic-Revi.pdf%C2%A0
6- http://cid.econ.ucdavis.edu/Papers/Feenstra_Ma_Xu.pdf
5 commentaires
Il me semble que deux sujets sont mélangés. Le libre-échange déloyal défavorise l’industrie locale si elle n’arrive pas à monter en gamme en formant ses ouvriers. La meilleur réaction au dumping salarial est l’accroissement de la compétitivité hors coûts.
Il est bien évident que si les taxes douanières perçues ne servent pas à investir dans la formation de la main d’oeuvre alors elles n’ont aucune utilité.
La concurrence déloyale a généralement pour objectif de tuer la concurrence elle-même (sortir les concurrents du marché); je ne vois donc pas en quoi elle serait préférable à quoi que ce soit.
Entre un protectionnisme effrené et une concurrence déloyale ( à la chinoise) ,il y a un écart qui peut et doit etre régulé…..Tout n’est pas noir ou blanc….le gris existe aussi……La mondialisation et le libre échange doivent se faire en respectant des règles et le problème actuellement c’est que c’est le grand « n’importe quoi »….A commencer par la Chine qui veut vendre ses produits partout dans le monde ,mais qui fait tout pour fermer ses propres marchés intérieurs….une telle politique ne peut durer et Trump ne le supporte pas avec l’acier et frise la crise d’hystérie….Quant à l’ Europe ,elle est dirigée par une caste de hauts fonctionnaires et politiques très grassement payés (tout va bien pour eux ),et ils ont rien à faire ,pour l’instant, d’une situation peu brillante pour l’ensemble des populations européennes…..Trump pourrait etre l’ élément déclencheur d’une remise à niveau qui pourrait peut-etre s’avérer salutaire pour l’Europe …………
Ah le libéralisme… si cher au coeur de cette communauté financière cosmopolite apatride dont les origines semblent être quelque part entre l’Ukraine et le Kazakhstan…
Je me souviens d’une époque que certains, n’en doutons pas, doivent qualifier d’ « arriérée », où les Français achetaient des voitures fabriquées en France, regardaient des télévisions fabriquées en France, lavaient leur linge avec des machines à laver fabriquées en France… Comme ils étaient malheureux! dire que l’on appelle cette époque qui doit encore faire froid dans le dos à tout bon libéral apatride cosmopolite: « les 30 glorieuses »…
Grâce au lobbying incessant de cette petite communauté apatride cosmopolite, nous connaissons depuis quelques décennies les joies du libéralisme. Désormais, les Français roulent dans des voitures fabriquées dans un tas d’endroits sauf en France, ils regardent des télévisions chinoises ou coréennes, lavent leur linge avec des machines à laver italiennes ou polonaises. Ils peuvent même manger du raisin venant du Pérou, des fraises du Maroc et des poires d’Argentine ou du mouton de Nouvelle-Zélande! Que du bonheur… Enfin pas pour les 11 millions de chômeurs laissés sur le carreau…
Mais ça, la « finance apatride cosmopolite » n’en a rien à secouer… du moins jusqu’au prochain pogrom?….
Outre le profond respect que j’ ai de Madame Wapler que je remercie de ses analyses, les interventions précédentes me rassurent sur l’ intelligence de notre » jeune » génération. Merci à vous.