Par Sylvain Mathon (*)
Voyez-vous, cher lecteur, les navires marchands ne transportent pas que des produits finis. Bien au contraire : les marchandises sont pour l’essentiel des produits de base.
Partons d’un exemple concret : le port de Casablanca
Le port industriel de Casablanca s’est d’abord construit — évidemment sous l’impulsion des autorités coloniales — pour le transport de ressources précieuses : les phosphates, matière première clé de ce pays sans hydrocarbures, et aussi les agrumes.
C’est aujourd’hui un vaste complexe, qui s’étend sur près de quatre kilomètres, compte pas moins de six môles et peut accueillir 35 navires à la fois. Au niveau mondial, il est loin d’être compétitif : on estime que le transport en direction de l’Europe d’une tonne de marchandises, coûte 10 fois plus cher à partir de Casablanca qu’au départ de Singapour.
En contrepartie, les installations et l’administration sont plutôt réputées, et la situation stratégique du port reste exceptionnelle.
Embouteillage impressionnant pour accéder au port !
Les dockers de Casa ne chôment donc pas ; à vrai dire, la congestion du port est chronique. Mais durant le mois d’août, la situation a pris un tour franchement catastrophique : des conteneurs de quarante pieds (12m) immobilisés par milliers (je n’exagère pas) ; des tankers en rade ; des navires qui se déroutaient de peur de tomber dans le piège…
Aux heures de pointe, m’a raconté Hassan, la file des camions de déchargement atteignait les deux kilomètres — et les routiers pouvaient attendre jusqu’à quinze heures ! Je vous laisse imaginer le manque à gagner…
Débordée par l’explosion subite du volume des marchandises !
Que s’était-il donc passé pour que ces installations de bonne qualité connaissent tout à coup de tels dysfonctionnements ? Eh bien, l’administration a tout simplement été débordée par l’explosion subite du volume des marchandises. Les chantiers de construction se multiplient dans un Maroc en pleine croissance… La levée des dernières barrières douanières a fait le reste.
Les conséquences sont spectaculaires. Rien que cet été, le trafic de conteneurs à Casa a augmenté de 17% en glissement annuel, contre une hausse moyenne de 9% les autres années !
A l’échelle mondiale, on manque de cargos tant la demande est intense !
Cela ne s’arrête pas là : cet engorgement n’est que le symptôme d’une tension beaucoup plus générale, qui nous ramène aux matières premières.
Car tandis que l’on manque de place sur les jetées de Casa pour les cargos déjà en route, à l’échelle mondiale, on manque tout simplement de cargos pour répondre à la demande extraordinaire des emergings. Energie, produits agricoles, minerais… tout transite par ces navires.
Et le prix du fret maritime explose !
L’extraordinaire flambée du fret : à des records de 10 ans
Pendant la crise du subprime, je vous avais dit que les pays en développement pourraient, un premier temps du moins, constituer un refuge pour les investisseurs face au dégonflement de la bulle du crédit immobilier. J’ai bien l’impression que c’est ce qui se passe.
La dynamique des pays émergents a à peine toussé — et ce que je viens de voir à Casa n’est que le reflet concret d’une info qui vous est peut-être parvenue : la demande et la spéculation ont poussé, cet été, le prix du fret maritime à des records de 10 ans.
Voilà un moment que je voulais vous parler du fret, cette composante cruciale de notre secteur de prédilection. L’occasion me semble toute trouvée ! Comme le blé, il s’agit d’un compartiment auquel l’analyste commodities ne peut être insensible.
Après tout, avant même les cow-boys du CBOT, inventeurs de la finance moderne (j’ai déjà raconté leur histoire dans le 5ème numéro de Matières à Profits), les marchands génois du haut Moyen Age avaient déjà posé les bases du système — précisément pour des histoires de fret…
95% des échanges mondiaux prennent la voie des mers
Gardez en mémoire, tout d’abord, que 95% des échanges mondiaux prennent la voie des mers. N’oubliez pas non plus que le fret est un marché organisé, traité sur des bourses spécialisées, avec des contrats à terme qui permettent aux intervenants de se couvrir contre les variations de prix — mais aussi, de spéculer…
Le fret impacte directement le prix des matières premières — et ce d’autant plus que la distance est longue. Par exemple, le surcoût a permis, cet été, au blé français de tenir tête aux blés américains ou argentins face aux acheteurs du Maghreb. Mais le fret représente aussi un marché en soi — et des plus prometteurs.
Une révolution se prépare…
Car en Europe, la révolution se prépare. Comme dans le cadre de l’énergie, que nous avons évoqué le mois dernier, la Commission européenne s’active à déréguler le marché.
Jusqu’ici, le transport maritime était régi par un système de "conférences maritimes" qui permettait aux armateurs de s’entendre sur leur politique tarifaire, moyennant certaines garanties de stabilité des prix.
Cette exemption doit prendre fin à l’automne 2008. Les donneurs d’ordres ("chargeurs") pourront alors faire jouer pleinement la concurrence entre différents armateurs et différents ports. Et les fondamentaux de la demande vont prendre une importance accrue.
Je vous dirai demain pourquoi le coût du fret s’envole. J’analyserai également pour vous l’indice très confidentiel du fret maritime international et vous donnerai mon opinion sur la tendance à long terme du secteur et comment y investir.
Meilleures salutations,
Sylvain Mathon
Pour la Chronique Agora
(*) Globe-trotter invétéré et analyste averti, Sylvain Mathon, est un peu "notre" Jim Rogers… Après avoir travaillé durant dix ans au service de grandes salles de marché, il met depuis février toute son expertise en matière de finances et de matières premières au services des investisseurs individuels dans le cadre de Matières à Profits — une lettre consacrée exclusivement aux ressources naturelles… et à tous les moyens d’en profiter.
Pour en savoir plus, continuez votre lecture…