▪ La Fed nous refait le même coup tous les week-ends depuis le début du mois de novembre : ses différents gouverneurs régionaux y vont chacun leur tour de leurs déclarations qui torpillent le dollar durant quelques heures ou quelques jours.
Le scénario du lundi est invariablement le même — nous en sommes déjà au quatrième épisode : plongeon du billet vert (si possible de -0,8% à -1%) et hausse symétrique des indices boursiers (+2,5% en moyenne ce lundi 23 novembre).
Un écart à mettre en relation avec les 2,1% de hausse du 9 novembre ou les 1,6% du 16. Et nous ajouterons les 2,4% du 4 novembre parce que la Fed avait indiqué ce jour-là que changer de politique monétaire était prématuré, ce qui avait fait plonger le dollar de 1% face à l’euro — de 1,475 vers 1,4900.
Rien dans l’actualité économique du week-end ne justifiait a priori un rebond de 1% de l’euro et de 2% de Wall Street dès l’ouverture, si ce n’est une variation négative de la devise américaine.
▪ Un autre phénomène nous intriguait hier matin. L’extraordinaire stabilité des indices pendant plus de six heures et demie, dans une fourchette de variation de 0,2%. Cela semblait traduire un ramassage systématique à +1,5%, assorti de prises partielles de profits vers +1,7%, pour ménager la possibilité d’aller plus haut dans l’après-midi.
Ce fut bel et bien le cas lorsque les investisseurs découvrirent le spectaculaire rebond des reventes de logements anciens aux Etats-Unis au mois d’octobre (+10,1%) après une hausse — déjà surprenante — de 8,8% au mois de septembre.
Le CAC 40 s’est alors envolé en quelques minutes de 3 795 points vers 3 829 points, soit un gain de 100 points par rapport à la clôture de la veille. Si nous avions le moindre doute sur des fuites au profit des « bonnes personnes » — ceux qui démontrent chaque jour leur capacité à piloter l’évolution des indices boursiers avec une précision qui force l’admiration — toute ambiguïté était totalement dissipée dès 16h00.
▪ Nous avons donc ce lundi une double confirmation de ce qui nous « agace » — un doux euphémisme — depuis des mois !
Quelqu’un — mettez un pluriel si cela vous convient mieux — savait précisément quelle serait la teneur des chiffres américains du jour. La volonté de la Fed de faire monter Wall Street devient si patente que ses membres ne prennent même plus la peine de masquer leurs intentions derrière des formules alambiquées que seuls les initiés peuvent décoder.
James Bullard a dégainé l’artillerie lourde en expliquant que lui-même et ses collègues auraient l’intention de ne pas relever les taux directeur avant le début de l’année 2012. Une autre façon d’inviter les traders à laminer le dollar avec une visibilité de 24 mois, ce dont personne n’osait plus rêver depuis la visite de Barack Obama au Japon et en Chine ainsi qu’après les déclarations de Tim Geithner sur son attachement à la solidité du billet vert.
Faire bondir Wall Street de 2% d‘entrée de jeu — et les autres places occidentales dans les mêmes proportions — c’est également une manière à peine déguisée de soutenir le moral de nombreux consommateurs qui détiennent une épargne en actions et de les encourager à dépenser le plus possible lors du week-end prolongé de Thanksgiving en donnant un coup de pouce à l’effet de richesse.
Les opérateurs affichaient un large sourire. D’autant qu’ils disposent d’un argument imparable pour expliquer l’euphorie du marché : les ventes de logements anciens ont progressé nettement plus que prévu, grimpant de 10,1% aux Etats-Unis en octobre — selon des chiffres publiées par l’Association nationale des promoteurs immobiliers. Dans le même temps, l’or s’envolait vers de nouveaux records à 1 170 $ l’once. Il retraçait ses records historiques de mars 2008 exprimés en euro, soit 778 euros l’once.
Ce 23 novembre était d’autant plus propice à une hausse de l’or que la journée étaient consacrée à l’expiration des contrats Comex échéance décembre — exercice des options et livraison du physique à ceux qui en font la demande.
▪ Une séance technique qui coïncidait — par un coup de chance formidable — avec une chute du dollar que personne n’anticipait vendredi, et qui n’aurait jamais eu lieu sans la « maladresse » (parfaitement intentionnelle à notre avis) de James Bullard. Le Père Noël lui devra une fière chandelle si les Américains retrouvaient leur capacité à dépenser de l’argent qu’ils n’ont plus de façon exubérante.
Sa sortie du week-end coïncidait avec un relèvement des anticipations de croissance de la NABE (National Association of Business Economics). Elle prévoit une croissance de 3,2% en 2010 et une reprise des créations d’emplois aux Etats-Unis dès le second trimestre à venir.
Si ces projections s’avéraient exactes, la Fed devrait préparer dès maintenant les marchés à une stratégie de sortie de crise pour une mise en oeuvre progressive à partir du deuxième semestre 2010. De nombreux experts estiment déjà que ce serait trop tardif, l’instabilité actuelle du marché des changes exigerait une réaction plus rapide de Ben Bernanke et de ses collègues.
▪ En ce qui concerne la solvabilité des établissements de crédit et la perspectives d’une seconde vague de tsunami immobilier — avec une déferlante de créances pourries adossées aux prêts prime et Alt-A, la spécialiste du secteur bancaire, Meredith Whitney, enfonce le clou en déclarant que les stress tests réalisés au printemps n’ont plus aucun sens.
Il faut tenir compte aujourd’hui d’un taux de chômage ayant progressé de deux points alors que le taux de défaillance sur les créances hypothécaires a bondi en neuf mois de cinq points, passant de 9,5 à 14,5% — et probablement plus de 15% à la fin de l’année.
La catastrophe de l’automne 2008 a été provoquée par un taux de défaut de 8% sur l’ensemble des prêts immobiliers — la proportion atteignant 30% sur les subprime. Comment le système résistera-t-il avec un taux qui dépasserait les 16% (le double) début 2010 sur des montants empruntés bien plus importants (de 30% en moyenne sur les Alt-A) que ceux constatés il y a un an et avec des pertes de valeurs latentes de 20% à 40% sur les biens hypothéqués (contre -10% à -15% en 2008) ?
Difficile de nier qu’avec de tels écarts par rapport aux prix observés en sommet de bulle fin 2006/début 2007, quelques acheteurs se laissent tenter par des acquisitions présentant peu de risques de futures moins-values. Le rush vers l’immobilier du mois d’octobre s’explique principalement — et les établissements de crédit le confirment — par un soudain afflux de dossiers bénéficiant de la carotte fiscale de 8 000 $ pour les primo-accédants, une somme à déduire des impôts sur le revenu, à condition d’en payer un montant équivalent.
Le problème, c’est que ce ne sont pas ceux qui payent 8 000 $ d’income tax — et qui préfèrent être locataires — qui ont besoin d’aide. Les plus demandeurs d’un coup de pouce sont précisément ceux qui ne payent plus d’impôts parce qu’ils sont au chômage ou ceux qui sont surendettés — bien souvent parce qu’ils ont vu trop grand et cru en un avenir radieux.
▪ Wall Street (+1,3% au final) semble avoir réalisé lundi soir en seconde partie de séance que le miracle immobilier d’octobre ne se reproduirait ni en novembre ni en décembre. Les gains se sont réduits pratiquement de 40% sur le S&P 500 et le Dow Jones a terminé assez loin des 10 500 points — qui avaient été tutoyés au cours de la première demi-heure de cotations. L’euro s’est cogné la tête contre le plafond des 1,50 $ avant de rechuter vers 1,4950, tout comme lundi dernier.
Les records historiques de l’or sont peut-être une aubaine pour ceux qui en possèdent mais cela va faire clignoter de nouveaux signaux d’alerte un peu partout sur la planète au sujet de la vulnérabilité du billet vert.
Les principaux partenaires commerciaux de l’Amérique — nous pensons surtout au Japon et à la Chine — qui ont aussi leur mot à dire au sujet du carry trade anti-dollar, risquent de contraindre la Fed à revoir son discours concernant sa politique monétaire. Quitte à prendre à contre-pied ceux qui pensaient que ce serait Noël tous les lundis à Wall Street jusqu’au 31 décembre prochain.