▪ La musique s’arrête, les lumières s’éteignent et les invités sont fatigués ; la fête touche à sa fin. Pas celle du réveillon du 31 décembre, mais la fête sur les marchés qui devrait, elle aussi, appartenir au passé maintenant.
Bien sûr, la majorité des investisseurs reste extrêmement optimiste et ne voit rien venir. Au contraire des insiders, qui sont vendeurs nets depuis des mois. La fête ne devrait plus durer car elle repose sur l’effet de levier frénétiquement utilisé, en fin d’année, pour obtenir une performance positive, quitte à détruire de la valeur.
Bien évidement, l’ambiance est toujours aussi bonne. Les investisseurs ont gravi le mur des inquiétudes et les marchés ont fini l’année plus haut qu’ils ne l’avaient commencée. Mais le sentiment étant par nature passager, nous allons maintenant probablement entrer dans une phase de glissade — comme il s’en est déjà produit dans le passé dans des circonstances analogues.
▪ Un "suroptimisme" outrancier…
Selon les différents indicateurs disponibles, les niveaux d’optimisme sur les marchés approchent (ou même dépassent) ceux de fin avril/début mai et de début novembre. Deux périodes marquées par des plus hauts touchés par les indices et, suivies de peu par un net recul, comme le montre le graphique ci-dessous.
Cerise sur le gâteau, mai dernier a, en plus, accueilli le fameux "flash krach"– 10% de perte en séance — qui a apporté sa pierre à l’édifice de la dégringolade des mois de mai et de juin (près de 1 000 points évaporés sur le Dow Jones).
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Historiquement, de tels niveaux de "suroptimisme" n’ont plus été atteints depuis décembre 2007. Ils marquaient alors le sommet de cinq années de marchés haussiers quelques mois avant les subprime et le retournement de tendance qui a plombé les années suivantes.
L’histoire est-elle sur le point de se répéter ? Nous avons de fortes raisons de le croire. Le sprint haussier de fin d’année n’a été obtenu que par un recours acharné à l’effet de levier. En novembre dernier, la dette sur marge a atteint 274 milliards de dollars à la Bourse de New York. C’est plus de 30 milliards de plus qu’à la fin de l’été et, le plus haut niveau depuis septembre 2008.
Pourquoi ? Car les hedge funds ont compris que les stratégies sans effet de levier ne fonctionnent plus et se sont donc jetés dans le rush de fin d’année avec un endettement carabiné de trois voire quatre fois les fonds propres.
▪ …et pourtant les insiders versent dans l’ultra-pessimisme
Si le moindre incident venait à perturber cet instable équilibre, les appels de marge exploseraient et les hedge funds seraient contraints de liquider leurs positions pour y faire face. Exactement comme en septembre 2008 à la suite de la faillite Lehman Brothers.
Mais tout le monde n’est pas conscient de ce risque. La plupart des moutons continuent à danser en espérant que la musique ne s’arrêtera jamais. Ceux qui ont compris sont vendeurs depuis des mois : les initiés. C’est-à-dire les dirigeants de sociétés, qui sont tenus de révéler très rapidement leurs achats et leurs ventes de titres des sociétés dans lesquelles ils exercent.
Ces insiders sont justement largement vendeurs depuis octobre. Au cours des quarante dernières années, ils ont, en moyenne, vendu 2 à 2,5 fois plus d’actions qu’ils en ont achetées. Donc si ce ratio dépasse 2 ou 2,5, il faut considérer qu’ils vendent plus qu’à l’habitude, ce qui traduit un pessimisme quant à l’avenir de leur société. Et inversement, un niveau inférieur à deux prouve qu’ils sont particulièrement optimistes.
Mi-décembre, ce ratio dépassait sept ! Pour une action achetée par des initiés, ils en ont vendu sept. Un tel niveau n’avait plus été atteint depuis le 14 février 2007. Il était de près de cinq en octobre dernier. Le mouvement s’est donc accéléré en fin d’année, en même temps que s’intensifiait le recours à l’effet de levier sur les marchés.
De quel côté se trouve la sagesse, à votre avis ? Avec les naïfs qui croient que les arbres pousseront jusqu’au ciel ou avec ceux qui passent leur temps au coeur du système ? Bien entendu, avec la planche à billets de l’ami Ben, tout reste possible…
Pour ma part, j’ai fait mon choix.
[Marc Mayor est le fondateur et président d’Inside ALPHA, une entreprise helvétique spécialiste des approches financières éliminant le risque de marché (investissements dits "’neutres au marché"). Depuis plus de 10 ans, Marc analyse avec humour et sagacité le comportement des initiés de la Bourse, notamment dans les colonnes de sa rubrique hebdomadaire "Le Coin des Insiders"’, qui paraît chaque vendredi dans le quotidien financier L’Agefi (Suisse). Marc Mayor met également toute son expertise financière, ses analyses et ses recommandations au service des investisseurs particuliers dans le cadre de sa lettre d’information, La Lettre de Marc Mayor]
Première parution dans Le Billet du Trader le 14/01/2010