Par Emmanuel Gentilhomme (*)
Auprès de ses cousins, le palladium tient le rôle du mal-aimé de la famille des métaux platinoïdes (ou Platinum Grade Metals, PGM).
La preuve, il est moins connu que le platine, alors qu’on en extrait pourtant davantage ! Cette abondance est la première cause de ses soucis. La deuxième : l’opacité qui caractérise son marché dont le premier pourvoyeur n’est autre que la Russie.
Au bon plaisir du Gokhran
La Russie, qui fournit la moitié du palladium mis sur le marché, suit une logique qui échappe totalement à la compréhension occidentale — et donc à ses capacités d’anticipation.
Pour faire simple, des frictions entre clans provoquent l’attribution aléatoire des licences par le Gokhran, sorte d’agence des métaux précieux et des gemmes dépendant du ministère des Finances. Or ces sésames sont indispensables à l’exportation du métal.
Par exemple en 2006, des retards réglementaires russes sont directement responsables de la baisse de 4% de l’offre mondiale de palladium.
Les industries automobile, électronique et dentaire ne peuvent se passer du précieux métal et n’ont donc pas réduit leur consommation. Ce qui n’a pas été le cas de la joaillerie notamment (- 30%). Au final, la demande de palladium a chuté de 10% en 2006.
Enorme surplus de palladium
Pourtant, le palladium n’est en rien déprimé : son cours a même gagné 22% en 2006. Le Gokhran peut être fier de lui : il a réussi l’exploit de réduire ses ventes, ce qui a entraîné une hausse des prix malgré un excédent de métal de plus en plus élevé.
Car en 2005, l’offre de palladium excédait la demande d’un million d’onces, et en 2006 de 1,4 M oz. Ce surplus, le Gokhran en garde une partie sous le coude, sinon les cours s’effondreraient.
Si le Gokhran décide de tout — "la plupart des exportations russes de 2006 provenaient des stocks d’Etat",écrit Johnson Matthey –, il ne communique sur rien.
Même Johnson Matthey, numéro un mondial du raffinage de PGM, en est réduit à estimer l’offre de palladium russe… en fonction des statistiques de commercialisation de la Suisse. L’état des stocks "stratégiques" russes reste inconnu.
Revoilà les fonds…
Ce qui en dit long sur la qualité de l’information dont dispose le marché, et explique le caractère très spéculatif du palladium. Or qui sait le mieux profiter des "inefficiences du marché" ?
Bon sang, mais c’est bien sûr ! Ceux qui peuvent rassembler beaucoup d’argent, des informations privilégiées, et l’anonymat de leurs opérations : les fonds de couverture !
Selon Johnson Matthey, la catégorie "autres" représente 10% du total de la demande de palladium (après l’automobile, la joaillerie, l’électronique).
Je suis prêt à parier que ces "autres" sont en bonne partie des fonds qui disposent du savoir-faire technique leur permettant de jouer — et donc d’aggraver — la volatilité des prix, tout en se plaçant à long terme.
"Divagations d’un rédacteur esseulé", pensez-vous.
Ecoutons alors l’analyste en chef d’Heraeus, fondeur et affineur de métaux précieux allemand. Wolfgang Wrzesniok-Rossbach écrivait le 11 octobre dernier : "c’est plutôt une vague d’achats (de fonds) spéculatifs qui a emmené le cours de 347 $ à 380 $. Certains observateurs blâment une banque d’investissement basée à Londres, qui serait le principal acheteur. On rapporte aussi une activité récente sur le marché sur les options d’achat, qui a pu conduire à une hausse via la couverture de positions courtes".
En outre, les ETF sur le palladium suscitent déjà l’intérêt des investisseurs.
A guetter avec attention : la Chine !
Les fonds connaissent l’avidité de l’industrie automobile. Le 26 octobre, l’ami Wolfgang indiquait qu’"au cours d’une récente visite des bureaux d’Heraeus à Shanghai et Hong Kong, des collègues nous ont rapporté une forte demande du métal blanc de la part de l’industrie automobile chinoise".
En effet, le palladium est essentiellement utilisé dans les pots d’échappement des voitures à essence, majoritaires sur le "deuxième marché automobile au monde" qu’est la Chine.
Certes, par sa sensibilité aux prix, la demande de joaillerie a accusé un "coup de faiblesse". Mais comme les Chinois sont de loin les plus friands de bijoux de palladium, et que cette demande est jeune, nos fonds sont confiants.
C’est aussi l’opinion de notre analyste, qui indique que "le palladium attend sa classification formelle en tant que métal précieux par la Chine".
Sur le marché des métaux précieux de Shanghai, on ne négocie que de l’or, de l’argent et du platine. Ce qui ampute la demande de palladium, pour l’instant.
Car dans sa note du 2 novembre, M. Wrzesniok-Rossbach écrivait que "les choses pourraient changer à long terme. Si la demande automobile continue de progresser en Chine, plus tard en Inde et dans toute l’Asie, et que la demande de joaillerie continue de croître, la différence de prix entre le platine et le palladium pourrait se réduire".
Meilleures salutations,
Emmanuel Gentilhomme
Pour la Chronique Agora
(*) Journaliste et rédacteur financier, Emmanuel Gentilhomme a déjà collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale. Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macro-économie et à tous les domaines de l’investissement — et notamment aux ressources naturelles.
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