** L’attaque demeure la meilleure défense : voilà une maxime napoléonienne que le grand stratège et théoricien de l’art de la guerre Sun Tzu n’aurait pas désavouée.
Les Chinois, dont les produits laitiers à la mélamine sont désormais interdits d’exportation sur l’ensemble du globe et dont les jouets toxiques ou dangereux sont désormais boycottés par la moitié de la planète, ont décidé de passer à l’offensive. Ils ont annulé au dernier moment le sommet sino-européen de Lyon puis franco-chinois de Paris — prévus respectivement lundi et mardi prochains — afin de protester, selon l’excuse officielle, contre une rencontre prévue de longue date entre le Dalaï Lama et Nicolas Sarkozy (le 6 décembre en Pologne), président en exercice de l’UE.
Les communiqués officiels chinois sont ciselés dans la plus pure langue de bois en usage du temps des années de plomb du communisme le plus totalitaire.
Le ministre des Affaires étrangères, M. Qin Gang, s’exprimant au nom ou avec l’aval du Premier ministre Wen Jiabao, a en effet déclaré que "la date d’un futur sommet dépendra du moment où la France adoptera des mesures concrètes pour créer les bonnes conditions nécessaires pour qu’un tel événement ait lieu". Et d’ajouter : "le gouvernement et le peuple chinois s’opposent résolument à quelque activité séparatiste que ce soit du Dalaï Lama à l’étranger, ainsi qu’aux contacts que celui-ci entretient avec des dirigeants étrangers".
Sur les blogs (officiels) chinois circulent parallèlement des pamphlets présentant le Dalaï Lama comme une marionnette de la CIA, dont on sait aujourd’hui que l’exécutif est très divisé sur les questions internationales. Sans parler du fait que pour la CIA, le Tibet vient en 36ème position en termes de priorité, compte tenu de dossiers géostratégiques autrement plus brûlants depuis septembre 2001, à commencer par le Pakistan et l’Inde — au lendemain de la vague d’attentats anti-Occidentaux qui a ensanglanté Bombay.
L’opinion publique occidentale se laissera-t-elle abuser par la manoeuvre chinoise ?
** Il suffirait en effet de quelques dissensions entre les Européens (dans le registre "à qui la faute ?") pour que Pékin parvienne à diviser le front uni qui semble se constituer depuis quelques mois sur la question de l’industrie de la contrefaçon, dont la Chine reste le principal pourvoyeur (30% de la production mondiale).
Le faux affecte aussi bien le secteur de l’horlogerie et de la maroquinerie de luxe que les baladeurs numériques, les cosmétiques, les médicaments, les pièces de rechange automobile, les composants électroniques… sans oublier les "griffes" et le sportswear qui sont des incontournables depuis des décennies.
Ce sont en tout près de 200 000 emplois perdus en Occident, d’après les douanes et les études de divers ministères de l’Economie. Cette hémorragie devient insupportable en ces temps de crise où le chômage explose — +45 900 demandeurs d’emploi en France en octobre.
** S’agissant des aspects purement diplomatiques du "complot" dont la Chine se prétend victime par rapport aux visées prétendument séparatistes du Dalaï Lama, voilà bien une piètre manière de faire taire les critiques et faire oublier l’influence de Pékin au Soudan, alors que des millions d’êtres humains sont menacés pour leur survie au Darfour.
S’agissant des aspects économiques — et au-delà même des entorses aux règles commerciales dont la Chine s’est rendue coupable ces derniers mois –, il y a un sévère ralentissement de la croissance en interne, une fois passé le rush des Jeux olympiques. Pékin se retrouve confronté à un chômage de masse, à la fermeture de milliers d’usines et à un surstock d’articles impayés, destinés à l’export, dont les clients ne prennent plus livraison.
La Chine menace de reporter des commandes d’Airbus. Là non plus, il ne faut pas se laisser impressionner : ces avions ne seront pas fabriqués à Toulouse ou à Hambourg pour être livrés sans délai à l’empire du Milieu une fois peint sur l’empennage le logo des compagnies d’aviation locales.
La plupart des appareils seront en effet construits sur place, sous licence EADS, par des ouvriers chinois. Le report des commandes pénalise d’abord les salariés domestiques… mais il va soulager les banquiers de certaines compagnies chinoises qui s’étaient un peu emballées, se fiant à des projections de croissance du trafic aérien exagérément optimistes.
Un sommet franco-chinois, c’est fait pour signer des contrats… mais Pékin se retrouve aujourd’hui plutôt gêné aux entournures. L’impératif du moment est de réduire la voilure en termes de projets industriels et de consolider la demande interne.
Les incertitudes économiques ne sont certainement pas moins grandes dans l’empire du Milieu qu’en Europe ou aux Etats-Unis… sinon Pékin n’aurait jamais annoncé ce jeudi un abaissement de 108 points de base du taux directeur — soit quatre crans d’un coup puisque le "pas de variation" traditionnel de la banque centrale est de 27 points de base et non de 25 points comme en Occident.
Oui, décidément, le Dalaï Lama a bon dos ; ce coup d’éclat diplomatique incriminant Nicolas Sarkozy en dit finalement assez long sur la période difficile qu’affronte la Chine après plusieurs années de croissance à deux chiffres. Et l’essentiel, pour les dirigeants de l’empire du Milieu, quels que soient l’époque ou les circonstances, est de ne pas perdre la face !
** L’Europe ne va pas très fort non plus. L’indicateur du climat des affaires (BCI) dans l’Euroland a de nouveau décliné à -2,14 en novembre contre -1,34 en octobre, un chiffre confirmé en seconde lecture et qui est le plus faible depuis 1993.
L’indicateur du sentiment économique (ESI) a également poursuivi son recul en novembre dans l’Union européenne, baissant de 6,7 points, à 70,5 points et, dans la Zone euro, de 5,1 points à 74,9. Il a atteint son niveau le plus bas depuis janvier 1985 dans l’Union européenne et depuis août 1993 dans la Zone euro.
Mais à l’image du scénario observé à Wall Street mercredi soir, les investisseurs ont choisi de passer outre. Le CAC 40 a grimpé de 2,54% à 3 250 points grâce au réveil des valeurs financières qui bénéficient d’une rafale de rachats à bon compte. Parallèlement, le coûteux sauvetage de Citigroup par la Fed et le Trésor américain symbolise une volonté forte de ne pas laisser se répéter un scénario "à la Lehman" qui avait provoqué une panique boursière début octobre.
Les indices du Vieux Continent ont progressé de 2,3% en moyenne dans des volumes relativement faibles (chute de 50% de l’activité à Paris en 48 heures à 2,52 milliards d’euros) en raison de la fermeture des marchés aux Etats-Unis alors que les Américains célèbrent Thanksgiving — Wall Street ne rouvrira que pour une demi-journée cet après-midi.
L’espoir d’une sortie de crise fin 2009, même s’il demeure fragile et si la récession s’aggrave d’ici le printemps prochain, commence à renaître avec la présentation de divers plans de relance économique. L’Espagne met à son tour 11 milliards d’euros sur la table pour soutenir le secteur immobilier et fluidifier le marché du crédit. Laissons les marchés faire preuve d’un peu d’optimisme à l’approche des fêtes de fin d’année. Laissons-les faire sauter les bouchons… mais préparons nous à ce que les libations débouchent sur une sévère gueule de bois.
Philippe Béchade,
Paris