Sylvain Mathon (*)
Domestiquer la force d’un volcan, une utopie ?
Pas tout à fait : en Islande, aux Etats-Unis, en Russie, au Japon, au Mexique, aux Philippines, des centrales géothermiques existent. En Guadeloupe, le site bien nommé de Bouillante exploite deux centrales en espérant, d’ici à quelques années, assurer 10% de la production électrique guadeloupéenne : une force d’appoint non négligeable. L’île de la Réunion a lancé à son tour un chantier d’exploration, notamment autour du redoutable Piton de la Fournaise.
Si vous pensez que les applications de la géothermie se résument à des installations spectaculaires sur une poignée de sites très spécifiques, il est temps de réviser votre opinion. Je vous promets que nous allons parler de technologies beaucoup plus générales que cela… et potentiellement très lucratives.
D’où vient cette chaleur ?
Notre planète est une centrale nucléaire à elle toute seule. On savait depuis longtemps qu’elle recèle en son coeur, à quelque 6 000 km sous le niveau de la mer, du magma en fusion ; mais c’est depuis quelques décennies seulement que l’on est en mesure d’estimer l’ampleur des phénomènes à l’oeuvre.
D’où vient cette chaleur ? Pour l’essentiel, de réactions nucléaires : la désintégration des isotopes à vie longue d’uranium, de thorium et de potassium qui abondent à l’intérieur du noyau.
Les capacités énergétiques de cette centrale géologique donnent le vertige. On sait désormais que la terre n’est pas en équilibre thermique : elle refroidit lentement et aurait perdu, jusqu’ici, de l’ordre de 300 à 350°C sur ses trois milliards d’années d’existence… Pour une température, au coeur du noyau, estimée à 4 000°C environ.
Cinquante mille centrales nucléaires sous nos pieds !
Pour vous donner une idée, le flux calorique total de la planète s’élèverait à 42 millions de MW… Soit plus de 110 fois la capacité nucléaire totale en activité dans le monde : nous avons sous nos pieds l’équivalent de près de cinquante mille de nos centrales nucléaires !
Reste à savoir comment en profiter…
La tectonique des plaques a suffisamment bouleversé les sous-sols pour faire affleurer, en quelques points de la planète, ces ressources thermiques colossales. Dès le 19ème siècle, les pays qui avaient la chance d’en disposer ont commencé à implanter des équipements, soit pour la génération d’électricité (par vapeur et turbines), soit pour le chauffage.
En termes de capacité électrique, les grands pays de la géothermie sont aujourd’hui les Etats-Unis, les Philippines (cette énergie compte pour un quart de leur production électrique), puis le Mexique, l’Indonésie et l’Italie. Dans le domaine des applications non-électriques, les leaders sont la Chine, le Japon, les Etats-Unis, l’Islande ou la Turquie.
On n’a pas besoin d’un volcan ni de sources chaudes pour exploiter ce potentiel
Un véritable trésor énergétique dort sous nos pieds. A l’heure où la flambée des cours et la pénurie des ressources nous obligent à faire "feu de tout bois", ce trésor commence à susciter des appétits bien au-delà des rares endroits où son exploitation est commode…
Car les applications de la géothermie ne se limitent pas aux situations géologiques exceptionnelles. On n’a pas besoin d’un volcan ni de sources chaudes pour exploiter ce potentiel ; et personne n’a dit qu’il fallait forcément des températures extrêmes. Cela ouvre des perspectives prometteuses, bien au-delà des seules régions volcaniques. Je ne vous dis pas qu’on peut ouvrir des centrales géothermiques n’importe où sur la planète, mais les possibilités sont plus larges qu’on pourrait le penser.
La chaleur captée dépend directement de la profondeur du forage
Plus on s’enfonce, plus la température augmente. C’est ce qu’on appelle le "gradient géothermique" : on estime que la température de la croûte terrestre augmente en moyenne de 20 à 30 degrés tous les kilomètres.
On peut espérer atteindre 60°C à 2 ou 3 km de profondeur… 100°C à 4 ou 5 km… Et selon ces calculs, passé 10 km, la quantité de chaleur que recèle notre globe vaudrait au moins cinquante fois la totalité de nos ressources en hydrocarbures !
Mais pas besoin de descendre aussi profond pour profiter des bienfaits du sous-sol. Il existe en fait trois façons d’exploiter cette ressource.
La géothermie à haute énergie
C’est la plus compliquée à mettre en oeuvre : elle consiste à forer dans des nappes d’eau souterraine très chaudes (plus de 100°C), afin d’alimenter les turbines d’une centrale électrique à l’aide de la vapeur libérée.
La géothermie dite de basse énergie
C’est la plus ancienne — celle des thermes. Il s’agit ici de capter l’eau chaude d’une température supérieure à 30°C des nappes profondes pour la remonter à la surface et l’utiliser directement. Son principal emploi est le chauffage urbain ou industriel.
La géothermie de très basse énergie
Elle consiste à exploiter la chaleur emmagasinée à une faible profondeur. Sauf situation particulière, le manteau terrestre ne joue ici guère de rôle. C’est surtout le rayonnement solaire qui compte.
Néanmoins la très basse énergie est sans doute l’application la plus prometteuse, dans la mesure où on peut l’appliquer en tout point de la planète. Vous la connaissez sans doute sous la forme des pompes à chaleur. Leur fonctionnement s’apparente à celui d’un réfrigérateur : elles peuvent chauffer l’hiver ou rafraîchir l’été, en exploitant les différences de température entre deux environnements.
Elles équipent la quasi-totalité des bâtiments neufs en Suède. Ces équipements doivent fonctionner à l’électricité ; mais en mode chauffage, ils restituent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Les pompes à chaleur géothermiques (avec prise de terre) se révèlent plus coûteuses, mais aussi plus efficaces que leurs homologues à prise d’air.
La suite dès demain…
Meilleures salutations,
Sylvain Mathon
Pour la Chronique Agora
(*) Globe-trotter invétéré et analyste averti, Sylvain Mathon, est un peu "notre" Jim Rogers… Après avoir travaillé durant dix ans au service de grandes salles de marché, il met depuis février 2007 toute son expertise en matière de finances et de matières premières au service des investisseurs individuels dans le cadre de Matières à Profits, une lettre consacrée exclusivement aux ressources naturelles… et à tous les moyens d’en profiter. Il intervient régulièrement dans l‘Edito Matières Premières.