Par Emmanuel Gentilhomme (*)
Les stocks privés : finauds !
Venons-en aux plus retors des stocks : les stocks privés en dehors du marché, dont nous savons bien peu choses. Mais ils sont là : mi-juin, les agences de presse rapportaient que l’aluminier russe Rusal, empêtré dans son endettement en devises, venait de vendre 500 000 t d’aluminium à l’un de ses actionnaires, le sulfureux courtier suisse en matières premières Glencore.
Des sources estiment qu’il s’agirait plutôt de 900 000 t, et que Glencore aurait payé cash… Que peut bien en faire le groupe de Baar, dans le canton de Zoug, sinon se poster en embuscade pour revendre au meilleur prix ?
D’ailleurs, voici une autre rumeur provenant des courtiers et de raffineurs chinois : des stocks privés d’aluminium se multiplieraient en Chine, au point d’atteindre environ 350 000 t. Comme tel est le cas avec le cuivre, les négociants préfèrent vendre en Chine où la tonne d’aluminium se paie jusqu’à plus ou moins 200 $ de plus qu’ailleurs. Curieux, non ?
Les stocks de marché "captifs" changent la donne
Ecoutons Herwig Schmidt, économiste et patron des ventes de Triland Metals, le courtier en métaux non ferreux de Mitsubishi : contacté par L’Edito Matières Premières & Devises, il confirme nos calculs de stocks et précise que "le ratio stock/demande d’aluminium est bien supérieur à sa moyenne historique".
Pourtant les prix montent, ce qui est illogique alors que la demande marque le pas. Des primes, témoins de rareté, sont même apparues en Chine.
En fait, certains de ces stocks ne sont pas ce qu’ils paraissent. Prenons le cas du LME : les stocks de ce marché appartiennent à quelqu’un qui, en temps normal, est prêt à les céder. Mais en temps de crise, nous indique Herwig Schmidt du haut de ses 30 ans de métier, ces stocks croissent et changent de nature.
Quand le LME permet le prêt sur gages…
En effet, le métal conservé au LME équivaut à sa valeur en cash, alors qu’il se trouverait décoté s’il était stocké dans d’autres conditions. Bref, l’aluminium du LME peut aussi être un "collatéral", nous dit Herwig Schmidt. Les industriels de l’aluminium ont l’habitude de placer leur excédent de métal auprès du LME.
Par un accord passé avec des banquiers, nos industriels obtiennent un prêt d’une valeur équivalente à celle du métal. Or en temps de crise, le métal est aussi surabondant que le cash fait défaut. Vous voyez où je veux en venir : les stocks du LME se gonflent de métal qui n’est pas immédiatement disponible, puisqu’il est la contrepartie d’un prêt.
Toute la question est d’en savoir plus sur ces prêts. Le 23 juin, le cabinet texan d’intelligence économique Harbor, spécialisé notamment dans l’aluminium, indiquait qu’"au moins 70% du stock d’aluminium du LME "est ainsi engagé dans des contrats de financement "dont la durée va de 90 jours jusqu’à un an".
Dommages "collatéraux" ?
Triland est d’accord sur une proportion "collatéralisée" des stocks d’aluminium du LME de 70 à 80%, alors qu’elle était en mai 2008 d’"un peu plus de 50%".
Attention : non seulement le pourcentage a augmenté, mais sa nature a changé. Aujourd’hui, les contrats courent de trois mois à plus d’un an, indique Triland qui diverge ainsi légèrement de Harbor. En mai 2008, ils portaient sur des durées "beaucoup plus courtes", indique Herwig Schmidt.
Tant que les contrats ne seront pas débouclés, ces vrais-faux stocks entretiennent la rareté. Mais "ce métal n’est que temporairement retiré du marché, au-dessus duquel il continue de planer", commente l’économiste.
Avant de fondre sur sa proie comme un oiseau de mauvais augure ? La question mérite d’être posée, d’autant que les stocks du LME ne sont pas les seuls à attendre d’être transformés en canettes…
Meilleures salutations,
Emmanuel Gentilhomme
Pour la Chronique Agora
(*) Emmanuel Gentilhomme est journaliste et rédacteur financier. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale. Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macroéconomie et à tous les domaines de l’investissement. Il participe régulièrement à l’Edito Matières Premières & Devises.