** La réouverture de Wall Street a pris beaucoup d’analystes et de traders à contre-pied hier : les indices américains étaient attendu stables lundi matin, puis en baisse le midi même avec l’émission d’un profit warning par Citigroup. A 15h30, cependant, ce fut la surprise du chef avec le franchissement quasi immédiat des 14 000 par le Dow Jones, et un gain de 0,5% des « technos » malgré la chute de 10% de Garmin, la vedette incontestée du Nasdaq depuis le début de l’année.
A mi-séance, le Dow Jones affichait pas moins de +150 points et un nouveau record absolu à 14 055 points. Les investisseurs européens — encore sous le coup du profit warning d’UBS — allaient soudain oublier tous leurs soucis et se mettre à devancer les indices américains, puisque le CAC 40 repassait rapidement de -0,1% vers 15h30 à +1% à 17h30… alors que le S&P 500 ne gagnait encore que 0,6% et n’a mis le turbo qu’à partir de 18h15/18h30.
Quel formidable sens de l’anticipation !
Quelques heures auparavant, la seule préoccupation des marchés était de cerner l’ampleur des conséquences de la crise du subprime sur les grandes banques d’investissement. UBS avait littéralement plombé l’ensemble du secteur bancaire européen (qui chutait de 1,5% en moyenne lundi matin) en révélant tout d’un coup l’ampleur des pertes générées par les prises de position de sa branche « revenus fixes, taux et change » — baptisée FIRC pour les initiés — sur le marché des dérivés de crédit.
UBS dévoile un trou de 500 millions d’euros minimum, invoquant la détérioration continue des conditions du marché hypothécaire résidentiel à risque aux Etats-Unis. Cependant, la faillite de New Century Financial remonte à la fin du mois de février ; pourquoi avoir attendu six mois avant de déclencher une opération vérité ? Et si celle-ci ne devait pas être la dernière ? Après UBS… à qui le tour ?
** La réponse n’allait pas tarder à fuser : Citigroup voit 60% de son bénéfice trimestriel se volatiliser pour le même motif… c’est-à-dire non seulement du fait de la crise du subprime, mais aussi — et c’est la grande nouveauté que nous guettions depuis fin juillet — pour cause de dégradation du crédit marché du crédit à la consommation (avec les mêmes problèmes d’insolvabilité rencontrés par les emprunteurs à risque).
Wall Street n’a pas tenu compte de cet avertissement, pas plus que des signes concordants d’essoufflement de la croissance américaine. Les chiffres du jour dans ce domaine ne plaidaient pas davantage en faveur d’une poussée d’euphorie indicielle puisque l’indice d’activité du secteur manufacturier a marqué le pas en septembre, comme le démontre l’enquête publiée par l’Institute for Supply Management.
L’indice ISM se tasse à 52 contre 52,9 au mois d’août, alors que l’estimation moyenne des économistes ressortait un peu au-dessus de ce chiffre, à 52,5… ce qui signifie que l’effet de surprise ne saurait expliquer le re-franchissement en force des 14 000 points.
** Mais vous n’allez pas être au bout de vos surprises… car à la mi-séance, Citigroup affichait une flambée de 2,5% et s’emparait de la place de leader du Dow Jones.
Seule explication bredouillée par des commentateurs incrédules : le marché — il a bon dos, « le marché »… autant invoquer David Copperfield ou la planche à billet de la Fed — semble estimer que « cela aurait pu être pire » !
Tout le secteur financier semblait saisi d’une soudaine frénésie avec Lehman Brothers, J.P. Morgan et Merrill Lynch qui s’adjugeaient entre 1,5% et 2%… et American Express 1,4%.
Mis à part General Motors qui cède 1,2%, deux titres seulement figuraient dans le rouge (Alcoa et AT&T) — mais ils ne s’effritaient pas de plus de 0,4%.
Le fil des actualités micro- ou macro-économiques ne recelait guère de raisons de se ruer indistinctement sur l’ensemble des compartiments de la cote (sauf le secteur automobile). Il faut donc maintenant évoquer la véritable raison d’une série de records véritablement miraculeux compte tenu de ce que nous savons de l’état de l’économie américaine et des perspectives ouvertes par l’effondrement de la bulle immobilière.
Nous voyons la désarmante efficacité des achats techniques de début de quatrième trimestre, relayés par des programmes informatisés qui déclenchent des stops au-delà des précédentes résistances historiques. Cela se traduit par la formation d’une spirale haussière qui s’auto-alimente, et où la décision et le jugement humain n’ont guère leur place.
Si l’on envisage que la hausse du 1er octobre correspond à une volonté délibérée, à un plan préétabli, nous nous situons alors dans la pure manipulation des cours — et nous assistons à une tentative de substituer une bulle à une autre. Cela afin de générer un sentiment de richesse tout aussi fallacieux et au fondement aussi malsain (du point de vue économique — n’y voyez pas de jugement moral — que le précédent, s’agissant de l’extraction de valeur du patrimoine immobilier qui enferrait les ménages dans le piège de la dette à taux variable. Mais comme pour les narguer, Wall Street entonne son nouvel hymne à la joie : « la nouvelle bulle boursière déboule, laissez-vous emballer ! »
Philippe Béchade
Paris