Marchés et planche à billets ont pris le relais des entreprises, ces dernières années. Le monstre financier et monétaire a échappé à ses créateurs – désormais, votre argent n’a plus le moindre sens.
Comme nous l’avons analysé hier, la fonction spéculative a créé les organes et les produits, les dérivés, les assurances, les modèles, les théories.
Pourquoi s’arrêter, pourquoi être raisonnable ? Alan Greenspan lui-même croyait que c’était une nouvelle ère. L’horizon c’est l’infini, puisque tous les problèmes se réduisent à des problèmes de liquidité.
Le monde est illimité, continu, dérivable, linéaire, et il n’y a même plus pénurie des occasions rentables d’investir puisque l’on peut créer des produits mathématiques de plus en plus performants avec les modèles probabilistes.
La suite, vous la connaissez peut-être : Greenspan essaie de remonter les taux en 1994 et déclenche une crise de deleveraging sanglante. Il est ainsi prouvé en pratique que quand on a mené des politiques monétaires de type inflationniste et utilisé les liquidités comme filet de sécurité, il n’est plus possible de resserrer et de retirer les liquidités, fussent-elles excédentaires.
C’est ce que j’ai affirmé à l’époque : pas de possibilité de retour en arrière, il n’y a qu’une voie, celle du toujours plus, marche ou crève.
Et il faut aller plus loin malgré l’épuisement des filons de rentabilité réelle, il faut créer des instruments bidons pour répondre à la demande. On peut par la titrisation transformer le plomb en or et l’eau des égouts en eau potable. Qu’à cela ne tienne, on y va.
Crises à répétition et liquidités infinies
Crise mexicaine, crise asiatique, crise LTCM, crise russe, bug de l’an 2000, crise du Nasdaq, crise du crédit pourri en 2002… Tout est prétexte incontournable à création de crédit et donc de liquidités.
On éponge tout cela par une nouvelle vague de stupidité, la vague du logement. Le logement devient le moteur de la reflation financière et de l’économie avec les innovations de plus en plus douteuses et spoliatrices.
Tout cela débouche bien sûr sur une crise encore plus sanglante et plus profonde que les précédentes, car les sommes en jeu montent de façon exponentielle.
Greenspan faisait de la prose inflationniste sans le savoir, sans l’avoir théorisé… mais voici Bernanke, théoricien qui a dans sa musette des idées toutes faites issues de son incompréhension de la crise de 1929.
Notre Bernanke est l’homme de la situation, il croit posséder la science infuse de la reflation. C’est alors le temps de la fameuse planche à billets qui peut tout et ne coûte rien, le temps de l’ »helicopter money« .
Une plus grosse bulle pour réparer la précédente
Pour nettoyer les éclaboussures de l’éclatement de la bulle immobilière – vous savez, celle qui a succédé à la bulle du Nasdaq – on va souffler une nouvelle bulle, celle des emprunts d’Etat.
On va utiliser le pouvoir d’endettement du gouvernement pour créer les 2 000 Mds$ de dollars de dettes dont a besoin le système américain pour échapper à la faillite.
C’est la fameuse trouvaille/opération du risk-off : on fait croire aux gens que, quand la peur est là, il suffit de se mettre à l’abri en achetant des emprunts d’Etat. En clair on transfère le risque du privé sur le public… et on dit qu’il a les reins solides !
Greenspan avait utilisé toutes les armes, toutes les astuces monétaires pour soutenir le crédit et en produire plus. Bernanke a réussi à en rajouter deux autres : la première, c’est le bilan de la Fed ; la seconde c’est le tourniquet du financement à long terme des hypothèques et du gouvernement – la monétisation du long terme.
C’est la destruction progressive de la monnaie
Quand on est parvenu à l’institution de dernier ressort, alors il ne reste qu’une possibilité pour aller plus loin, avilir, détruire ce en quoi les dettes sont libellées : la monnaie.
Mais il faut que, comme du temps de l’utilisation de l’inflation des prix des biens de consommation, cela reste discret, secret : il faut que cela puisse durer longtemps.
Tout est porté à un niveau supérieur de manipulation et de sophistication à dominante mathématique.
La manipulation des taux, des spreads, des incitations au levier, des perceptions, de la psychologie, doit sans cesse être raffinée. Il faut tripatouiller le réel – si on ose encore appeler cela le réel –, mais il faut de proche en proche tout contrôler. C’est le temps des fameuses guidances, des promesses, des billevesées et des vessies transformées en lanternes…
Dans un univers de plus en plus complexe, mondialisé, gorgé de liquidités spéculatives en quête d’emploi, il faut transmettre, faire en sorte que les spéculateurs fassent ce qui est souhaité avec le handicap d’un jeu de cache-cache, le handicap croissant de l’apprentissage et des progrès de la connaissance.
Plus rien n’est simple, linéaire, tout est théorie des jeux. Formidable bataille.
Les Martiens à la rescousse
La monétisation, le financement par avilissement potentiel de la monnaie devient donc le dernier remède. Après il n’y en a plus d’autre… car à part endetter la planète Mars on ne voit plus qui peut s’endetter pour sauver l’Etat, le gouvernement, le couple gouvernement/banque centrale.
Alors on invente un nouveau mythe qui succède à celui du risk-on/risk off : celui de l’infaillibilité du gouvernement. On invente l’idée qu’il ne peut pas faire faillite, que les déficits n’ont aucune importance, et qu’il sera toujours solvable.
Pourquoi ne peut-il faire faillite ? La réponse est simple : parce qu’il a à sa disposition la planche à billets, il peut toujours créer, produire autant de monnaie qu’il en a besoin pour payer ses dettes.
Et comment cela se réalise-t-il ? Par l’émission de fausse monnaie, émission de monnaie non gagée, non orthodoxe, c’est-à-dire par l’émission à jets continus de monnaie qui n’est plus de la monnaie, qui n’est plus réserve de valeur mais qui est un simple signe, un jeton.
Si la monnaie change de nature, est-ce que vous vous étonnez si toutes les règles, si tout ce que l’on sait sur la monnaie devient obsolète, périmé, inadapté à sa gestion ?
En détruisant la monnaie telle que nous l’avons connue, étudiée et mise en place, on détruit par le même coup tout le corpus de savoir qui a été accumulé : il devient caduc.
Les théories monétaires, les théories des banques centrales, ont été créées pour dompter une créature qui a muté, qui n’est plus ce qu’elle était et qui n’est plus ce pourquoi elle était utile, intelligible.