*** La chute de 40% à 50% enregistrée par les indices occidentaux en tout juste 12 mois constitue-t-elle une porte d’entrée historique pour des investisseurs qui parient sur une remontée des marchés à moyen terme ?… A moins que le prochain rebond de 10% ou 15% des indices ne soit le dernier soupirail par lequel prendre la fuite avant que l’Eurofirst 300 ou le S&P 500 perdent 50% de leur valeur, à l’image d’un AIG ou d’un Lehman ?
Pour ne rien vous cacher, les professionnels se trouvent confrontés à ce genre d’alternative lors de chaque crise boursière majeure (krach de 1987, première guerre du Golfe, crise asiatique de 1997, effondrement de LTCM, désintégration des dot.com…).
Mais pour la première fois en 23 ans de carrière, je trouve les arguments des traders, gérants, analystes, conseillers de clientèle, chroniqueurs boursiers très convaincants dans l’exercice consistant à nous décrire un futur apocalyptique !
Et pour cause, ils viennent d’embrasser, avec la ferveur des nouveaux convertis, les thèses développées dans nos Chroniques depuis 2006 — quelques mois avant que l’extraction de valeur du secteur immobilier se transforme en extraction de douleur et de negative equity.
Toute tentative de convaincre les plus abattus d’entre eux que les gouvernements ont pris la mesure de l’ampleur du cataclysme systémique qui menace et n’auront d’autre choix que d’adopter des mesure non pas idéologiques mais pragmatiques s’avère sans effet.
** Il faut dire que l’actualité regorge de symptômes anxiogènes. A commencer par le portait que Ben Bernanke brosse d’une Amérique qui n’en a pas terminé avec les déboires des banques et la contraction de l’activité dans le secteur immobilier.
A ce propos, le prix médian des maisons vendues le mois dernier en Californie est tombé à 308 500 $, au plus bas depuis le printemps 2003 (contre 475 000 $ deux ans auparavant). La surprise vient du nombre de transactions, lequel aurait augmenté de 65% par rapport à septembre 2007… Hélas, la moitié de ce total provient de ventes aux enchères de maisons saisies par les banques créancières.
Le patron de la Fed évoque la nécessité de mesures de relance complémentaires. Il évoque également la sempiternelle piste du stimulus fiscal mais ajoute que les législateurs devront se montrer très prudents.
A Camp David, G.W. Bush a mentionné le principe d’un nouveau plan d’aide aux entreprises et aux emprunteurs en difficulté mais le montant de l’enveloppe reste à déterminer. Il faudrait pourtant qu’elle soit copieuse… une vraie révolution culturelle aux Etats-Unis où l’argent va à l’argent et non vers ceux qui en ont le plus besoin.
Joseph Stieglitz, qui s’exprimait ce lundi sur CNBC, était sur la même longueur d’onde que Juan Somavie, le directeur général du Bureau international du travail (BIT) : nous n’assistons pas seulement à une crise qui accable Wall Street, c’est aussi une crise qui frappe main street (NDLR : "Joe le plombier" qui habite la rue principale), c’est-à-dire l’économie réelle. Cela pourrait se traduire concrètement par 20 millions de chômeurs supplémentaires d’ici fin 2009 puis 40 millions de travailleurs pauvres supplémentaires en Occident.
Imaginez, dans ces conditions, la violence du ralentissement de la consommation et de la contraction du PIB aux Etats-Unis, où aucun filet de protection sociale n’existe.
** Les professionnels de la finance, en tout cas, se l’imaginent très bien — c’est pourquoi ils sont aussi pessimistes. La pauvreté et la frustration devaient être vaincues éternellement par le crédit (à l’exclusion de tout autre artifice redistributif à la charge du contribuable)… Or il n’y a plus de crédit pour les particuliers, les promoteurs et les entreprises — et par voie de conséquence, plus de juteuses commissions pour les prêteurs sans états d’âme et les brasseurs d’argent virtuel à effet de levier.
Nous avons le sentiment que nombre d’acteurs du système financier éprouvent la même sensation qu’une équipe de football menacée d’une relégation en seconde division et qui vient de prendre un sept à zéro à l’issue d’un match couperet.
Une lourde défaite qui signifie pour chacun d’entre eux une longue traversée du désert, des séances d’entraînement sans supporters et sans autographes, de mornes soirées en discothèque sans accès privilégié au carré VIP, des voitures banales et économes en carburant, des gérants de club qui rognent sur toutes les dépenses et qui organisent les déplacements des joueurs en autocars — sans toilettes et sans boissons fraîches — plutôt qu’en jets privés.
Les derniers dîners à 100 000 euros à Monaco, des séjours "commerciaux" à 400 000 $ dans des palaces californiens… c’est un peu comme si l’on vidait les dernières bouteilles de champagne dans le fumoir du Titanic avant que les lumières s’éteignent et que le paquebot s’engloutisse dans les eaux glacées des mers arctiques.
Oui vraiment, le moral de nombreux professionnels est prêt à basculer dans le fatalisme le plus radical pour peu qu’une grêle de mauvais trimestriels ou de profit warnings (comme ce fut le cas lundi pour Véolia Environnement, en chute libre de 23%) hache menu le cours de bourse de quelques poids lourds de la cote.
** Remarquons au passage que le numéro un mondial des technologies d’assainissement et de traitement des déchets a vu sa capitalisation boursière divisée par trois en neuf mois. Parallèlement, la réduction du coupon 2009 n’est aucunement à l’ordre du jour même si la capacité d’autofinancement se contracte de 6% du fait de conditions macro-économiques et de crédit exceptionnellement défavorables… mais aucun compte n’est tenu de la chute de 50% du prix du pétrole qui pesait fortement sur les marges (Véolia avoue ne pas avoir été en mesure de répercuter l’intégralité des surcoûts).
Toute référence à une "valeur d’entreprise" a été balayée par la "juste fureur" d’analystes (comme ceux de Natixis, une banque dont le parcours boursier et la gouvernance sont un exemple pour l’élite du CAC 40) pour qui 60% de repli depuis le 1er janvier ne suffisaient pas à sanctionner la baisse de régime et la communication peu transparente de la direction de Véolia cette année.
A -71% désormais, ils doivent estimer que le titre — qui offre désormais 6% de rendement — est beaucoup plus à sa place dans le milieu de tableau de la hiérarchie mondiale des champions du recyclage, à portée d’OPA de nombreux prédateurs potentiels.
** Malgré cet incident, la bourse de Paris a clôturé au plus haut du jour, sur un gain supérieur à 3,5%. Les valeurs françaises se sont hissées au-delà des meilleurs niveaux inscrits après la publication des indicateurs avancés du Conference Board (+0,3% en septembre alors que les économistes attendaient en moyenne un repli d’une ampleur équivalente).
Excellent sens de l’anticipation des opérateurs européens puisque l’Euro-Stoxx 50, en gagnant 3,5%, a balisé le terrain pour une envolée un peu inattendue de 4,5% de Wall Street — qui s’était montré bien hésitant vendredi à l’issue de la séance très technique des "Trois sorcières".
Les vedettes du jour lundi soir sur le NYSE furent les valeurs parapétrolières puisque le secteur a flambé de 15% (ce n’est qu’une moyenne), dans le sillage de Schlumberger (+11,5%) dont les profits trimestriels s’avèrent supérieurs aux prévisions.
Des géants comme Exxon et Chevron ont explosé de 10% et 11,6% respectivement, Halliburton de 14%, Peabody Energy de 18% et National Oilwell de 22%. 48 heures auparavant, une série d’études négatives pleuvaient sur les leaders des services pétroliers puisque le baril ne valait plus rien et que les pays producteurs ne disposaient pas d’assez de personnel pour fermer dans l’urgence les vannes qui submergeaient la planète d’un flux d’or noir inutile.
Et la machine à broyer du noir des investisseurs, ne se serait-elle pas également emballée ces dernières semaines ? C’est peut-être celle là dont il s’agirait de réduire (provisoirement) le débit…
Philippe Béchade,
Paris