▪ La remontée de 500 points du Dow Jones du 31 août au 3 septembre présente plus que de troublantes similitudes avec les rebonds explosifs du 8 au 15 juin puis du 6 au 13 juillet dernier (qui s’étaient soldés par des écarts de +600 et +700 points en une poignée de séances).
Les investisseurs américains ne manqueront pas de constater — puisqu’ils disposaient de trois jours pour faire le point, en ce long week-end de Labor Day — que le compte n’y est pas tout à fait. Il manque une centaine de points pour que le Dow égale les deux rebonds évoqués ci-dessus.
Cela pourrait nous valoir une nouvelle progression de Wall Street au cours des prochaines heures sans qu’il soit nécessaire d’invoquer à nouveau des chiffres "moins mauvais que prévus" (en continuant d’ignorer superbement les mauvais). Les vagues d’euphorie ne cessent de succéder à des accès de déprime tout aussi radicaux — sans qu’une véritable logique d’investisseur moyen terme ne parvienne à se dégager, ni même s’exprimer.
La seule véritable logique qui s’impose est archi-court termiste. Elle consiste à se précipiter pour agir dès qu’un mouvement de cours s’amorce, sans remettre en cause les raisons ou les conditions techniques sous-jacentes.
Ceci explique un manque de participation (faiblesse des volumes) : tout va beaucoup trop vite pour que les gérants n’ayant pas succombé au "tout indiciel" — les ordinateurs s’en sortent dans ce cas bien mieux que les hommes — suivent le mouvement.
De plus, la (grosse) ficelle des contrepieds systématiques et savamment orchestrés commence à être un peu usée. Beaucoup de traders ont bien compris qu’adhérer à un consensus haussier ou baissier, c’est s’exposer immanquablement à perdre de l’argent.
▪ Les meilleurs traders se targuent de ne surtout rien penser du marché, de la conjoncture, du climat social. Idem pour les pénuries de céréales qui déclenchent actuellement de nouvelles émeutes de la faim dans les pays les plus déshérités d’Asie ou d’Afrique.
Les spécialistes des soft commodities (blé, maïs, soja, riz…) observent que par ailleurs, les cours sont tendus du fait de l’interdiction d’exporter le blé russe édictée par Vladimir Poutine (un oukase valable jusqu’en 2011). Toutefois, ils n’atteignent pas les niveaux record observés au début de l’année 2008 : il y a une explication… mais elle fait froid dans le dos.
Entre sécheresses au nord et inondations au sud du continent asiatique, l’année 2010 pourrait se solder par un déficit de production céréalière plus sévère qu’en 2007. Mais s’il y a moins de blé sur le marché, il y a également moins d’acheteurs potentiels car certains pays, durement frappés par la crise, ne sont pas solvables, ou beaucoup moins qu’en 2008 !
C’est également une occasion de toucher du doigt à quel point la croissance des années 2004/2007 fut inégalitaire, y compris parmi les pays producteurs de matières premières. On peut également constater de quelle façon la crise de 2008 a accru les difficultés des pays débiteurs qui n’ont pas la chance de pouvoir imprimer des dollars à volonté avec la certitude de trouver des créanciers peu sourcilleux comme la Chine ou le Japon.
▪ Car le Japon demeure — quelles que soient ses propres difficultés et le niveau astronomique de sa dette publique — le premier acheteur de bons du Trésor américains. Un titre à notre avis peu enviable, que la Chine s’efforce, bien malgré elle, de lui ravir depuis des années.
Quand nous entendons des spécialistes du marché des changes nous présenter le yen comme la devise de réserve de l’année 2010 (c’est difficilement contestable vu son parcours haussier face au dollar et à l’euro depuis le 1er janvier), nous ne pouvons nous empêcher d’écarquiller les yeux. Notre préférence allait nettement au real brésilien, au dollar canadien ou au dollar australien, mais nous n’avons pas d’autre choix que de nous incliner devant les évidences.
En revanche, nous restons convaincu que l’envolée de 15% du yen ces huit derniers mois ne résulte pas à proprement parler d’un choix mais d’un arbitrage au détriment du dollar… dont nul ne devrait songer à se réjouir. Les Japonais sont les premiers à déplorer ce phénomène — mais ils s’avèrent totalement impuissants à l’enrayer : ils récoltent d’une certaine façon ce qu’ils ont semé depuis la fin des années 90.
La Banque centrale nippone a en effet largement encouragé l’affaiblissement du yen face au dollar — ce qui a engendré le mécanisme bien connu du carry trade. Elle n’a pas changé de tactique ces cinq ou six dernières années car son principal concurrent à l’exportation, c’est-à-dire la Chine, avait arrimé justement sa devise au billet vert.
Pékin ne pouvait que se réjouir de son surcroît de pouvoir d’achat chaque fois qu’il était nécessaire de "faire ses courses" dans l’Archipel — ce qui reste plus commode que d’importer en masse des produits industriels en provenance d’Allemagne.
▪ Le Japon a en outre alimenté — sciemment — la bulle spéculative sur les dérivés de crédit américains en procurant à Wall Street la liquidité dont elle avait besoin. Plus les spéculateurs gagnaient de l’argent facilement sur les CDO, ABS, RMBS et autres pièges à gogo… plus il était tentant d’emprunter du yen à 0% (ou 0,25% pour être précis) afin de s’en aller dégager des rendements canons outre-Atlantique.
Mais il existe une dure loi qui ne souffre pas d’exception : ce qui a été emprunté doit un jour ou l’autre être remboursé. La seule alternative, c’est la faillite puis l’éviction de l’échiquier économique.
Des milliers de milliards de yens ont été vendus à découvert. Le seul moyen qu’ils ne soient pas rachetés en masse — comme nous l’observons actuellement — serait que les spéculateurs découvrent de nouveaux gisements de profits "sans risques" qui les amèneraient à arbitrer le dollar en faveur d’une autre devise, tout en demeurant emprunteurs auprès du système bancaire nippon… mais ce miracle ne semble pas près de se produire.
▪ Le seul pays qui pourrait constituer cet Eldorado, avec une profondeur de marché des changes comparable, c’est la Chine (qui vient de ravir au Japon sa deuxième place mondiale en termes de PIB)… mais sa monnaie demeure hélas, et pour longtemps encore, inconvertible !
Telle que nous voyons évoluer la situation, le dollar n’a pas fini de baisser : c’est une situation dont beaucoup de pays s’empresseraient de profiter pour redresser leur balance commerciale et alléger le fardeau de leur dette. Malheureusement, les Etats-Unis n’ont pas grand-chose à exporter, sinon des iPads ou des iPhones (dont le succès ne se dément pas) mais qui sont comme par hasard… fabriqués en Chine !
Le succès d’Apple fait d’ailleurs rentrer toujours plus de dollars en Chine. Et cette dernière ne sait que plus que faire des billets verts, qui constituent les deux tiers de ses réserves d’après un communiqué datant de ce week-end — sinon les arbitrer justement en faveur du yen pour diversifier ses réserves de change. Avec un volume de 5% (tout juste comparable à la livre sterling), il demeure largement sous-représenté compte tenu de l’intensité des échanges commerciaux entre les deux empires (du Milieu et du Soleil Levant).
Nous voyons mal Pékin changer de stratégie au milieu du gué, ce qui augmente sérieusement le risque de voir la hausse du yen noyer les espoirs de hausse de Wall Street cet automne.