** Mais qu’est ce qui n’a pas marché à Paris ce jeudi 12 juin ? Les actions françaises se sont offert une reprise complètement poussive de 0,24% au lendemain d’une chute de 2,1% — alors le rebond s’est amplifié au fil des heures sur les autres places du Vieux Continent : elles ont gagné 1% en moyenne d’après l’Eurotop 100 et l’Euro Stoxx 50.
La tendance a été soutenue à peu près partout par le reflux des prix du pétrole et des statistiques américaines jugées plutôt encourageantes : les ventes au détail ont progressé de 1% aux Etats-Unis au mois de mai, soit leur plus forte progression en six mois. Les économistes n’attendaient qu’une hausse de 0,5% pour cause de flambée du pétrole et de crédit à la consommation plus rare.
Les prix à l’importation ont également augmenté de 2,3% le mois dernier, ce qui porte leur progression sur un an vers un vertigineux +17,8%. Les tensions inflationnistes confortent les anticipations de resserrement monétaire par la Fed et induisent un rebond de 1% du dollar, qui se hisse vers les 1,5400/euro et les 108 yens.
Paris n’en a pas profité : le CAC 40 a été clairement pénalisé par la chute de 5,6% du titre EDF, puis par la poursuite du consciencieux laminage de Véolia (-3,4%) qui dure depuis une semaine (nous en avons recommandé l’achat sur le Telephone Rouge il y a 48 heures, jugeant la sévérité des analystes disproportionnée).
** Mais aussi et surtout, le marché parisien a totalement snobé la merveilleuse nouvelle concernant la hausse de 3,3% du pouvoir d’achat des ménages en 2007, après 2,6% en 2006.
La grande escroquerie intellectuelle des statistiques « officielles » frappe fort une nouvelle fois. Arès avoir opéré la transmutation d’un ralentissement économique global en croissance de 0,6% au premier trimestre, l’INSEE nous sort de son chapeau électronique une époustouflante progression du pouvoir d’achat en rythme annuel.
Christine Lagarde s’est empressée d’aller plastronner sur RTL jeudi matin, tout comme elle l’avait fait sur une grande chaîne publique trois semaines auparavant au sujet de la divine surprise du PIB, que nous venons d’évoquer ci-dessus.
Notre ministre de l’Economie a déclaré — ce qu’elle n’aurait jamais eu l’idée de faire 24 heures auparavant — que la politique du gouvernement enrichit les Français (mais seulement ceux des catégories très supérieures… comme nous le verrons plus loin). Elle affirme aussi que « la sensation de pouvoir d’achat est une chose, le pouvoir d’achat (version INSEE, ndlr.) en est une autre ».
Le citoyen français, constatant qu’il s’appauvrit chaque fois qu’il fait ses comptes, n’y comprend plus rien… mais Mme Christine Lagarde lui assure crânement, comme si elle ignorait tout des grosses ficelles de l’INSEE, qu’il devrait se sentir plus riche. Cela relève-t-il de la mauvaise foi assumée avec un large sourire… ou de l’incompétence ?
Alors soyons très précis et examinons ce que mesure exactement l’indice du pouvoir d’achat. Il s’agit de l’évolution des revenus d’activité (ils ont progressé de 0,5 point grâce à la croissance de l’emploi), corrigés de l’inflation et du montant des prélèvements obligatoires.
Ces derniers ont été réduits de 0,8 point en 2007, soit de 8,4 milliards d’euros dans le cadre du fameux « paquet fiscal » qui a réduit le taux d’imposition des tranches supérieures, lequel présentait un caractère « confiscatoire »… puisqu’il demeure aujourd’hui encore, l’un plus élevés des pays développés.
Le paquet fiscal a donc redistribué du pouvoir d’achat, mais uniquement au profit de ceux qui se souciaient déjà fort peu de leur budget carburant/chauffage/céréales/produits laitiers ! Or statistiquement, les chèques de remboursement des assujettis à l’ISF (nous sommes heureux qu’ils bénéficient enfin d’une « douceur » en compensation du matraquage fiscal qu’ils subissent depuis 27 ans) rentrent dans le calcul du pouvoir d’achat global — qui est ensuite divisé par le nombre d’individus percevant un revenu.
** C’est également grâce à ce mécanisme — qui frôle l’imposture — que les officines chargées de la comptabilité fédérale aux Etats-Unis parviennent à faire apparaître un enrichissement régulier des Américains. En réalité, les 4% de contribuables les plus fortunés ont engrangé, via la suppression des impôts sur les revenus de valeurs mobilières et l’évasion fiscale à grande échelle, autant d’argent « en plus » de 2001 à 2007 que les 80% de la population touchant les salaires les plus modestes.
Entre 2003 et 2005, les 1% de foyers américains appartenant à la catégorie des « super-riches » ont bénéficié chacun d’une manne de 465 000 $ supplémentaires (+42%, soit l’équivalent de deux Ferrari). Le cumul des sommes captées par cette micro-minorité de bienheureux équivaut au montant que se sont partagé les 40% d’Américains les plus pauvres… qui n’ont gagné que 200 $ en plus — l’équivalent de trois pleins de diesel avec un gallon à 4,50 $ — sur la période, soit une aumône de 1,3%.
Les catégories de population recensées sous l’appellation middle class voient leur « net disponible » laminé par l’inflation et le surendettement depuis trois ans, mais la dégradation de leur situation financière dure en réalité depuis près de 20 ans. C’est le recours systématique au crédit qui permet de maintenir l’illusion d’un niveau de vie que les populations des pays émergents leur envient.
** Mais revenons en France et intéressons-nous de plus près aux bases de calcul de l’INSEE. Le pouvoir d’achat est également indexé sur la progression de la masse salariale, qui est elle-même conditionnée par l’accélération des créations d’emplois — même si ces derniers sont très mal rémunérés… précaires et à temps partiel.
La masse salariale s’est donc renforcée de 4,5% (après 3,9% en 2006), et le salaire moyen par salarié a augmenté de 3,0%, inflation déduite, et ce n’est pas rien ! (Observons 30 secondes de silence admiratif).
Nous voici confrontés à une nouvelle fiction statistique, car il s’agit d’une moyenne pondérée. Elle agrège des contribuables dont les revenus du patrimoine grimpaient de 9% en 2006, des hauts dirigeants dont les émoluments explosent de 13% par an depuis cinq ans… et, à l’autre extrémité de l’échelle sociale, des individus qui passent d’un statut d’allocataire — RMI, Unedic, etc., qui ressortent en négatif dans la comptabilité nationale — à celui de salarié. Cela représente donc 100% de hausse de revenus entre « moins que rien » et « quelque chose », soumis à prélèvements (ce qui apporte une contribution positive au budget du pays).
Pour le chômeur qui retrouve un travail, les sommes dont il dispose à la fin du mois peuvent être très comparables ; le gain en pouvoir d’achat est souvent assez peu significatif, certains peuvent même y perdre au change. Pour le statisticien, par contre, c’est « tout bénef' » ! La totalité des nouveaux « salaires » rentre dans la colonne des plus ; il n’y a plus qu’à l’additionner au reste (c’est-à-dire aux revenus d’activité, revenus du capital — incluant coupons, dividendes, plus-values boursières –, super bonus, loyers, remboursements de taxes et d’impôts), puis à diviser le tout par le nombre d’actifs… et le tour est joué !
La méthode statistique de l’INSEE revient à établir une moyenne de la taille des habitants de sexe masculin d’Amsterdam à Séville (en passant par Paris et Madrid) puis à y ajouter trois centimètres multipliés par le nombre d’habitants des Baléares… pour déclarer ensuite que le citoyen-type européen mesure 1m78 (alors que nos amis néerlandais font en moyenne 1m83, les Français 1m75 et nos amis espagnols 1m72). La moyenne européenne passe en fait de 175cm à 178cm grâce au petit plus de trois centimètres en provenance de Majorque et d’Ibiza — qui se surajoutent miraculeusement à la taille de la population espagnole, au motif de la prise en compte de leur insularité !
Et voilà, rien de plus facile que de se prétendre aussi grand et aussi riche que les Américains : il suffit de se doter des bonnes talonnettes statistiques… au risque de se cogner la tête dans le chambranle du ridicule — même si l’INSEE a la bosse des maths !
Philippe Béchade,
Paris