▪ Nous n’avons pas la prétention d’être des spécialistes des échanges internationaux et encore moins des arcanes du G20.
Comme nous n’y comprenons pas grand’chose et que nous ne pouvons nous appuyer que sur notre intelligence limitée (c’est probablement ce qui rend nos commentaires si naïvement savoureux), nous sommes tout juste capables de mettre en parallèle les ambitions réformatrices des organisateurs du G20 (c’est plus facile cette fois-ci parce qu’il s’agit de la France) et les résultats concrets figurant dans le communiqué final.
Peut-être s’est-il produit une faille dans le continuum spatio-temporel ? Nous avons l’impression d’avoir raté plusieurs épisodes : lundi dernier, il était question de tenter de remédier aux urgences du moment — comme la flambée des matières premières et les denrées agricoles de première nécessité… de mettre les marchés financiers à contribution par le biais d’une taxe pouvant atteindre 0,5% sur les flux de capitaux spéculatifs… de renforcer la stabilité du système monétaire international — et au besoin de le réformer.
Au final, le G20 accouche au forceps d’un vague compromis très technique visant à définir la nature des indicateurs censés établir un diagnostic des déséquilibres économiques. Ne reste plus maintenant qu’à les identifier et à trouver des solutions qui recueillent l’unanimité… ce qui ne devrait pas prendre plus d’une bonne décennie.
Hem… nous ne voyons là nulle trace des sujets prioritaires évoqués par Nicolas Sarkozy avant le sommet du week-end. La réglementation des prix agricoles s’est heurtée au refus du Brésil et de l’Argentine, la taxation des flux financiers au refus des Anglo-Saxons, le rééquilibrage de la valeur des devises à celui de la Chine.
Encore heureux que Christine Lagarde n’ait pas évoqué l’opacité des marchés financiers et qu’Angela Merkel n’ait fait aucun commentaire sur la crise de solvabilité des pays périphériques de l’Europe. Sinon, l’opinion publique aurait pu mesurer à quel point les membres du G20 — et les partenaires européens — ne sont d’accord sur absolument rien.
S’ils sont d’accord sur le fait que la Chine accumule d’énormes réserves de change (2 800 milliards de dollars aux dernières nouvelles), que sa monnaie est sous-évaluée (et ne parlons pas des mesures protectionnistes sournoises ni du non respect des accords de coopération industrielle et commerciale en cas de joint venture)… il n’est pas question de faire figurer cela dans la liste des indicateurs retenus par le G20 — de peur de froisser Pékin.
▪ Le G20 limite le champ d’investigation aux déséquilibres internes (dette et déficits publics, épargne privée) et dans une certaine mesure aux déséquilibres externes (exportations, balance des capitaux). A condition, toutefois, que la question des taux de change ne fasse pas partie de l’équation.
Nous n’y comprenons rien, désolé de nous répéter… C’est un peu comme essayer de répondre à la question « pourquoi sommes nous trempés ? » en avançant les raisons suivantes : parce que nous ne portons pas une tenue étanche, parce que nous avons mis le nez dehors au mauvais moment, parce que la météo prévoyait peut-être à tort un temps sec, parce nous sommes trop maladroits pour ouvrir un parapluie en un dixième de seconde.
Selon nos constatations, la bonne réponse serait : parce que la Chine nous a balancé un seau d’eau sur la tête depuis le quatrième étage en riant aux éclats.
Et comme nous sommes partisans d’un minimum de diplomatie, nous remplacerions la mention « en riant aux éclats » par « en souriant intérieurement ».
Nous ne faisons pas preuve de la même complaisance envers Ben Bernanke : nous l’accusons ouvertement d’imprimer de la fausse monnaie. Comme les Chinois acceptent d’en accumuler comme si c’était de la vraie, nous leur accordons pour le principe le statut de victimes consentantes, parce que le dollar, c’est vraiment devenu « leur problème ».
▪ Nous n’apprécions guère Jean-Claude Trichet et n’en avons jamais fait mystère. Si vous aviez oublié pourquoi, sa sortie du week-end selon laquelle « augmenter les salaires en Europe serait la dernière bêtise à commettre » devrait vous rafraîchir la mémoire.
La perte de pouvoir d’achat d’une écrasante majorité de citoyens européens depuis que l’euro circule est incontestable, l’accroissement des inégalités salariales également.
Si la prospérité d’un pays ou d’un continent se mesure par l’accroissement du niveau de vie des classes moyennes, l’Eurozone est en voie de sous-développement. Moins rapide certes que les Etats-Unis… mais J.C. Trichet semble avoir à coeur de nous faire rattraper ce handicap.
Haro sur les salaires, au nom de notre compétitivité à l’échelle mondiale. Qu’il se rassure, les délocalisations vers la Roumanie de fonctions telles que la comptabilité, la gestion des fiches de paie et les services généraux a déjà permis de diviser par trois le coût d’un emploi qualifié dans ces domaines. Par ailleurs, des ingénieurs et programmeurs indiens sortant d’une université coûtent quatre fois moins cher à l’embauche, à compétences égales, qu’un étudiant diplômé en Californie, en Angleterre ou en Finlande.
Jean-Claude Trichet a pleinement conscience que l’Europe ne doit pas relâcher ses efforts pour payer les gens toujours moins cher.
▪ Une anecdote toute récente (elle date de la semaine dernière) est éclairante : une journée « portes ouvertes pour l’emploi » avait été organisée dans un petit village du nord de l’Inde.
La rumeur avait vite couru que quelques centaines de postes étaient à pourvoir dans les forces de police frontalières (416 très précisément selon le chiffres mentionné dans une dépêche de l’AFP). Ce ne sont pas moins de 100 000 (vous lisez bien : cent mille) postulants qui ont accouru pour tenter d’obtenir un emploi — soit plus de 200 pour chaque poste d’agent d’entretien, de barbier ou de porteur d’eau — rémunéré l’équivalent de 85 à 250 euros pour les postes les plus qualifiés.
Au sein de cette marée humaine, des centaines d’étudiants surdiplômés ayant réussi à quitter leur campagne mais qui — contrairement à la génération précédente — ne trouvent pas d’emploi à la ville, même avec un bagage universitaire qui aurait suffi à leur garantir un emploi de fonctionnaire honorable 10 ans auparavant.
La « net-économie » qui a provoqué le boom de Bangalore (un véritable symbole de réussite et de modernité de l’Inde aux yeux du monde entier) génère effectivement beaucoup de richesse par rapport aux standards locaux… mais en réalité beaucoup moins d’emplois que de précédentes révolutions économiques et industrielles survenues dans le pays.
Il existe un contraste flagrant entre l’image idéalisée d’une Inde peuplée d’ingénieurs et de télé-opérateurs souriants, peuplant des technopoles flambant neuves et jouant au golf le week-end… et la réalité du terrain, faite de chômage de masse et de misère aggravée par une hausse de 20% des denrées alimentaires de première nécessité.
Les nouveaux riches de l’Inde doivent être mis en parallèle avec les nouveaux pauvres de la Californie ou de l’Irlande. Les emplois qui ont déserté la Silicon Valley ne reviendront pas ; ils ne sont pour l’instant remplacés par rien… Ils ne sont pas même par des postes de figurant à Hollywood puisque la magie de l’informatique permet reproduire des foules à partir d’une poignée de personnes filmées au hasard entre le parking du studio et le plateau N°4.
▪ Monsieur Trichet a raison. Si nous ne prenons pas garde à contenir la hausse des salaires, certains emplois à plus de 135 $ (soit 100 euros) par mois pourraient être délocalisés en Inde.
En France, le SMIC vaut 10 fois le salaire d’un fonctionnaire de police indien. Imaginez les recettes que notre gouvernement pourrait engranger en plaçant des patrouilles low cost dotées d’un radar mobile sur toutes les routes un peu fréquentées de l’Ile-de-France !
Aucune interpellation nécessaire, connaissance du français facultative… Pour l’automobiliste, rien que de très habituel : des photos de l’infraction et des « commandements à payer » envoyés en recommandé.
Au bout de peu de temps, les recettes fiscales exploseraient. Il y aurait tellement de permis de conduire supprimés qu’il faudrait embaucher des centaines de milliers de chauffeurs pour que les Français puissent se rendre à leur travail ou partir en vacances ! D’une pierre deux coups : les déficits publics et le chômage pourraient être vaincus en quelques mois.
Vous voyez bien ! Ce n’est pas de l’Inde ou de la Chine que vient le problème… mais de notre manque d’imagination. Heureusement que la Chronique Agora est là. Nous ne comprenons rien au commerce mondial… mais au moins nous avons des idées !