Par Emmanuel Gentilhomme (*)
Chinalco, encombrant client-copropriétaire de Rio Tinto
Isabelle Mouilleseaux a parlé du contexte par lequel le Chinois Chinalco — une entreprise d’Etat — est monté, début février, au capital d’un géant minier dont il est actionnaire depuis 2008 : le "poids lourd" Rio Tinto, deuxième mineur de fer au monde en mal de cash après ses OPA façon "folie des grandeurs".
Le 12 février, Rio a accepté que Chinalco lui injecte 19,5 milliards de dollars de plus, ainsi décomposés : d’un côté, 7,2 milliards de dollars d’obligations convertibles en actions qui, à terme, porteront la part de Chinalco à 18% de Rio, et deux sièges au conseil d’administration en prime ; et de l’autre, Chinalco va prendre… 12,3 milliards de dollars de participations dans des actifs — des minières ! — de Rio.
Voilà qui traduit une implication inhabituelle pour un investisseur, et un contrôle très poussé de la cible dont il est déjà un grand client !
Dernier épisode : Fortescue Metals
L’histoire ne s’arrête pas là. Fin février 2009, c’est au tour de Fortescue Metals, un "poids moyen" : troisième mineur de fer d’Australie, ses réserves de minerai de 1,6 milliard de tonnes représentent 15% de celles du pays. Des Chinois lui tournent autour depuis longtemps. En mai 2008, le quotidien The Australian évoquait déjà Chinalco, Sinosteel et Baosteel — trois sociétés d’Etat. A l’époque, l’action cotait plus de neuf dollars australiens. Son patron-actionnaire — à 34% –, Andrew Forrest, passait pour l’homme le plus riche d’Australie.
Mais la crise est passée par là. En janvier 2009, l’action Fortescue tombe sous les deux dollars australiens. Le groupe a du mal à renouveler ses lignes de crédit à court terme. Il pense à émettre 500 millions de dollars australiens d’actions nouvelles, mais l’accueil du marché est glacial, rapporte le Sydney Herald.
Beaucoup de Chinois et une belle décote
Fortescue l’a reconnu : il se tourne alors vers la sud-africaine Anglo American et le fonds souverain China Investment Corp (CIC). Officieusement, on parle aussi des sidérurgistes chinois Baosteel, Hunan Valin Iron & Steel et Hebei Iron.
Le 24 février, le verdict tombe : c’est Hunan Valin qui remporte la timbale — et un siège au conseil. Il achètera 500 millions d’actions Fortescue (16,5% du capital), anciennes et nouvelles, pour 1 185 millions de dollars australiens (770 millions de dollars américains).
Le financement ? Des fonds propres et un prêt de l’Export-Import Bank of China — une banque d’Etat.
La Bourse australienne le prend mal : le prix de revient des actions Fortescue de Hunan Valin est de 2,37 dollars australiens, alors que son dernier cours coté était de 2,83 dollars australiens ! Les bijoux de famille sont bradés…
Matières premières et politiques nationales
Les Chinois ne ralentissent pas, ils accélèrent. Outre leurs fameux contrats sur 20 à 30 ans, ils ont entrepris de carrément racheter des mines à court de capitaux.
Attention aux réactions nationales : chacune des opérations précitées nécessite l’aval du Foreign Investment Board, qui dépend du ministère australien des Finances. Son patron, Wayne Swan, commence à s’en inquiéter. Il n’est sans doute pas le seul : selon leur accord, Hunan Valin n’a pas le droit de dépasser les 17,5% du capital de Fortescue et ne peut être représenté à son conseil que par son PDG.
En effet, il s’agit, de la part des entreprises d’Etat chinoises, de la mise en musique d’une politique visant à constituer des champions nationaux et à sécuriser les approvisionnements. Tenez, quelques jours après l’annonce de la conclusion de l’accord avec Rio Tinto, le patron de Chinalco, Xiao Yaqing, semble sur le point d’être promu. Les médias chinois le disent prêt à rejoindre le Conseil d’Etat, sorte de gouvernement de la Chine, en qualité de secrétaire général adjoint chargé du travail et… de la politique industrielle. A suivre…
Meilleures salutations,
Emmanuel Gentilhomme
Pour la Chronique Agora
(*) Emmanuel Gentilhomme est journaliste et rédacteur financier. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale. Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macroéconomie et à tous les domaines de l’investissement. Il participe régulièrement à l’Edito Matières Premières & Devises.