Par Emmanuel Gentilhomme (*)
Tas de sucre, d’indium, d’aluminium, voire de fer
Le 2 décembre, Guo Shengkun, secrétaire du PC pour la province de Guangxi, déclarait à Xinhua que "des gouvernements régionaux ont commencé à accumuler des stocks de sucre afin d’en maintenir le cours entre 3 000 et 4 000 yuans la tonne" (soit 330 à 431 euros/tonne). Le Guangxi produit les deux tiers du sucre chinois, ce qui fait vivre 13 millions de personnes, et entend ainsi enrayer la chute des cours. "Guo a admis que la chute des cours du sucre et des métaux non ferreux pèse sur les revenus des agriculteurs, de l’Etat et les profits des entreprises", ajoutait Xinhua. Tiens donc !
Le 17 décembre, poursuivant sur sa lancée, le BRE (Bureau chinois des réserves d’Etat) s’est porté acquéreur de 30 tonnes d’indium (6% de la production mondiale de 2007, selon l’USGS) auprès d’un "grand producteur local". Ce serait sa première intervention sur ce métal rare indispensable à la fabrication des écrans plats.
Puis, le 27 décembre, le journal Shanghai Securities News annonçait qu’en janvier 2009, le BRE va également acheter 300 000 tonnes d’aluminium à 12 300 yuans/t (1 800 $/t) auprès de fonderies locales. Avant Noël, l’aluminium cotait environ 11 000 yuans/t à Shanghai. Belle prime ! Et la province du Sichuan a annoncé des baisses de prix électriques pour les raffineries de métaux.
Enfin, le 8 janvier 2009, ce même journal rapportait l’échec d’un projet de stock d’acier. Les négociations entre les sidérurgistes et l’Etat auraient achoppé sur le volume dudit stock (on évoquait 5 Mt) et sur sa nature (minerai ou demi-produits d’acier). A suivre…
Le Japon et la Corée du Sud s’y mettent aussi !
D’autres pays d’Asie sont également de la partie. JOGMEC (Japan Oil, Gas and Metals National Corporation) est une société d’Etat japonaise qui assure l’approvisionnement du pays en hydrocarbures et en métaux via un stock d’Etat. Dernièrement, du côté métaux, JOGMEC était vendeuse. Mais pour la première fois depuis 1998, selon un officiel anonyme cité par Reuters, la voilà de retour à l’achat : le 1er décembre, JOGMEC a annoncé une procédure d’achat de 40 tonnes de tungstène.
Le 11 décembre, son homologue sud-coréen Public Procurement Services (PPS) a fait savoir qu’en 2009, ses achats de métaux industriels passeront à 160 000 tonnes, contre 150 000 tonnes en 2008. Et d’ici 2012, PPS a l’intention de porter la "durée de vie" de ses stocks de 24 jours de consommation, contre 60 jours actuellement.
Que font donc les Chinois ?
En Chine, la multiplication des initiatives, dans un laps de temps très court, ressemble d’abord à une mesure d’urgence anticrise. Alors que les mises à l’arrêt d’usines se multiplient, Pékin craint les mouvements sociaux, voire politiques, qui suivent les hausses du chômage. De plus, l’Etat central soutient la concentration des très nombreux acteurs métallurgiques aux capacités de production pléthoriques. D’ailleurs, les stocks rachetés — à des Chinois — concernent principalement quelques grands groupes : de futurs "champions nationaux" ?
Investir dans des stocks stratégiques : toujours mieux que d’acheter des T-Bonds…
A court terme, la constitution de stocks publics de régulation n’est apparemment pas la priorité de la Chine. Mais la question se posera rapidement, puisque l’Etat a vocation à revendre (cher si possible) les métaux qu’il a acheté (à bon marché ?).
A cet égard, le moment semble bien choisi : le prix des métaux semble aujourd’hui avoir atteint un pallier. Et la Chine n’a-t-elle pas annoncé un plan de relance de 4 000 milliards de yuans (environ 600 milliards de dollars), qui comprend notamment de lourds investissements dans les infrastructures ? Il sera peut-être temps de l’alléger lorsque ces mesures auront produit leurs effets. En tout état de cause, voilà un investissement qui semble plus prometteur que les Treasury Bonds américains sous lesquels croule l’Etat chinois…
Meilleures salutations,
Emmanuel Gentilhomme
Pour la Chronique Agora
(*) Emmanuel Gentilhomme est journaliste et rédacteur financier. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale. Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macroéconomie et à tous les domaines de l’investissement. Il participe régulièrement à l’Edito Matières Premières & Devises.