▪ C’est la saison de la chasse aux banquiers. Mais les chasseurs tirent à blanc !
D’abord, la Grande-Bretagne a déclaré qu’elle imposerait une super-taxe de 50% sur leurs bonus. Ensuite, Sarkozy a déclaré qu’il ferait la même chose. Angela Merkel a simplement dit qu’elle trouvait l’idée "charmante".
Aux Etats-Unis, le débat continue. Goldman a essayé de repousser les attaques grâce à diverses manoeuvres. Le directeur a déclaré que la société n’essayait pas de simplement gagner de l’argent ; elle accomplissait "l’oeuvre de Dieu". Sérieusement — nous n’inventerions pas une chose pareille.
Comment M. Blankfein sait-il ce que Dieu veut qu’il fasse ? Nous n’en avons pas la moindre idée. En tout cas, c’était une tactique audacieuse, en termes de relations publiques, que de le suggérer.
Plus récemment, les principaux dirigeants ont accepté de ne pas toucher de bonus.
Le Financial Times appelle ça "une guerre contre l’avidité". Mais c’est une guerre bidon. Ce qui se passe vraiment, c’est que les deux côtés conspirent pour se partager de l’argent qui ne leur appartient pas. Le Wall Street Journal, par exemple, a fait de nouvelles révélations quant aux véritables accords entre AIG et Goldman. AIG avait garanti l’équivalent de milliards de dollars de transactions louches faites par Goldman sur les prêts hypothécaires. Si AIG coulait, Goldman perdait beaucoup d’argent. Si bien que lorsque les autorités sont intervenues pour "sauver la civilisation occidentale telle que nous la connaissons", elles sauvaient en réalité Goldman. La civilisation occidentale s’en serait mieux tirée si tous avaient encaissé leurs pertes et étaient allés là où les envoyaient les investisseurs et prêteurs. Au lieu de ça, les autorités ont avancé l’argent des contribuables… et les banquiers ont eu leurs bonus.
▪ Le spectacle doit continuer. A présent, le gouvernement fait semblant de punir les banquiers, et les banquiers font semblant de souffrir.
Pour commencer, une taxe de 50% n’est pas si extraordinaire. Le taux marginal est déjà à près de 50% dans de nombreux pays — y compris aux Etats-Unis. Ajoutez les taxes locales — et c’est à peine s’il vous reste la moitié.
Ensuite, si les banquiers ne reçoivent pas de gros bonus, ils se rémunéreront d’une autre manière.
Selon le Financial Times, les "brutalités" des percepteurs britanniques poussent de nombreux banquiers à quitter le pays. Mais il y a plus que les taxes. Les banquiers quittent le Royaume-Uni parce que les occasions sont meilleures ailleurs.
▪ Nous touchons là l’une des grandes tendances de la planète — qui aura de profondes conséquences pour le monde entier. Il y a peut-être une dépression en Occident… mais elle n’a pas ralenti le mouvement de l’argent et du pouvoir, qui passe des économies mûres et développées vers les marchés émergents. Ces derniers se développent plus rapidement ; tout le monde sait ça. Selon une étude de Goldman, près de la moitié de la croissance économique mondiale se produit désormais dans seulement quatre pays. Aucun pays développé n’est sur la liste : il s’agit des BRIC… le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Ils ont été bien aidés par la Fed… qui a maintenu le prix du crédit aux Etats-Unis artificiellement bas durant quasiment une génération. Cela a fait augmenter la demande américaine pour les produits étrangers, transférant indirectement une part substantielle du PIB américain entre les mains des exportateurs des marchés émergents.
Cette année, près de deux fois plus d’introductions en Bourse se sont produites à Hong Kong qu’à New York ou Londres. Pourquoi ? Parce qu’il y a plus de nouvelles activités économiques en Asie que dans les marchés matures. Et parce qu’il y a plus d’argent disponible sur ces marchés émergents qu’en Occident.
Cette tendance pourrait prendre fin à tout moment. Mais c’est peu probable. La révolution industrielle a privilégié l’Occident. Le prochain stade du développement mondial semble privilégier les nouveaux marchés émergents. Ils n’ont pas l’héritage coûteux et la corruption des sociétés industrielles avancées. Pas d’établissements militaires géants. Peu de sécurité sociale et de systèmes de santé publics. Moins de bureaucratie. Moins de lobbyistes et d’intérêts spéciaux. Moins de retraités.
Les marchés émergents sont en train de rattraper leur retard. A un moment ou à un autre, certains pourraient même prendre la tête — dépassant les Etats-Unis et l’Europe en termes de puissance militaire, de revenu national, de croissance, et même en termes de qualité de vie et de revenu per capita. Ensuite, eux aussi pourront commencer à se ruiner. Mais c’est encore loin, très loin. Il y aura moyen de bien rire en attendant…