Wall Street vacille, l’Asie plonge, les valeurs stars s’effondrent. Et ce n’est sans doute que le début…
Est-ce le krach « Lehman » ou le krach « 1987 » ?
Cela procède un peu des deux, puisque cela part des Etats-Unis – comme pour Lehman (crise auto-générée avec les « tarifs »), et trouve son origine dans les déficits commerciaux – comme en 1987 (d’ailleurs, le plongeon des indices en trois séances est d’une intensité sans précédent depuis 1987).
Autre point commun : en 1987, la Fed n’avait pas brillé par sa subtilité face aux signaux précurseurs d’un krach. Ce vendredi 4 avril, Jerome Powell a littéralement envoyé Wall Street dans le mur, en jugeant une baisse de taux prématurée ; alors que tout ce que les marchés espéraient, c’est qu’il se déclare « vigilant » face à tout signal de « désordre » ou de risque récessionniste.
Pas une prise de parole de Powell en sept ans, lors de phases de stress à Wall Street, n’a débouché sur un plongeon des indices boursiers. Chaque fois qu’il en a eu l’occasion, il a volé au secours des actions… mais pas ce 4 avril, au moment où le besoin se faisait le plus pressant.
Cette attitude méritera d’être discutée, mais ce krach du 7 avril sera mis à 100% sur le dos de Trump par les médias (disons qu’il mérite tout de même un bon 80% de responsabilité dans le chaos boursier du jour).
Pour se mettre dans l’ambiance, un petit coup d’oeil sur les places asiatiques : -13,2% à Hong-Kong, -9,7% à Taïwan et -9% en intraday à Tokyo (plancher inscrit à 30 792 points vers 2h10 du matin, et 31 135 points en clôture, un « plus-bas » depuis le 30/31 octobre 2023), ce qui valide l’enfoncement du plancher des 31 450 points du 5 août 2024 (« krach du carry trade« ).
Le Nikkei perd 13,4% en trois séances et -17,6% en six séances : c’est le pire krach boursier depuis la mi-septembre 2008 (« moment Lehman »).
Tout le monde a bien compris que nous avons basculé dans un « nouveau monde », et que nombre de spéculateurs en levier – rincés, laminés, pulvérisés – vont être propulsé dans « l’autre monde ».
Le rallye haussier de 26 mois amorcé fin décembre 2022, qui a vu le Nasdaq Composite doubler de valeur (entre 10 100 et 20 200 points) dans l’intervalle, n’avait pas d’équivalent en termes de concentration (20 valeurs représentant 70% de la hausse) depuis 1998/2000.
Une assise fragile, mais impossible de faire machine arrière avec la multiplication des ETF « top-20 » et la multiplication d’études démontrant qu’aucune stratégie ne peut être plus performante que l’achat systématique de 20 à 25 « titans » de Wall Street (4% à 5% des valeurs du S&P 500), et la même démonstration s’applique aux valeurs européennes (et en particulier au DAX qui avait gagné 100% depuis le 29/09/2022, et 60% depuis le 30/10/2023 grâce à six de ses 40 composantes, soit un ratio de 15%, trois fois plus « large » que le S&P).
Il était aisément concevable à partir de prémices techniques aussi atypiques qu’une correction sans équivalent depuis 25 ans puisse survenir, et laisse nombre d’investisseurs bouche bée ; les paramètres macro-économiques américains étaient encore très « corrects », même si Trump et Bessent n’écartaient pas la possibilité d’une « période de transition potentiellement douloureuse », à la suite de laquelle l’économie US repartirait « plus solide et plus rugissante que jamais » (pour l’instant, elle rugit de douleur !).
A l’occasion d’une brève pause entre les trous n°15 et n°16 dans sa partie de golf, Donald Trump a d’ailleurs réitéré ce message très positif : « C’est une révolution économique et nous la gagnerons, tenez-bon ! » Au même moment, Wall Street venait de subir un « double bogey » qui l’enfonçait dans les profondeurs du tableau boursier (avec un retour des principaux indices vers les niveaux de fin avril/début mai 2024).
Beaucoup d’investisseurs pensaient que l’heure des soldes avait sonné dès le 13 mars, après une chute de 15% du Nasdaq : c’était la plus lourde correction observée depuis une chute équivalente du 7 juillet au 5 août 2024.
Le 31 mars, la perte atteignait 16,5% par rapport au 19 février, et rien d’aussi brutal n’avait été observé en six semaines depuis le « sell-off » de janvier/février 2022 (ce fut provoqué par les craintes d’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais cette année, ce sont plutôt les espoirs de paix qui l’emportent).
C’était sans compter sur une « guerre des tarifs douaniers » – pourtant annoncée par Trump – à laquelle personne n’a voulu croire… jusqu’au dernier moment (le mercredi 2 avril, à 22h10 pour être précis).
L’incrédulité fut telle, et les critiques unanimes dans toute la presse économique US, que beaucoup espéraient que Trump, constatant les dégâts causés à Wall Street, ferait une contre-annonce dès jeudi soir. Comme il le fit pour les « tarifs » de 25% visant le Canada et le Mexique le 6 mars dernier, suspendus dès le lendemain et reportés de quatre semaines.
Mais dimanche, Trump a continué de golfer, et ce lundi matin, la Maison-Blanche reste muette. Il attend peut-être une capitulation de Wall Street façon « 15 septembre 2008 » (le « Lehman’s Day ») pour solder ses puts et ses ETF « VIX » dès qu’il aura atteint dix fois sa mise initiale ?
Comment imaginer que Trump, dont Wall Street fut l’unique boussole tout au long de son premier mandat, se transformerait en une sorte d’Edith Cresson (première femme Premier ministre sous la Ve République, sous Mitterrand), qui déclara dès sa prise de fonction : « la Bourse, j’en ai rien à cirer » ?
Les fonds spéculatifs (hedge funds) sont probablement incrédules face au revirement de Trump vis-à-vis de Wall Street, mais ils s’en tiennent aux indicateurs techniques et en particulier à la trajectoire du « VIX » qui passe de 21 à 54 en trois séances.
Ils avaient donc commencé dès l’ouverture du jeudi 3 avril à liquider massivement leurs positions (pour un total de 40 Mds$ à la clôture), alors que malgré la franche cassure de supports majeurs (notamment celui du 6 septembre 2024 pour le Nasdaq), les investisseurs particuliers ont acheté comme des forcenés.
Selon JP Morgan, le « retail » (les particuliers) a acheté 4,7 Mds$ net d’actions jeudi (soit environ 12% de ce qu’ont liquidé les hedge funds).
Il s’agit du plus gros montant sur une séance effectué par des investisseurs particuliers depuis 2015 : les forums boursiers reflétaient le sentiment majoritaire que -1.000 Mds sur les Sept fantastiques, et -2 700 Mds$ sur l’ensemble du S&P 500 en une séance, c’était l’opportunité d’une vie (la précédente remontait en fait au 6 mars dernier, avec 760 Mds$ détruits sur les mêmes titans de la cote).
Et les particuliers vont se voir infliger ce lundi une hausse des appels de marge au maximum réglementaire, les contraignant à réduire fortement la voilure, donc à liquider massivement des positions (quand elles ne seront pas coupées automatiquement), ce qui alimente de facto la spirale baissière.
Les stratégies des grosses mains et du retail ont rarement été aussi diamétralement opposées le 3 avril… mais tous vont se retrouver ces prochains jours confrontés à la « morsure » des appels de marge face à l’un des contrepieds de la décennie d’une ampleur jamais observée depuis mars 2020, non pas en deux séances mais en une semaine pleine.
Et les Sept fantastiques, loin de rebondir après la très décevante prestation de Jerome Powell depuis Arlington (vendredi vers 17h30), ont encore chuté de 8% en moyenne, et affichent collectivement une chute verticale de 30% depuis le 19 février dernier.
Et depuis le 1er janvier, parmi les huit valeurs ayant passé la barre des 1 000 Mds$ de capitalisation, Nvidia affiche -30%, Apple -25%, Amazon et Alphabet -22%, Microsoft et Meta environ -14%… Broadcom et Tesla -38 et -40% respectivement (et Palantir affiche également -40%, mais sur ses sommets du 18 février).
La séance de vendredi fut donc historique à Wall Street à plus d’un titre :
- record de volumes d’échanges avec 8,85 Mds$ de contrats S&P échangés (7,72 Mds$) la veille (plus de deux fois la moyenne depuis le 1er janvier), et 26 milliards d’actions échangées sur l’ensemble de la cote (deux fois le 15 septembre 2008) ;
- record absolu de valeur boursière détruite avec -4 000 Mds$ en 6h30 ;
- record de baisse du pétrole avec -8% en séance, -10% en sept heures de cotations jusque vers 59,8 $ sur le « WTI » ;
- record absolu de capitalisation détruite pour le S&P 500 en 48h (-5 400 Mds$), ainsi que pour le Wilshire-5000, avec -6 000 Mds$ (le pire précédent, c’était -3 300 Mds$ autour du 10 mars 2020).
Et si l’on rajoute cette séance de lundi :
- record de hausse du VIX en 72h (50 +20%) ;
- record de baisse du Nasdaq sur 72h depuis début mars 2020 (-18%, à 16 550 en transactions électroniques ce lundi matin) ;
- record de baisse du Dow Jones avec -5 500 points en trois séances, et -20% depuis le 31 janvier.
Nous sommes impatients de compléter cette liste ce lundi soir, car ça chauffe du côté du Bitcoin, épargné vendredi, et qui s’enfonce de -10%, sous les 75 000 $, alors que le match pour le maintien est déjà plié pour l’Ethereum qui dévisse de -17%, pulvérise le support majeur de mi-octobre 2022 (1.550$), et pourrait poursuivre vers 1 000 $.
Les trois précédents krachs boursiers (1987/2001/2008) nous enseignent qu’aucun actif spéculatif n’échappe à ce genre de correction qui accule à la vente les « mains faibles », et que les vrais initiés comme Warren Buffett ne se précipitent pas pour attraper le « couteau qui tombe ».
Ce genre de correction ne se résout pas en trois mois, puisque cela en prend entre 6 et 18. Les optimistes argueront que les temps ont changé et que les stigmates du covido-krach de mars 2020 avaient été effacés en six mois, grâce à l’argent magique des banques centrales et des taux ramenés à zéro.
Jerome Powell avait l’occasion de rappeler qu’en cas d’urgence – et la séquence des 3 et 4 avril en était un – il veillait au grain, mais il ne l’a pas fait.
Pourquoi changerait-il de stratégie demain, alors que Donald Trump a confirmé que « la hausse des tarifs est là pour durer » ?