Par Bill Bonner (*)
Lire les notices nécrologiques est une véritable joie. Pour commencer, c’est un soulagement de voir que son propre nom n’est pas mentionné. Ensuite, c’est un plaisir de voir ceux qui le sont. Non que nous souhaitions voir quiconque faire partie des décès du jour ; mais tout de même, les derniers audits sont toujours les plus révélateurs. Sur la dernière page, nous admirons les honnêtes canailles… et en apprenons quelques leçons. C’est ainsi que notre attention a été attirée par la sortie de scène de M. Omar Bongo le 8 juin dernier.
Un gouvernement populaire est constitué de deux grandes parties. La première partie est de la fraude. La seconde est du vol. Pour la première, cela ressemble à un match de catch professionnel — avec des menaces scabreuses, des éclaboussures de bière, des uniformes criards et des illusions ; les supporters se sentent diminués lorsque leur homme perd. S’il gagne, ils ont l’impression d’être des vainqueurs eux aussi. Mais c’est la seconde partie, plus rationnelle — mélange de vol et de corruption — qui nous intéresse aujourd’hui.
Serge Dassault a mal calculé. Il a perdu son poste en tant que maire d’un arrondissement de Paris. Un tribunal a découvert qu’il avait versé des sommes en liquide à des électeurs de Corbeil-Essonnes, à l’est de Paris, ce qui aurait pu influencer l’issue d’une élection municipale.
Nous sommes muet… bouche bée… tous nos espoirs pour le progrès de l’humanité réduits en fumée. Comment un homme d’âge mûr, expérimenté, bien informé et financièrement sain a-t-il pu commettre une telle erreur d’amateur ? Il a injustement corrompu des électeurs — avec son propre argent, donc — mais apparemment pas suffisamment !
M. Dassault, permettez-nous de vous présenter feu M. Bongo. La France incluait dans sa "mission civilisatrice" le fait de cultiver des relations avec divers officiels dans toute l’Afrique. Bongo était l’un d’entre eux.
S’il fallait déterminer le moment où le destin a mis le nez dans les affaires de M. Bongo, on tomberait probablement sur l’année 1964, lorsque M. Bongo s’est débrouillé pour se retrouver au poste de ministre du Tourisme au gouvernement du président Mba. C’est cette année-là que Jean-Hilaire Aubame lança un coup d’Etat contre le régime de Mba, qui vit Mba et Bongo enfermés jusqu’à ce que les troupes françaises arrivent pour les secourir. Etre emprisonné avec le président d’un pays peut être bon pour votre carrière — en tout cas, cela l’a été pour celle de Bongo. Ses liens avec Mba ont été renforcés par l’épreuve, déclare le TIMES, et il a ensuite été fait vice-président, accédant au poste suprême lorsque Mba tira sa dernière cartouche.
Le TIMES décrit Bongo comme "l’un des chefs d’état les plus riches au monde". Le Financial Times ajoute des détails : "une mise en examen […] listait 39 propriétés immobilières, en majeure partie dans le 16ème arrondissement de Paris, neuf voitures valant près de deux millions de dollars et 70 comptes en banque".
Et on en arrive à la question familière : "comment est-ce possible ?"
Le pourcentage prélevé par M. Bongo sur la production du Gabon devait être substantiel. Il a pris la tête du pays en 1967, à l’âge de 31 ans, ce qui en faisait le plus jeune chef d’Etat au monde. "Durant les deux décennies qui suivirent", continue la notice nécrologique, "Bongo put diriger le Gabon quasiment comme son fief personnel. Avec une population relativement limitée et profitant de ressources naturelles abondantes — principalement le pétrole, mais également l’uranium, le manganèse et le bois"…
L’homme maniait aussi bien la carotte que le bâton. Avec les revenus des ressources naturelles gabonaises coulant dans ses caisses, il pouvait distribuer des faveurs insignes. "En 2000, il a apaisé les étudiants en fournissant des centaines de milliers de livres pour l’achat d’ordinateurs et de livres", déclare le TIMES. Il pouvait aussi dépenser son propre argent quand cela lui convenait — parce qu’il en avait en abondance. Et lorsque les classes laborieuses sont descendues dans la rue en 1990, il avait assez de brutes en uniformes pour les repousser à coups de matraque.
Bongo n’a pas souffert des problèmes de financement typiques de la démocratie moderne. Lorsqu’on dépouille Pierre pour payer Paul, Pierre râle. Et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le voilà qui vote contre vous ou mijote de vous renverser. Voilà pourquoi il vaut mieux acheter Paul avec de l’argent que Pierre n’a jamais gagné. Et le faire à grande échelle. C’est comme cela que Bongo a gagné les élections en 2005 avec près de 80% des voix. Même Obama ne lui arrive pas à la cheville.
Les politiciens des démocraties modernes et développées subornent désormais les électeurs dans des proportions à couper le souffle — protégeant leurs comptes en banque, étayant leurs maisons, leur distribuant des emplois et des soins de santé. Rien qu’aux Etats-Unis, la dette, les obligations et les engagements gouvernementaux atteignent à eux tous 112 000 milliards de dollars. Pourtant, les membres du Congrès américain ne risquent ni la prison ni l’insurrection. On en revient à la même question : comment peuvent-ils s’en tirer ?
Actuellement, 50% de chaque dollar dépensé proviennent de l’emprunt. On a récemment appris que les pays émergents — Chine en tête — continuent d’augmenter leurs positions en bons du Trésor américain. Les fonds sont immédiatement dépensés. Le payeur et les payés — dont aucun ne vote aux élections américaines — peuvent s’inquiéter de régler la dette plus tard. Quelle merveilleuse invention qu’une dette gouvernementale générationnelle financée par des étrangers ! Même M. Bongo — paix à son âme — doit être impressionné.
Meilleures salutations
Bill Bonner
Pour la Chronique Agora
(*) Bill Bonner est le fondateur et président d’Agora Publishing, maison-mère des Publications Agora aux Etats-Unis. Auteur de la lettre e-mail quotidienne The Daily Reckoning (450 000 lecteurs), il intervient dans La Chronique Agora, directement inspirée du Daily Reckoning. Il est également l’auteur des livres L’inéluctable faillite de l’économie américaine et L’Empire des Dettes.