▪ L’actualité du jour explique-t-elle une chute collective de 2,5% des places européennes ? Beaucoup de commentateurs se posent des questions : pourquoi des indices qui avaient si bien résisté hier aux rumeurs alarmistes concernant l’Irlande perdraient soudain pied ? Après tout, les taux de rendement de bons du Trésor se sont plutôt détendus que l’inverse à Dublin ce mardi.
La vraie question qui nous taraudait lundi soir en voyant Wall Street clôturer à l’équilibre, c’était : comment le Dow Jones parvient-il à ne reculer que de 2,5% depuis ses récents sommets ? Le rendement des T-Bonds à 10 et 30 ans a pourtant bondi de 50 points de base en une semaine…
Et comment le Nasdaq fait-il pour préserver les 2 500 points ? Le dollar vient de remonter vers 1,36/euro (et la parité face au franc suisse)… et pourtant, l’indice électronique valait moins de 2 370 points (contre 2 475 points mardi soir) lorsque l’euro a commencé à déborder cette même résistance qui remontait au 13, 14 et 15 avril dernier.
Les investisseurs américains étaient convaincus que rien ne saurait venir à bout du support technique constitué par la MM25 qui gravitait vers 2 505 points. Ils en ont négligé de jeter un oeil sur la courbe des taux et d’écouter les spécialistes des marchés obligataires qui leur hurlaient de vendre.
Le même genre de confiance aveugle dans la capacité des places européennes à tenir un cap haussier malgré les 4% puis les 5% repris par l’euro a poussé les day traders à ne rien tenter qui pourrait constituer une menace pour les supports court terme. Ils ont tenu bon jusqu’à l’ouverture de Wall Street mais la correction s’est radicalisée alors que Wall Street perdait 1% d’entrée de jeu puis glissait jusque vers -1,7% vers 17h30.
Le CAC 40 (-2,63%) a amplifié ses pertes dès lors que le support des 3 800 points a été enfoncé. La séance s’est achevée au plus bas du jour, à 3 762 points — c’est-à-dire 0,2% au-dessus du gap des 3 756 points du 12 octobre dernier. Les volumes étaient nettement plus étoffés que la moyenne quotidienne, à peine supérieure à trois milliards d’euros.
Pas moins de 100% des titres composant le CAC 40 ont terminé dans le rouge, avec des dégâts très sérieux dans le compartiment des valeurs vulnérables aux tensions sur les taux et au problème de dettes souveraines. Parmi les plus lourds replis, on notait AXA (-5%), Natixis (-4,65%), Crédit Agricole (-4,55%), Société Générale (-4,5%), BNP Paribas (-3,5%).
▪ Pour l’heure, aucune demande d’aide officielle n’a encore été faite à l’Union européenne par l’Irlande (par exemple au Fonds européen de stabilité financière)… mais la seule interrogation concerne le moment qu’elle jugera opportun pour le faire — une hypothèse probable à 100%.
Par ailleurs, les débats budgétaires promettent d’être houleux lors du sommet des ministres des Finances de la Zone euro, qui doit se tenir à Bruxelles. Le G20 a consacré la mésentente cordiale entre les grandes puissances mondiales, il ne manquerait plus que les Européens s’écharpent entre eux et reprennent à leur compte le « chacun pour soi » qui prévalait la semaine dernière à Séoul.
▪ Devant ce contexte incertain et tendu, un bon indice allemand ZEW n’a fait que différer de quelques minutes l’inéluctable fléchissement des indices boursiers. Le baromètre des milieux d’affaires allemands est pourtant repassé en terrain positif en novembre, à +1,8 point contre -7,2 le mois précédent. L’indicateur reste toutefois bien en dessous de sa moyenne historique de 26,9 points.
Les statistiques américaines du jour n’étaient pas rassurantes. La production industrielle a stagné en octobre aux Etats-Unis, quand les économistes attendaient une hausse de 0,3%. Par ailleurs, les prix à la production n’ont progressé que de 0,4% le mois dernier, alors que les économistes anticipaient une croissance de 0,8%.
Plus grave : hors alimentation et énergie, l’indice PPI s’inscrit en baisse de 0,6% le mois dernier, ce qui conforte l’argumentaire du patron de la Fed qui défend un assouplissement quantitatif destiné à combattre les pressions déflationnistes…
Le climat d’incertitude en Europe redonne mécaniquement au dollar un statut de valeur refuge qu’il avait perdu depuis fin août. Wall Street s’en serait bien passé… mais les indices américains ont vraiment tardé à réagir. Il a fallu qu’un second catalyseur entre en action et agisse de façon moins mécanique et beaucoup plus viscérale.
▪ En effet, la Chine ne se gène plus pour humilier les Etats-Unis. Une de ses agences de notation du nom de Dagong avait dégradé mardi dernier la notation de la dette US de AA- à A+ (pas mieux que l’Espagne) avec l’aval de Pékin.
La Chine pourrait marquer une prise de distance encore plus grande avec la Fed en décidant de contrecarrer les effets du QE2. Une rumeur prête à la Bank of China l’intention de resserrer ses propres taux et de bloquer explicitement l’afflux de capitaux spéculatifs en provenance des Etats-Unis
Voilà un risque auquel nul ne voulait songer au soir du 3 novembre — bien que la décision de la Fed ait immédiatement soulevé une tempête de critiques presque unanimes parmi ses principaux partenaires commerciaux.
C’est cette menace larvée de divorce sino-américain qui inquiète légitimement Wall Street.
Les indices US terminent en forte baisse (-1,65% en moyenne) après avoir connu par deux fois au cours de la même séance un repli supérieur à 2% (vers 18h puis 21h30), ce qui aurait pu constituer leur plus lourde correction depuis le 11 août dernier.
▪ Les valeurs américaines effacent tout le terrain gagné depuis le 19 octobre dernier ; les excès des quatre dernières semaines sont donc corrigés.
Cela sera-t-il jugé suffisant ? Est-ce le moment de jouer un rebond ? Après six séances de consolidation, et malgré un repli de 1,6% mardi soir, le Dow Jones préserve les 11 000 points (il a reculé jusque vers 10 980 points). Le Nasdaq (-1,75%) se stabilise juste au-dessus des 2 470, sauvant au cours du dernier quart d’heure son support oblique moyen terme. Le S&P lâche 1,62%… mais à 1 178, il n’enfonce pas les 1 175 points, c’est-à-dire le plancher de son canal ascendant inauguré fin août.
Pas moins de 95% des valeurs composant le S&P ont clôturé dans le rouge. Cependant, la situation reste potentiellement réversible pour peu que le dollar ricoche à la baisse sous les 1,35/euro tandis que les taux se détendraient un peu plus ce mercredi — ce qu’ils ont commencé à faire mardi soir avec -0,1% à 2,85% sur le 10 ans et -0,11% sur le 30 ans.
Si les sherpas de Wall Street sont convaincus de l’imminence d’une guerre économique de type « tous contre tous » — avec son cortège d’alliances ponctuelles et de circonstance, arbitrées cette fois-ci par la Chine –, ils feront tout pour attirer de nouveaux acheteurs afin de liquider d’ici fin 2010 tout ce qui peut l’être (Bons du Trésor, actions, contrats à terme sur matières premières, etc.).
Voyez comment l’indice VIX du stress boursier vient de bondir de 20% (de 18 à 22) en l’espace d’une poignée de séances sur le S&P 500. Toute accalmie doit désormais être mise à profit pour mettre son argent à l’abri.