Les chiffres prouvent que participer à une IPO à la Bourse de Paris est statistiquement un très bon moyen de perdre de l’argent, tant à court qu’à moyen terme.
Il est de notoriété publique que, sur le long terme, l’investissement en actions est celui qui permet de faire croître un capital de la manière la plus efficace qui soit. Plus que les obligations, plus que l’immobilier, et même plus que l’or et les matières premières. Malgré les cycles économiques et les krachs boursiers, les périodes durant lesquelles investir en Bourse s’est avéré non-rentable durant dix ans sont particulièrement rares ; et celles sur lesquelles un investissement aurait pu avoir un rendement négatif sur vingt ans sont quasi-inexistantes.
La sagesse populaire prétend également que les bénéfices se font au début de la vie boursière des entreprises. The early bird catches the worm, disent les investisseurs anglo-saxons, l’équivalent de notre « premier arrivé ; premier servi ».
Aussi, la logique voudrait que, pour gagner de l’argent sur une entreprise cotée, l’efficacité maximale soit atteinte en participant à son introduction en Bourse, le moment où l’action s’échange sur les marchés pour la première fois. Tous les experts s’accordent pour dire que les rendements maximaux s’obtiennent grâce aux durées maximales d’investissement… et par définition, il est impossible (à moins de s’adonner au lucratif mais complexe investissement dans le non-coté) d’investir avant une IPO dans une action.
Faut-il donc participer aux introductions en Bourse pour maximiser ses bénéfices ? La question va se poser une nouvelle fois cette année, où de grandes IPO comme celles d’Impossible Foods, Arm, et même Starlink sont attendues.
Les chiffres consolidés montrent qu’il n’en est rien. Bien souvent, les IPO sont des pièges et les investisseurs de la première heure mettent parfois des années à retrouver leur mise – quand cela est possible.
Et même les valeurs françaises, réputées moins spéculatives que les actions étrangères, ne parviennent pas à tirer leur épingle du jeu.
Le triste bilan des IPO parisiennes
Le juge de paix du succès d’un investissement est, in fine, la capacité qu’il a eu à générer des bénéfices pour l’actionnaire.
Si, sur le long terme, nous savons que les dividendes représentent une part cruciale du rendement de la détention d’un titre, sur le court terme, c’est bien la variation du prix de l’action qui permet à son détenteur de gagner de l’argent.
Ceci est d’autant plus vrai que les entreprises qui choisissent le chemin de la Bourse pour lever des capitaux ont, normalement, besoin d’argent frais pour financer leur activité… et ne sont donc pas en mesure de verser de copieux dividendes. Il serait en effet illogique de faire appel à l’épargne des investisseurs tout en promettant de rendre dans le même temps de l’argent aux actionnaires.
En faisant abstraction des anecdotiques dividendes, la performance des introductions en Bourse se mesure donc à l’aune de l’évolution de la valeur de ces titres par rapport à leur prix d’introduction depuis la date de première cotation.
Sur les dernières années, la sanction est implacable : les IPO sont un gouffre pour les investisseurs particuliers qui y participent.
Selon une étude de Pascal Quiry, professeur de finance à HEC Paris et titulaire de la chaire BNP Paribas, sur les près de 140 entreprises qui sont arrivées à la Bourse de Paris depuis 2014, moins d’un quart d’entre elles présentent des performances positives (32 d’entre elles, soit 23% plus exactement). Pour les 107 autres, les investisseurs doivent essuyer des moins-values.
Jeu de massacre
Vous trouvez ces statistiques déjà peu reluisantes ?
Sachez qu’elles ne tiennent même pas compte des entreprises qui ont déposé le bilan depuis leur IPO, et dont la valeur est donc tombée à zéro.
De plus, la performance globale des introductions en Bourse est dopée par de grands noms de la cote comme Worldline (152%), qui s’est émancipée du groupe Atos en 2014, ou encore l’opérateur boursier Euronext (314%).
Par ailleurs, les statistiques moyennes cachent de problématiques disparités. Les petites capitalisations sont sur-représentées parmi les dossiers qui ont fait perdre de l’argent à leurs actionnaires de la première heure. Les small- et mid-caps (moins de 10 Mds€ de valorisation boursière) ont représenté près de 90% des IPO sur la place parisienne, mais ne comptent que pour 70% des dossiers « dans le vert » depuis leur arrivée sur le marché coté.
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène.
Pile : ils gagnent. Face : vous perdez
L’investissement en Bourse est fait d’incertitude. Les investisseurs au long cours savent que mettre son argent en jeu revient toujours, d’une manière ou d’une autre, à troquer du risque contre du rendement.
Mais encore faut-il que les dés ne soient pas pipés.
Pour les petites entreprises, les procédures en vigueur ont été simplifiées en 2018. En pratique, les entreprises qui lèvent pour moins de 8 M€ de fonds peuvent opter pour un processus accéléré et se dispenser de demander un visa à l’AMF (Autorité des marchés financiers).
La simplification du formalisme, bienvenue pour fluidifier la mise en relation entre investisseurs potentiels et entreprises ayant besoin de capitaux, n’a cependant pas bien été intégrée par les actionnaires individuels. En d’autres termes, les particuliers n’ont pas encore réalisé que les IPO, même si elles sont mises en avant sur les sites comme Fortuneo ou Boursorama, peuvent être de véritables gouffres financiers.
Rien ne prouve que l’entreprise qui en est à l’origine dispose d’un modèle d’affaires solide – ni même qu’elle saura se plier à un minimum de transparence par la suite. En particulier, le compartiment Euronext Access est si simple d’accès qu’il ressemble à une véritable cour des miracles : les entreprises qui y figurent n’ont même pas obligation de publier des comptes annuels audités !
Pour les gros dossiers, la situation n’est guère plus favorable aux investisseurs. S’ils se plient, réglementation oblige, à un formalisme administratif plus poussé, ils sont accompagnés lors de l’IPO par de grandes banques d’affaires qui font leur possible – et c’est leur mission – pour faire monter la mayonnaise médiatique.
L’objectif de ces titans de la finance : s’assurer que les titres détenus par les actionnaires historiques seront valorisés au maximum lors de l’IPO pour que la dilution soit minimale. Pour ces actionnaires, le maintien sur le long terme du court de l’action n’est qu’un critère secondaire de succès, et ne relève en tout état de cause pas de la mission des banques ayant accompagné l’arrivée en Bourse.
Les chiffres prouvent que participer à une IPO est statistiquement un moyen quasi-certain de perdre de l’argent à court et à moyen terme. Les derniers dossiers de la place parisienne ne font pas exception : sur les entreprises ayant rejoint la Bourse de Paris en 2022, seules deux étaient encore « dans le vert » au 1er janvier 2023.
Pour toutes les autres, les investisseurs auraient mieux fait de s’abstenir de participer à l’aventure.