▪ "Ne faites pas confiance aux Russes", tel était l’avertissement.
Il provenait d’un chauffeur de taxi moscovite à l’adresse de notre fils Henry. De notre point de vue, un tel avertissement était inutile. Nous ne leur avons jamais fait confiance. Pas plus qu’aux Chinois. Ou aux démocrates. Ou aux gestionnaires de fonds. Ou au général Petraeus. Ou aux gens du nord de Baltimore ou de l’ouest de Hagerstown.
Mais que diable !
Il faut de la confiance pour acheter Amazon. Ou Google. Il faut aussi de la confiance pour acheter un bon du Trésor US. Ou laisser des ouvriers refaire votre maison dans le délai imparti, sans dépassement de budget. Les valeurs russes, en revanche, sont si bon marché qu’il n’y a pas besoin de leur faire confiance.
Depuis 2009, les banques centrales de la planète ont injecté 8 000 milliards de dollars supplémentaires dans l’économie mondiale. Mais cette inondation de liquidités a laissé le plus grand marché du monde (en termes géographiques) indifférent. Pour la Mère Russie, tout est à faire.
Bloomberg attribue aux actions russes un PER de 4,4. "Elles sont valorisées pour une crise", nous dit notre collègue Robert Marstrand. "Et il n’y a pas de crise".
Une autre collègue, Merryn Somerset Webb, du magazine britannique MoneyWeek, ajoute que les valeurs ruses sont :
"… bon marché par rapport à toutes les autres, et bon marché par rapport à l’historique de valorisation de la Russie elle-même. Ces deux critères sont désormais à peu près à leurs niveaux de 2008, et pas loin de leurs moyennes de ces 10 à 15 dernières années".
"Vous me direz que cela semble raisonnable. Après tout, qui veut payer des prix normaux pour des actifs basés dans un Etat très anormal ? On ne peut douter que tout investissement dépendant d’une économie qui ralentit, elle-même dépendante du gaz et du pétrole, doit être entièrement évité. Idem pour des placements sujets à la gouvernance d’entreprise consternante appliquée en Russie".
"Ce sont des arguments parfaitement raisonnables. Mais il y a bon marché et bon marché".
Aux cours actuels, les investisseurs prennent quasiment en compte le retour de Staline, affirme Merryn. Nous avons donc demandé à Henry d’aller à Moscou pour mener l’enquête.
▪ Alors… faut-il faire confiance à la Russie ?
"Les entreprises russes sont très inefficaces. Et elles doivent opérer dans un environnement qui complique la moindre chose", rapporte-t-il. "Mais il faut comprendre qu’elles ont vécu pendant 70 ans dans une économie qui se souciait peu de succès. La production n’avait pas vraiment d’importance".
Avant de prendre le chemin du capitalisme, la Russie avait une économie où, comme le disait un ouvrier, "nous faisons semblant de travailler et ils font semblant de nous payer".
Nous avons une grande dette envers les Russes. Ils continué leur expérience de planification centrale pendant sept décennies. Il aurait dû sembler évident dès le départ qu’on ne peut pas augmenter la production en laissant des bureaucrates gérer l’économie. Dès le départ, la production réelle, utile, a commencé à chuter en Union soviétique. Mais les Russes, bénis soient-ils, ont continué jusqu’à ce qu’ils aient définitivement prouvé que leur économie de planification centrale ne pouvait pas fonctionner.
Encore maintenant, l’économie souffre de sérieux problèmes, nombre d’entre eux des résidus de la Grande expérience. Dans les années 90, un homme russe avait une espérance de vie vingt ans plus courte que celle de l’Américain moyen. Plus de deux hommes russes sur deux ayant plus de 40 ans mourraient ivres. Après la chute du Mur de Berlin, le taux de natalité russe s’est effondré. En 2004, on enregistrait moins de 11 naissances pour 16 décès.
Mais il y a eu des progrès. Une campagne visant à éliminer la vodka de mauvaise qualité semble avoir aidé les hommes à continuer de boire plus longtemps. L’espérance de vie masculine n’est plus que 13 ans inférieure à celle des Etats-Unis. Et les autorités travaillent dur pour tenter d’empêcher leurs contribuables de disparaître. En 2007, par exemple, la ville d’Oulianovsk a organisé une "journée de la conception". On a dit aux travailleurs de rentrer chez eux… pour se mettre au lit. Des prix ont été attribués à ceux qui ont eu des enfants neuf mois plus tard.
La Russie peut être un endroit difficile pour les affaires. Les entrepreneurs, les politiciens et les journalistes meurent souvent dans des circonstances étranges. En 2003, le plus riche homme du pays, Mikhaïl Khodorkovsky, a été arrêté. Il a passé les 10 années suivantes en prison, pour ce qui semblait être de fausses accusations. Le Kremlin a récemment annoncé sa libération.
En dépit de tout ça, l’argent est de l’argent. Les entreprises russes sont peut-être arriérées et enterrées sous une tonne de problèmes, mais elles gagnent de l’argent et paient des dividendes. Et on peut acheter ces revenus aux prix les plus bas du monde.
La conclusion d’Henry :
"J’étais sceptique quand je suis arrivé en Russie, mais j’en suis reparti confiant dans le fait qu’il y a une vraie opportunité en Russie de tirer parti de ce pays pendant qu’il rattrape le reste du monde. C’est ce qu’il y a de bien avec la Russie : les bénéfices sont déjà là — ce ne sont pas des ‘plans sur la comète’."