Après deux décennies où l’inflation était considérée comme vouée à disparaître… elle est finalement repartie à la hausse, et extrêmement vite. Comment ce retournement a-t-il pu se produire ?
L’inflation était devenue interdite au début des années 1990, du fait de la mondialisation et du triomphe de la désinflation compétitive. Certains ont ainsi pensé jusque très récemment qu’une période de forte inflation était devenue impossible, avec tous les progrès poussant les prix à la baisse. L’uberisation, le développement de l’économie collaborative et de l’économie de l’usage, ou l’e-commerce sont en effet autant de phénomènes qui maintiennent une pression continue à la baisse sur les prix des biens et services.
Et pourtant, l’inflation est revenue. Pour comprendre comment cela est possible, nous allons développer trois idées.
Revenir aux origines traditionnelles de l’inflation
Les origines de l’inflation sont au nombre de quatre, traditionnellement.
D’abord, l’inflation peut surgir du fait d’une création monétaire excessive. Sur ce point, il faut cependant noter que, durant ces dix dernières années, l’extraordinaire croissance de la base monétaire des banques centrales (hausse de leurs bilans sous l’effet de la création monétaire ex nihilo) ne s’est transmise qu’au niveau du prix des actifs financiers.
Donc, pour l’instant, l’inflation dans la sphère des biens et services ne s’explique pas par cette première origine de l’inflation.
Les autres, en revanche, sont déjà à l’œuvre, et pourraient faire vite empirer les choses… Cliquez ici pour lire la suite.
Une autre origine est l’inflation importée, que ce soit par les prix des matières premières aujourd’hui ou celle qui, à l’avenir, sera liée à la démondialisation et aux relocalisations pour sortir de dépendances (médical, énergie). Elle explique en partie l’inflation actuelle.
Puis il y a aussi une inflation salariale, non négligeable. Il ne faut pas perdre de vue que la véritable inflation nait toujours d’un conflit de répartition entre les entreprises et les salariés. Les plus anciens se souviendront de la spirale prix-salaires des années 1970 – qui a disparu en France avec la désindexation des salaires sur les prix en 1983. Mais personne ne peut exclure qu’une réindexation serait au programme, près de 40 ans plus tard.
Dans ce cadre, les entreprises devant faire face à des augmentations de salaires – sous la pression des événements – tenteraient de redresser leur profitabilité en augmentant leurs prix de vente. Dès lors, les marchés pourraient raisonnablement d’anticiper un retour de la boucle prix-salaires et donc des risques d’inflation par les salaires.
Enfin, il existe une inflation dont l’origine doit être trouvée dans des déséquilibres offre-demande avec un rationnement de la première ou/et un excès de la seconde (l’inflation salariale, la troisième origine, va par exemple y participer).
La différence entre le conjoncturel et le structurel
Notre seconde idée est que, au-delà des origines traditionnelles de l’inflation, il est important de savoir distinguer entre l’inflation conjoncturelle (transitoire) et structurelle (permanente).
C’est notamment important pour les banques centrales, qui se sont singulièrement trompées en considérant jusqu’à il y a peu de temps encore que l’inflation était transitoire. Elles ont ainsi retardé inutilement la mise en place d’un cycle de politique monétaire restrictive, que ce soit au niveau de la Fed ou de la BCE, mais de manière encore plus prononcée pour cette dernière.
Parmi les sources récentes d’inflation, nous avons par exemple connu une inflation Covid conjoncturelle. Elle était liée à la déformation de la structure sectorielle de l’économie, avec une forte demande de biens matériels consommateurs de matières premières importées (télétravail et confinements oblige) au détriment de la demande de services (fermetures diverses obligent). C’est ici que se retrouve surtout l’inflation importée.
Le Covid a aussi entraîné des problèmes de ruptures dans les chaînes d’approvisionnement (en provenance d’Asie). C’est ici que se retrouve l’inflation provoquée par des déséquilibres offre-demande.
Une autre source d’inflation conjoncturelle est la guerre en Ukraine, avec avec des matières premières énergétiques et agricoles dont les prix ont explosé, sans oublier les métaux indispensables pour accélérer la transition énergétique (notamment palladium, titane, zinc, cuivre, aluminium). Une fois de plus, c’est ici de l’inflation importée.
Transition écologique et démondialisation
Mais ce qui importe c’est l’inflation structurelle, celle qui va durer. Nous identifions deux principales raisons qui l’expliquent.
La première est la transition énergétique. En effet, une inflation est dans ce contexte inévitable, car due à la hausse du prix énergies fossiles indépendamment du contexte géopolitique : d’un côté, l’offre et les capacités de production de pétrole et de charbon vont de plus en plus diminuer, tandis que, de l’autre, la demande sera de moins en moins élastique.
Mais cette transition va aussi entraîner une hausse considérable des coûts liés au stockage d’énergies renouvelables qui ne seront produites que par intermittence (l’éolien et le solaire). Quoi qu’il en soit, côté énergies fossiles, l’offre va diminuer progressivement (en tout cas beaucoup plus rapidement que la demande) et, côté énergies renouvelables, l’offre montera en puissance trop lentement pour répondre à une demande forte.
Ces deux évolutions simultanées vont maintenir un déséquilibre structurel entre l’offre et la demande, maintenant une pression insupportable à la hausse du prix de l’énergie au sens large.
Par ailleurs, une nouvelle inflation structurelle commence à apparaître. Celle-ci est due à un début de démondialisation, et donc au rapatriement quand cela est possible de productions… qui seront réalisées en Occident avec des coûts salariaux plus élevés qu’en Asie, par exemple.
Que peuvent les banques centrales ?
Enfin, notre troisième idée qui explique pourquoi l’inflation « impossible » est finalement réapparue, c’est que les banques centrales doivent lutter contre l’inflation que l’on peut combattre ou que l’on doit combattre. Mais elles ne pourront pas non plus tout régler.
Ainsi, elles doivent lutter contre l’inflation liée aux excès de demande, donc à un éventuel retour de l’inflation salariale. Mais il ne sert à rien d’augmenter les taux d’intérêt pour combattre une inflation qui serait liée à des déficits d’offre (alimentaire, énergie) : ce n’est pas avec des taux plus élevés que cette offre repartira à la hausse !
Et est encore moins utile pour les banques centrales d’augmenter leurs taux d’intérêt pour lutter contre une inflation structurelle, qui serait liée à des mutations et des ruptures socio-économiques (comme nous l’avons vu plus haut avec la transition énergétique). Elles seraient ici soit impuissantes pour faire face à des mouvements profonds de l’économie, soit causeraient plus de problèmes qu’elles n’en règleraient.
1 commentaire
Ce qui est rarement abordé lorsque l’on s’interroge sur l’inflation, ce sont les réorganisations qu’elle provoque et donc les fins de rente et au contraire les opportunités.