Le nouvel argent est né sous une forme de crédit accordé par les banques, et non sous forme d’un actif. Il a été emprunté, à des taux absurdement bas, au lieu d’être gagné.
« Je peux résister à tout sauf à la tentation. » – Oscar Wilde.
« Il est peu probable que le prochain mouvement de taux directeur soit une hausse », a déclaré Jerome Powell.
Mais pourquoi ? L’inflation américaine dépasse d’environ 100% l’objectif supposé de la Fed. Pourquoi réduire les taux plutôt que de les augmenter ?
Voici notre hypothèse…
Selon notre collègue Tom Dyson, nous approchons de la fin de la plus grande expérience financière de l’Histoire. Pour résumer ses propos en quelques mots, les banquiers centraux ne peuvent pas résister à la tentation.
En 1971, guidés par Milton Friedman, les Etats-Unis ont fait quelque chose d’extraordinaire. Ils ont altéré le système monétaire du monde entier. Et peu de gens l’ont remarqué.
La question était de savoir si le système du dollar américain ne serait pas mieux géré par des professionnels – des docteurs en sciences, disposant d’une plus grande marge de manoeuvre sur les taux d’intérêt et les autres politiques bancaires – afin d’améliorer le capitalisme.
Le dollar garanti par l’or n’était pas facile à gérer. On ne pouvait pas simplement « imprimer » de l’or. Il fallait l’extraire, l’expédier et le stocker. Et au bout du compte, on serait chanceux si l’offre de nouvelle monnaie adossée à l’or restait égale à l’offre d’autres biens et services dans l’économie réelle.
Ce n’était pas si mal. Le dollar était relativement stable… et difficile à manipuler. En 1913, lorsque la Fed a été créée, un dollar avait presque exactement la même valeur que 100 ans auparavant. Mais le système limitait le montant que les décideurs politiques américains pouvaient dépenser.
Une tentation trop forte
Le nouveau système a changé la donne. L’or n’existant plus, la Fed pouvait créer de l’argent sur demande.
En 2002, Ben Bernanke a expliqué ceci :
« Le gouvernement américain dispose d’une technologie, appelée presse à imprimer (ou, aujourd’hui, son équivalent électronique), qui lui permet de produire autant de dollars américains qu’il le souhaite à un coût pratiquement nul. »
Mais peut-on faire confiance à l’homme pour résister à la tentation de trop imprimer ? La réponse, désormais connue, est « non ».
Cette expérience n’est pas nouvelle. Les systèmes monétaires « papier » ou « monopolistiques » sont apparus et ont disparu à de nombreuses reprises. Au départ, la situation est toujours amusante, les gens ont plus à dépenser. C’est la disparition qui est plus douloureuse, se terminant souvent par une dépression, une guerre ou une révolution.
Après la première guerre mondiale, l’Allemagne a dû faire face à d’énormes dettes de guerre. Elle a adopté le papier-monnaie sans garantie en or. En 1923, il fallait 4 210 500 000 000 marks pour acheter un dollar.
En 1960, après des années d’impression monétaire excessive, la France a dû remplacer l’ancien franc par un nouveau, à 100 contre 1. La Chine… La Yougoslavie… L’Argentine… Le Zimbabwe… Le Liban… tous ont connu des catastrophes sociales, politiques et financières.
En Allemagne, l’inflation a provoqué un tel mécontentement que des gangs se sont affrontés dans les rues. Les socialistes nationaux d’Adolf Hitler ont remporté ces rixes et pris le contrôle du pays. L’instabilité financière de la Russie a conduit à la révolution bolchevique de 1917. L’inflation chinoise des années 1940 a porté Mao Tsé-toung au pouvoir.
Aux Etats-Unis, le 15 août 1971, c’est le choc Nixon. Le nouveau dollar ressemblait à l’ancien. Mais il ne représentait plus un actif – un dollar garanti par de l’or – mais essentiellement une reconnaissance de dette, un « billet de réserve fédéral » émis par une banque de réserve fédérale. La plupart des économistes ont hoché la tête en signe d’approbation. Le public a acquiescé.
Nous sommes en 2024, soit 53 ans plus tard. En 1971, la dette américaine atteignait 400 milliards de dollars. Neuf ans plus tard, elle n’atteignait encore que 800 milliards de dollars. A ce niveau, le dernier chef honnête de la Fed, Paul Volcker, pouvait encore lutter contre l’inflation avec des taux d’intérêt extraordinairement élevés. Son taux d’intérêt maximal – 20% en juin 1981 – a provoqué la pire récession depuis la Grande Dépression. C’est ce qu’il a fallu pour extraire l’inflation du système.
C’était un geste héroïque. Les politiciens et les économistes ont poussé des cris d’orfraie. Volcker a été largement méprisé. Il a été brûlé en effigie sur les marches du Capitole et dénoncé par des milliers d’économistes.
Et aujourd’hui ? Un taux des fonds fédéraux de 20% serait impossible. Voici pourquoi…
Après Volcker, le crédit de moins en moins cher a rendu l’emprunt et la spéculation plus rentables que jamais. Les consommateurs, les entreprises, les investisseurs et le gouvernement se sont tous endettés de plus en plus. Ils ont acheté de plus grandes maisons, de meilleures voitures, davantage d’avions de chasse et de porte-avions… des fusions et des acquisitions… des dotcoms… des cryptomonnaies – wow !
Une corruption subtile a infecté l’ensemble du système financier. Le nouvel argent est devenu un crédit accordé par les banques, et non un actif. Il a été emprunté, à des taux absurdement bas, au lieu d’être gagné. Qui pouvait l’emprunter à moindre coût ?
Les grandes institutions solvables – les grandes banques, les grandes entreprises et les grands gouvernements. C’est ainsi que des sociétés comme BlackRock ont pu surenchérir et acheter des milliers de maisons ; elles pouvaient emprunter à des taux d’intérêt plus bas.
Flottant sur une marée de taux d’intérêt ultra-bas, la dette semblait presque en apesanteur. Mais plus elle s’éloigne vers la mer, plus il est difficile de revenir sur la terre ferme. Aujourd’hui, même un taux des fonds fédéraux de 10% – soit la moitié du niveau de 1981 – serait si dévastateur que la Fed n’oserait pas s’y risquer.
Aujourd’hui, la dette fédérale s’élève à 34 600 milliards de dollars et augmente de plus de 120 milliards de dollars par mois. Le Trésor, qui tente de limiter ses remboursements, opte pour des emprunts de plus en plus courts – des billets à deux ans plutôt que des obligations à dix ans, par exemple. Il en résulte qu’une part plus importante de la dette totale est « évaluée sur le marché » chaque année. Et l’ensemble de la dette devient plus sensible aux taux d’intérêt.
A 10%, les paiements de la dette absorberaient rapidement toutes les recettes de l’impôt sur le revenu. A 20%, l’enfer se déchaînerait immédiatement. Cela signifie que la Fed ne peut plus « sauver le système ». Elle n’en a pas les moyens. Il y a trop de dettes.
Son véritable objectif n’est pas d’éliminer l’inflation, mais de la gérer… de « monétiser la dette », c’est-à-dire de réduire sa valeur réelle par des hausses de prix soutenues. Mais pour ce faire, l’inflation doit être supérieure au taux de création de nouvelles dettes. La dette américaine galope à près de 7% du PIB par an.
Le taux d’inflation doit atteindre ce niveau… et y rester. C’est la véritable raison pour laquelle la Fed parle de réduire les taux d’intérêt plutôt que de les augmenter.
Mais attention. Essayer de gérer l’inflation, c’est comme essayer de contrôler une fête de quartier dans un quartier malfamé : les balles peuvent fuser à tout moment.