▪ Les places boursières occidentales avaient pris entre 3,5% et 4% la semaine dernière sans qu’un véritable flux de données conjoncturelles positives ne le justifie : pratiquement aucun chiffre ne fut publié la semaine passée aux Etats-Unis. Les places européennes avaient effacé leurs 1,5% de pertes initiales lundi sur des tensions commerciales sino-américaines sans davantage de raisons convaincantes.
Cette journée de mardi fut marquée par une première rafale de statistiques américaines… et que croyez-vous qu’il advint ? Rien que du bon naturellement !
Les ventes de détail progressent de 2,7% (presque deux fois plus vite que prévu) mais la hausse hors automobile s’avère moins convaincante avec +1,1% (dont +5,5% pour la seule consommation d’essence et de gasoil). Les prix à la production grimpent de 1,7% ; certains s’empressent de dire adieu au spectre de la déflation… mais ce n’est qu’un timide rebond une fois exclu les +23% des produits pétroliers.
La cerise sur le gâteau, c’est la poursuite du redressement de l’indice Empire State (Fed de New York) : il passe de 12,08 à 18,8 et retrouve ses meilleurs niveaux depuis l’été 2007.
Vous comprendrez que ce score d’avant-crise nous laisse songeur. Cela s’apparente en effet à un miracle de la fiction statistique, surtout quand on constate le très faible niveau d’utilisation des capacités industrielles sur l’ensemble de la côte Atlantique. Nous jugeons prudent d’attendre une confirmation de l’embellie par l’indice Philly Fed… ce n’a pas été le cas de Wall Street, qui s’est empressé de pulvériser de nouveaux sommets annuels. Le Dow Jones a franchi les 9 600 points et le Nasdaq les 2 100 points.
▪ Les places boursières européennes qui somnolaient autour du point d’équilibre jusque vers 14h29 se sont soudain réveillées. Le CAC 40 a bondi de 1% pour égaler son meilleur score depuis le pic indiciel du 14 octobre 2008. Il accumule ainsi 27% de gains en ligne droite partant du plancher du 10 juillet dernier, et 52,5% depuis le 9 mars).
Paris a fini sa course en tête du peloton européen devant Londres (+0,45%) et Francfort (+0,15%), juste derrière Madrid (+0,85%) alors que les indices américains s’acheminaient vers une septième séance de hausse sur une série de huit. Alors que les bourses voisines avaient pris un départ plutôt prudent mardi matin, le CAC 40 se détachait rapidement du lot, dopé par une envolée de 6% d’EDF.
Le titre a flambé suite à une information du journal Les Echos selon laquelle Paris et la Commission de Bruxelles seraient sur le point de trouver un accord réglant leur différend concernant les règles de concurrence sur le marché français. Mais ce n’est pas là le point décisif : EDF, c’est la deuxième capitalisation du marché parisien et c’est un titre qui affiche un retard de performance considérable sur le reste de la cote ces six derniers mois.
Cela représente donc un excellent levier pour hisser rapidement le CAC 40 au-dessus de l’obstacle des 3 750 points. Il faut y ajouter un coup de pouce du compartiment automobile (+2,5% en moyenne) suite à la progression de 3% des immatriculations en Europe au mois d’août.
▪ Il serait abusif de prétendre que cette embellie dépasse les espérances, surtout lorsque le contribuable découvre le coût budgétaire des différentes primes offertes aux acheteurs… mais ne nous plaignons pas de voir circuler cette année davantage de véhicules plus sûrs et moins polluants.
Depuis le salon automobile de Francfort, l’euphorie n’est pas encore de mise. Tadashi Arashima, le président de la filiale européenne du groupe Toyota, estimait que les ventes du secteur automobile seraient au mieux similaires à celles de 2009 l’an prochain. Il ne saurait mieux exprimer tout haut ce qu’une majorité d’industriels pensent tout bas… mais devant les caméras et pour complaire à leurs plus gros actionnaires, ils récitent le couplet du "pire est derrière nous".
▪ Au Japon aussi, début 1992, deux ans après l’éclatement des bulles immobilières et boursières (et partant de là, du système bancaire nippon), l’ensemble des acteurs économiques pouvait affirmer la main sur le coeur que la sortie de la récession était enclenchée ; l’Archipel se couvrit littéralement de grues de construction en quelques mois.
Avec tant d’argent injecté dans les travaux publics (pour de multiples chantiers pharaoniques) et dans le renflouement des établissements de crédit, avec des taux d’intérêt à 2% (une révolution pour l’époque), l’économie ne pouvait que repartir sur de meilleures bases.
Après les chutes de 1987 puis 1989, la Bourse de Tokyo — qui s’était prise à croire qu’il s’agissait d’une crise comme les autres — anticipait une reprise en "V". Mais après un rebond de 33% du Nikkei en six mois, la désillusion fut complète. Les économistes durent convenir que la demande de crédit s’effondrait, que la consommation des ménages nippons se contractait, que les prix de l’immobilier continuaient de plonger… et que le meilleur scénario pour 1993 serait celui d’une reprise en "U".
Sans que le rebond de l’activité économique soit plus avancé ou plus robuste aux Etats-Unis qu’au Japon deux ans après le début de la crise, le Nasdaq affiche déjà +66% par rapport à ses planchers de mars — soit un gain deux fois plus important que celui du Nikkei 18 ans plus tôt.
Il est vrai qu’à l’époque, les Japonais n’achetaient pas d’actions. Par ailleurs, leurs banquiers — qui n’avaient guère de marge de manoeuvre financière — ne disposaient pas d’un arsenal informatique ni de liquidités généreusement avancées par les contribuables. Ils ne pouvaient donc pas permettre aux (très gros) traders de manipuler les cours à leur guise, avec la complicité de médias s’employant à manipuler l’opinion… au nom d’une forme de patriotisme financier ?
▪ Nul ne peut nier aujourd’hui qu’à l’image de la pandémie de grippe A, le scénario d’une rémission de la crise — qui n’est nullement avérée mais simplement masquée par quelques expédients budgétaires — fait l’objet d’un intense matraquage médiatique.
Leur point commun, c’est le profond décalage par rapport à la réalité. Leur spécificité intrinsèque et réciproque est de faire peur avec ce qui est bénin (le corps médical maîtrise la situation) et de rassurer l’opinion sur une pathologie économique sévère (face à laquelle le personnel politique est impuissant).
Ben Bernanke a beau secouer le thermomètre bancaire pour prouver que la température du malade baisse, ce dernier reste couvert de sueurs froides. Les économistes tentent de faire passer ses tremblements compulsifs pour des éclats de rire de bonheur face à une guérison si rapide.
Alors, où en sommes nous vraiment de la reprise ? A notre avis, un peu au-delà du creux du premier "V" d’un "W" qui a toutes les chances de se transformer en "L" ! Où en sont les indices boursiers ? Au-delà des limites de l’intelligible, en train d’inventer un nouvel alphabet qu’eux seuls sont capables de déchiffrer.