▪ Voici un article que j’ai plusieurs fois commencé et abandonné, pour y revenir ensuite. La raison ? Son sujet, la Grèce. Après le pic de tensions l’été dernier autour d’une sortie, ou pas, de la Grèce de la Zone euro, je suis — tout comme vous, je suppose — parvenue à un tel degré de saturation sur cette histoire qu’il m’était impossible de me replonger dans le sujet.
Pourquoi une telle saturation ? Elle tient certainement à l’exaspération que je ressens face à l’indigence des "solutions" proposées en juin dernier. Il fallait vraiment être d’un optimisme coupable pour croire que la question grecque était réglée. Et de fait, elle n’est et ne l’a jamais été. Alors, oui, certes, Tsipras, qui a obtenu un nouveau mandat, a fini par céder devant l’ex-Troïka renommée pour l’occasion "Groupe de Bruxelles"… mais demeure non résolue la question fondamentale, celle que tout le monde ou presque feint d’ignorer.
Comment la Grèce peut-elle rembourser ses 312 milliards de dettes (à fin juin dernier) ? |
Cette question est : comment la Grèce peut-elle rembourser ses 312 milliards de dettes (à fin juin dernier) ? Car le compromis trouvé (imposé) en juin dernier ne réglait (et encore) le sort que d’une petite partie des intérêts et de dettes de court terme.
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13 milliards d’euros ont été versés mais le gros du problème est toujours bel et bien là et personne n’a vraiment de solution à proposer, et ce alors que le déficit du pays dépasse les 180% du PIB. Seule solution viable, mais que refuse catégoriquement le groupe de Bruxelles, la restructuration. Le gros du problème a donc été caché sous le tapis, et tout le monde feint de ne pas l’apercevoir. Cela arrange tout le monde même si c’est évidemment complètement stupide à long terme.
▪ Deux milliards d’aide en suspens
Et cela ne va pas s’arranger… La Zone euro était censée verser en octobre deux milliards d’euros, en échange de réformes. Mais ce versement a rapidement tourné court et Athènes vient d’obtenir une semaine de délai pour se plier aux exigences de ses créanciers — et débloquer les deux milliards attendus.
Ces deux milliards doivent alimenter le fonctionnement de l’Etat. Pour la Grèce, ce report ne devrait pas la mettre de nouveau en situation de défaut de paiement mais poser des problèmes de fonctionnement interne.
Revenons toutefois aux raisons de ce blocage qui tournent, une nouvelle fois, autour des réformes que le gouvernement grec s’est engagé à mettre en place — avec un pistolet sur la tempe. Tsipras a récemment fait passer deux ensembles de lois destinées à satisfaire le Groupe de Bruxelles : retraites à nouveau revues à la baisse, réforme de l’impôt sur le revenu, libéralisation de certains secteurs, ouverture à la concurrence pour certaines professions. Le budget 2016 prévoit en outre 4,3 milliards d’euros d’économies supplémentaires. Une quarantaine de réformes votées dans l’indifférence presque générale en Europe mais qui devaient permettre le versement des deux milliards d’euros.
▪ Les banques, talon d’Achille de la Grèce
Mais les banques grecques sont venues s’interposer entre Athènes et ses milliards. L’état catastrophique du système bancaire hellène ne devrait pas vous surprendre : entre les dettes souveraines grecques, les fuites de capitaux qui ont atteint des sommets lors de la crise du printemps dernier (ils sont estimés à plus de 90 milliards d’euros depuis 2010), les défaillances sur les crédits des particuliers comme des entreprises, cela va mal, très mal pour elles. Une recapitalisation est donc nécessaire. Pour quel montant ? Un récent état des lieux réalisés par la BCE chiffre ces besoins à 14,4 milliards d’euros.
Hum… Permettez-moi d’en douter. Les stress tests réalisés par la BCE depuis le début de la crise de l’euro ont toujours eu tendance à trop largement sous-estimer les risques et donc les besoins en recapitalisation. Les récents déboires des banques européennes n’en sont que la dernière preuve. Le gouvernement grec estime que ses banques pourront se débrouiller par elles-mêmes pour trouver 4,4 milliards d’euros… Reste donc 10 milliards d’euros à trouver. 10 milliards qu’Athènes aimerait bien obtenir du groupe de Bruxelles ou du Mécanisme européen de stabilité (MES).
Jusque-là, à part que ces chiffres me paraissent sous-estimés, rien de vraiment problématique, d’autant plus que le MES a prévu une enveloppe d’un peu moins de 25 milliards pour venir en aide au système bancaire grec.
Le coeur du problème est une réforme des saisies immobilières que le gouvernement Tsipras se refuse à faire passer |
▪ Les saisies immobilières au coeur des tensions
Alors que s’est-il passé pour que le ton monte à nouveau entre Athènes et ses créanciers et pour que ceux-ci fixent un nouvel ultimatum à Tsipras ? Le coeur du problème est une réforme des saisies immobilières que le gouvernement Tsipras se refuse à faire passer. Celle-ci, imposée par le Groupe de Bruxelles, ferait passer de 250 000 euros à 120 000 euros la valeur du bien à partir duquel une saisie immobilière est possible. Athènes accepte de faire baisser ce seuil à 180 000 euros mais veut exclure les résidences principales de cette réforme.
A première vue — à la seconde aussi –, la demande des créanciers de la Grèce paraît particulièrement sévère, voire inique, alors que la Grèce est plongée dans une crise économique majeure. Niveau communication, on a vu mieux… Mais pour le Groupe de Bruxelles peu importe, ce qui compte c’est l’état des banques grecques.
Aujourd’hui, elles sont confrontées à un nouvel problème, l’explosion des crédits qui ne pourront pas être remboursés. On estime ainsi qu’environ 45% souscrits aussi bien par des entreprises que des particuliers ne pourront pas être remboursés. Pour les banques, les pertes potentielles sont énormes et ne les encouragent pas à accorder de nouveaux prêts.
Pour le Groupe de Bruxelles, il est donc indispensable de revoir les conditions de saisies immobilières alors que la loi actuelle protège environ 80% des biens. Du côté d’Athènes, une telle mesure coûterait trop cher aux Grecs alors que la récession économique est de plus en plus violente. En pratique, elle signifierait plus de dizaines de milliers d’expulsions (environ 150 000 selon certaines estimations). Un coût politique et économique lourd alors que les mouvements de grève et de protestations se multiplient en Grèce.
Pour ne rien arranger, Tsipras a toutes les raisons du monde de souhaiter un rapide règlement du problème posé par la recapitalisation de ses banques. Après le 31 décembre prochain, la nouvelle directive européenne sur le redressement des banques et résolution de leurs défaillances entrera en vigueur. Or cette nouvelle directive prévoit le bail-in en cas de défaillance d’une banque — à savoir un prélèvement imposé sur les dépôts supérieurs à 100 000 euros en cas de besoin. Il faut donc que Tsipras trouve une solution d’ici la fin de l’année.
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