▪ Une journée semi-fériée, sans statistiques, sans trimestriels, sans IPO… et surtout sans volumes (1,85 milliards d’euros échangés) : voilà les conditions idéales pour enclencher un algorithme haussier — une sorte de mise sur pilote automatique — qui a tracté le CAC 40 jusque vers 4 296 points d’altitude (vers 16h).
A Wall Street, c’était jour de camisole algorithmique avec volatilité réduite à 0,2% durant les six heures et demi de la séance du jour… Pour être encore plus précis, la volatilité n’a pas dépassé 0,05% sur les trois principaux indices américains ; ils sont restés au garde-à-vous, dans une parfaite immobilité, au cours des trois dernières heures de cotation.
Si le CAC 40 bute au final sur le palier des 4 300, l’indice réintègre cependant son canal ascendant, invalidé par une incursion vers 4 215 points vendredi dernier et une clôture sous les 4 260 points.
Comme l’expliquait un gérant sur BFM peu après la clôture : « dans un marché de flux, il faut payer tous les creux » (à tous les coups ça gagne). « On n’a jamais vu de marché aussi bull depuis 50 ans », « avec les liquidités de la Fed et bientôt un nouveau LTRO de la BCE, ça nous promet au moins du +15% en 2014 sur les places européennes et un CAC à 5 000 »!
▪ A-t-on encore besoin des gérants ?
Voilà trois lignes qui résument à elles seules l’état d’esprit général… mais soulèvent une question peut-être insolite : pourquoi dans ces conditions aurait-on encore besoin de gérants en chair et en os pour administrer un portefeuille boursier ?
Un simple logiciel de réplication indicielle fera aussi bien et probablement mieux qu’un professionnel payé 100 000 euros par an + prime indexée sur la progression de l’encours du portefeuille !
L’ordinateur ne coûte aucune charge sociale ; il est certes incapable de faire mieux que l’indice mais il lui est impossible de faire moins bien… comme 70% des gérants qui, à un moment ou un autre, ressentent le besoin de « couvrir » leurs gains — tant un marché qui progresse sept ou huit mois d’affilée finit par leur apparaître suracheté, même s’ils savent que la Fed tire les cours de façon systématique.
A un moment, les cours apparaissent tellement décorrélés de la situation présente et des profits futurs — même en se montrant optimiste au-delà des limites extrêmes de l’imbécilité la plus béate — que la peur de « trop haut, trop vite » induit l’irréparable erreur qui consiste à réduire la voilure et se protéger temporairement d’un risque de baisse, c’est humain !
▪ Goldman Sachs et la nature humaine
Il y un moment où la hausse de 36% d’un indice (le Russell 2000 par exemple), partant de niveaux de valorisation déjà très élevés et avec une progression quasi-nulle des bénéfices depuis 10 mois finit par donner le vertige et susciter de l’aversion au risque.
Mais de tels maux n’affectent que les faibles d’esprits. Ils n’atteignent jamais d’aussi éminents personnages que ceux qui président — ou présideront — aux destinées de la Fed… et encore moins ceux qui les conseillent, c’est-à-dire les stratèges de Goldman Sachs (GS), pour lesquels — c’est de notoriété publique — aucune bulle n’est jamais assez grosse, assez ubuesque.
Ils connaissent bien la nature humaine, sa corruptibilité, son avidité sans limites, son incapacité à éviter de reproduire les erreurs du passé. Eh oui, on peut gagner de l’argent à la hausse… mais les fortunes se font à la baisse.
Les mensonges les plus énormes déferlent lorsqu’il y a suffisamment d’argent à gagner sur le dos de masses naïves dès lors que les gains boursiers sont présentés comme certains, alors même que les marchés sont au plus haut et les bénéfices au plus bas.
Cette contradiction est bien sûr résolue par les imparables : « on a changé de paradigme » (réservé aux BAC+5), « la bourse achète l’avenir » (réservé aux BAC+2) et le « marché a toujours raison » (certificat d’études facultatif).
▪ Mais chaque règle a ses « exceptions »…
Oui, la bourse a toujours raison, sauf en 2000 avec la pseudo Nouvelle Economie, sauf sur Enron, sauf sur Madoff, sauf sur les subprime, sauf sur Fannie Mae, sauf sur Lehman et AIG… sauf sur tout ce qui est porteur de conséquences catastrophiques en réalité.
Les faiseurs d’opinion de Goldman Sachs trouvent toujours des cohortes de petits (ou grands) laquais pour propager ce genre de thèses fallacieuses — intentionnellement ou par omission — lorsque se jouent les bonus de fin d’année.
Cette année, GS va un peu plus loin dans la manipulation des esprits en dissertant sur ce que ne va pas manquer de faire la Fed si elle souhaite rester pertinente… et en laissant entendre que le message sera reçu cinq sur cinq (comme d’habitude, en quelque sorte).
Car ce que Goldman Sachs veut, Dieu le veut.
Il n’y a que les « tout petits d’hommes » pour juger que se prendre pour Dieu n’est pas une preuve absolue de bon sens et d’équilibre mental.
▪ Une voix discordante
Parmi les quelques athées de la finance qui remettent en cause l’ordre divin des créateurs de bulles, il nous faut mentionner Jean-Michel Naulot, interviewé lundi soir sur BFM Business entre 18h30 et 19h… et comme par hasard une journée de faible écoute.
M. Naulot avait 37 ans de banque derrière lui lorsqu’il est devenu membre du collège de l’Autorité des marchés financiers en 2003 (son mandat à l’AMF expirera fin 2013). Hier, il était surtout invité en tant qu’auteur du livre Crise financière – Pourquoi les gouvernements ne font rien.
Vous en avez certainement entendu parler depuis sa sortie il y près de six semaines. Ses thèses concernent la puissance du lobby bancaire qui met en échec toutes les tentatives des différents gouvernements des pays développés de limiter les prises de risque spéculatif du microcosme financier.
Au-delà du livre, il rappelle que l’encours des dérivés gérés par les banques et les hedge funds est de 720 000 milliards de dollars (il en oublie 30 000 mais nous ne lui en tiendrons pas rigueur, ce n’est que l’écume des choses) et que le levier moyen des opérateurs sur ces produits est de 30.
Ce n’est qu’une estimation : 90% des encours résultent de transactions « non listées » alors que l’objectif était de parvenir à une proportion inverse d’ici 2018 (ce qui ne laisserait que 10% à la discrétion des banques).
En se montrant très optimiste, Jean-Michel Naulot estime que l’on pourrait parvenir à en « lister » 40% à un horizon de cinq ans. Cela à condition de ne pas laisser les lobbies torpiller les efforts en faveur de la transparence et de la régulation menés par de grandes instances comme la Commission Européenne ou le Comité Bâle-3.
Mais d’ici cinq ans, nous pouvons être à peu près sûrs que cette méga-bulle aura explosé…