L’INSEE et le gouvernement tablent sur un fort rebond de l’activité économique au second semestre 2020 et en 2021. Mais comment sera-t-il possible alors que les mesures anti-économiques se multiplient ?
Sur le papier, les capacités de résilience de l’économie française ne manquent pas. Notre tissu industriel est, pour l’instant, encore relativement intact et semble prêt à répondre à la demande lorsqu’elle repartira.
La dépense publique a joué son rôle d’amortisseur en soutenant la consommation durant le confinement et les faillites ont été évitées au printemps grâce au chômage partiel et aux prêts garantis.
Tout est, en théorie, prêt pour qu’offre et demande se rencontrent de nouveau pour créer de l’activité économique.
Pourtant, en parallèle des mesures de soutien, les politiques publiques continuent d’étrangler l’économie réelle. Le cas des restaurateurs et cafetiers a été abondamment commenté lors de la mise en place des mini-confinements à Marseille puis à Paris, mais le risque va bien plus loin.
Si l’interdiction de se retrouver en famille ou entre amis pour boire un verre après 22h est emblématique du climat actuel, son effet reste anecdotique à l’échelle du pays. La dépense annuelle des Français en boissons est de 24,2 Mds€, soit moins de 1% du PIB. La part qui revient au cafetiers est encore plus faible, et le manque à gagner entre 22h et minuit difficile à quantifier du fait des changements d’habitude de consommation induits.
Les restrictions prises fin septembre sont par conséquent impressionnantes, mais leur ampleur reste limitée et des mesures de soutien aux professionnels concernés ont rapidement été annoncées. En revanche, la cascade d’effets des « bonnes pratiques » suggérées par le gouvernement suite au durcissement décidé mi-octobre et des fermetures de frontières est encore totalement négligée.
Ce sont pourtant ces changements qui, par leur impact, rendent le fameux rebond des plus improbables à court terme.
L’activité économique qui ne reviendra plus
En incitant au télétravail, le gouvernement va étrangler tout un pan de l’économie. Lorsqu’ils restent à domicile, les salariés utilisent moins leur véhicule, les infrastructures publiques, ne vont pas déjeuner à la cantine le midi, et recourent moins aux services à la personne. Il s’agit là d’une réelle destruction de la demande : le secteur automobile et les services associés (> 100 Mds€ par an) sont moins sollicités ; les travaux de voirie, si importants pour le BTP (> 200 Mds€ par an), sont moins nécessaires ; le recours aux services (17 Mds€ par an) disparaît du jour au lendemain…
Non seulement cette production de richesse perdue est irrattrapable (un salarié en télétravail à mi-temps ne va pas manger deux repas par jour à la cantine durant ses jours de présence pour autant), mais en plus elle se prolongera tant que les citoyens n’auront pas repris l’organisation qui prévalait en début d’année.
Les effets en cascade de cette baisse d’activité généralisée viendront encore aggraver la situation : le garagiste qui n’a plus de clients ira lui-même moins au restaurant, le restaurateur n’aura lui-même plus les moyens d’embaucher une femme de ménage… ainsi se déroule la mécanique bien connue des récessions.
Seule différence avec les récessions passées : celle-ci est créée de toutes pièces par les bonnes intentions sanitaires aujourd’hui présentées comme une nouvelle organisation pérenne.
Ce changement de mode de vie, dont se félicitent déjà les adeptes de la décroissance, représente une diminution de l’activité économique qui ne figure pas encore dans les prévisions économiques. Le « rebond » n’a pas encore eu lieu que les nouvelles politiques publiques viennent déjà lui couper les ailes.
Il est de bon ton de répondre que le travail au bureau, les déplacements et la consommation sont des vestiges de « l’ancien monde » et que l’économie moderne sera virtuelle.
C’est oublier un peu vite que le télétravail est une solution dont l’efficacité décroît avec le temps. S’il s’avère souvent efficace lorsque des salariés qui ont l’habitude de travailler ensemble se retrouvent du jour au lendemain en télétravail sans réunions ni pauses café, il réduit la cohésion et l’efficacité sur le long terme.
Dans la fonction publique, par exemple, la durée de télétravail ne pouvait excéder trois jours par semaine jusqu’à l’année dernière pour préserver l’organisation collective du travail et éviter l’isolement des agents.
Ces limites sont criantes pour les équipes de salariés qui habitent à quelques kilomètres les uns des autres ; c’est encore plus vrai pour les entreprises opérant à l’international. Au dehors de l’espace Schengen, dont il faut saluer le rôle imparfait mais salutaire en terme de mobilité des personnes ces derniers mois, les frontières restent en quasi-totalité fermées.
Relancer l’innovation : la seule chance de reprise économique
Les échanges transfrontaliers sont réduits à la portion congrue depuis plus de six mois, portant un coup d’arrêt à l’innovation technologique.
Au printemps, les industriels avaient retenu leur souffle en voyant la Chine, l’usine du monde, se claquemurer durant quelques semaines. Aujourd’hui, la circulation des marchandises a repris mais pas celles des personnes – et l’échelle de temps est totalement différente.
La mondialisation immatérielle, qui se nourrit d’échanges croisés entre les trois blocs majeurs que sont l’Europe, les Etats-Unis et l’Asie du Sud-Est, n’est plus. Tant que ces trois blocs resteront isolés, les progrès matériels notables seront gelés. Or l’amélioration des biens et services est l’unique source, augmentation de la population mise à part, de croissance économique.
Geler l’innovation, c’est s’interdire la croissance. Et sans croissance, pas de rebond.
Cette pause forcée dans l’innovation concerne toutes les entreprises innovantes qui ne travaillent pas en totale autarcie – autant dire l’écrasante majorité d’entre elles. Elle touche les start-ups, les PME industrielles dont les partenaires sont à l’étranger comme les plus grandes multinationales.
Pour la première fois depuis 2012, Apple n’a pas réussi à annoncer son nouvel iPhone au mois de septembre. Sa grand-messe annuelle de rentrée a eu lieu sans que le smartphone ne soit évoqué, et il a fallu attendre le mois d’octobre pour découvrir le très attendu modèle 5G.
De son côté, le groupe Volkswagen devait annoncer en début d’année l’ID.4, le véhicule électrique qui a pour lourde tâche de dépoussiérer son catalogue. Coronavirus oblige, le constructeur parle désormais d’une commercialisation fin 2020 ou début 2021.
Si l’entreprise la plus capitalisée au monde n’est pas parvenue à maintenir la feuille de route du produit le plus rentable de l’Histoire, et que le deuxième plus grand groupe automobile n’a pas réussi à sortir à temps un véhicule crucial pour sa stratégie, nous ne pouvons que craindre les effets de la prolongation des mesures sanitaires sur le reste du tissu industriel.
Les acteurs économiques qui partagent ce diagnostic concluent souvent que plus d’aides et de subventions sont nécessaire pour relancer la machine à innover. Avant de nous résoudre à ces extrémités encore coûteuses pour les finances publiques, peut-être suffirait-il de relâcher les contraintes qui étouffent entreprises et salariés.
2020 aura été une année blanche pour l’innovation : il est crucial pour nos économies que 2021 ne s’ouvre pas sous les mêmes auspices. A défaut, le rebond tant attendu n’aura pas lieu.