Le néolibéralisme actuel n’a plus rien à voir avec le capitalisme. Financiarisation et usure du capital règnent désormais, et leurs effets pervers sont en train de devenir visibles de tous.
Le néolibéralisme est une réponse perverse du système capitaliste à la tendance à l’érosion de son taux de profit. Cette érosion a été accélérée vers le milieu des années 1960 par les politiques de redistribution sociale, exactement comme l’a décrit Alan Greenspan.
La réponse néolibérale visait à contrer la tendance à l’érosion du taux de profit du capital, à augmenter le taux d’exploitation des salariés, à élargir les débouchés par tous les moyens, à optimiser l’utilisation des fonds propres par leur économisation – et tout ceci a débouché sur :
– la stagnation des salaires et la baisse de leur part dans la valeur ajoutée ;
– la globalisation/mondialisation avec délocalisation des productions ;
– la financiarisation avec essor fantastique du recours à la dette.
Bien entendu, je brosse à grands traits pour la démonstration car les phénomènes sont beaucoup plus complexes et plus enchevêtrés.
Fragilisation du système
Ce que je veux démontrer, c’est que la fragilisation du système ne tombe pas du ciel : elle s’est construite tout au long des 50 dernières années. C’est une nécessité du système pour survivre, ce n’est pas un choix.
Les principaux éléments de cette fragilisation se retrouvent dans plusieurs choses.
1. L’insuffisance de pouvoir d’achat des salariés
Cela correspond au diagnostic plus ou moins bidon de la crise fait par les banques centrales. Ce serait, selon elles, une crise d’insuffisance de la demande.
Elles ne s’interrogent pas sur l’origine de cette insuffisance et ne font pas le lien avec la stagnation des revenus salariés – et pour cause : leur science n’est pas une science, mais une idéologie au service de la justification du système.
L’articulation réelle, logique, est que les entreprises n’arrivent plus à réaliser un profit suffisant pour à la fois rémunérer correctement leur personnel, maximiser le profit des capitalistes, financer les investissements et satisfaire la gloutonnerie des gouvernements.
2. La délocalisation et l’arbitrage international du travail
Ceci se décompose en externalisation des chaînes de fabrication, raccourcissement des délais de fabrication, réduction des stocks et donc fragilisation de toute la chaîne. Cela fait gagner du temps.
Or, en matière capitaliste, le temps, c’est de l’argent. La réduction des chaînes et des stocks accélère la rotation du capital circulant et permet de bonifier la rentabilité du capital.
3. Enfin, la financiarisation
Celle-ci a de multiples facettes. Ce n’est pas le lieu de les étudier toutes ici. La plus importante, pour ce qui nous intéresse – à savoir la fragilisation du système –, c’est le recours généralisé aux leviers.
Pour bonifier la rentabilité des capitaux propres, on a recours aux capitaux extérieurs, capitaux de dettes. Ceci coûte moins cher que les capitaux propres et crée un surplus que les fonds propres s’attribuent. Ceci vient à son tour bonifier la profitabilité qui revient aux actionnaires et maximise donc les cours de Bourse.
Ce recours aux leviers s’est généralisé. Certes, ils bonifient les profits qui reviennent aux capitalistes mais, en contrepartie, ils usent le capital.
Attention à l’usure du capital
La notion d’usure de capital est complètement oubliée à notre époque, mais elle existe. Un capital a une capacité à supporter les risques et donc à servir de tampon en cas de problème. Le capital ne doit pas être remboursé, il est biodégradable.
La dette, en revanche, est remboursable et doit être honorée quelle que soit la situation. En conséquence, pour pouvoir supporter les risques, le système doit avoir une masse de capital suffisante et ne pas accumuler les dettes inconsidérément.
Selon les secteurs, il y a un rapport optimum entre la masse de dettes et la masse de capitaux propres. Quand la masse de dettes a progressé trop fortement en regard des capitaux propres, on dit que le capital est usé.
Cette notion s’est perdue, mais la réalité, elle, n’a pas changé. En recourant aux leviers de façon excessive, le système a usé son capital. Le phénomène a été aggravé par une pratique qui s’est généralisée depuis 2009 : les rachats d’actions. Ces buybacks sont l’institutionnalisation de la décapitalisation et de l’usure du capital. Ils sont un instrument systémique de fragilisation.
Rien n’est dû au hasard
Ce long développement a pour objectif de vous faire toucher du doigt que rien n’est dû au hasard. Ce qui se produit n’est pas « la faute à pas de chance » ; c’est le résultat d’une longue évolution perverse qui s’est faite à l’insu de tous et sans que qui que ce soit ne l’ait programmée.
C’est le système qui, de proche en proche, a muté. Il a suivi la ligne de plus grande pente du profit et, suivant cette ligne, il s’est fondamentalement fragilisé.
Cette fragilisation explique la récurrence des crises, leur rapprochement, leur aggravation en termes de volume de capitaux concernés. Elle explique aussi les remèdes qui sont utilisés – à savoir la création de nouvelles dettes, l’accumulation de nouveaux leviers et, finalement, pour faire tenir la pyramide, le déversement de liquidités monétaires tombées du ciel.
Le système résiste de moins en moins, non seulement à ses contradictions internes, mais également aux chocs externes. Parallèlement, la capacité des deux institutions centrales du système que sont la banque centrale et le gouvernement – ou, si l’on veut, l’institution d’émission et le Trésor public –, cette capacité du centre à encaisser, à assurer, et finalement à amortir les chocs, ne cesse de décliner.
Encore un ou deux chocs, et tout le potentiel qui était contenu dans ces deux institutions se trouvera épuisé. Ce sera la Grande Aventure.
Je le disais il y a quelques jours, on entre dans l’univers des Playmobil : en avant les histoires !
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]