** Les marchés se seraient-ils soudain réveillés ? Ont-ils découvert hier que la réalité du monde économique est plus proche de celle que nous décrivons que du rêve bleu dans lequel Wall Street semblait plongé depuis que le Dow Jones a refranchi la barre des 8 000 points fin avril ?
Nous n’avons pas la naïveté de croire que les brasseurs d’argent — sponsorisés par les contribuables américains — orchestrent la hausse des indices au motif qu’il faut bien créer une dynamique positive quelque part afin qu’un vent d’optimisme finisse par souffler sur l’économie réelle d’ici quelques mois.
Leur véritable souci est que les liquidités qui leur ont été avancées en quantité astronomiques depuis l’automne 2008 devront être remboursées. Dans le cas contraire, l’Etat se verra contraint — car c’est prévu comme cela — de se mêler un peu plus sérieusement de leurs (mauvaises) affaires… et il pourrait se trouver en mesure de découvrir un nombre tout aussi astronomique de cadavres dissimulés dans les paradis fiscaux.
Est-il besoin de le rappeler ? Le stress test a été réalisé sur la base de ce qui est connu ! Quel aurait été le résultat s’il avait tenu compte de ce que les banques d’affaires ont réussi à dissimuler, y compris après leur faillite ou leur rachat sous la houlette de la Fed et du Trésor US ?
Depuis le début, nous avons émis de sérieuses réserves sur la méthodologie parce que le worst case scenario (l’hypothèse la plus catastrophiste) a fixé une limite purement arbitraire au pire envisageable.
L’éclatement de la montgolfière des dérivés de crédit démontre que les simulations ne valent pas grand-chose en conditions réelles. Aucune équation ne saurait rendre compte d’une soudaine évaporation de la confiance et d’un retour fulgurant de l’aversion au risque.
Les modèles retenus par l’administration Obama intègrent-ils par exemple les conséquences redoutables d’une aversion des investisseurs internationaux à l’encontre du dollar ? 2 000 milliards de billets tous neufs — soit 15% du PIB américain — seront imprimés d’ici la fin de l’année 2009. Pour connaître le détail du cumul des déficits américains, reportez-vous à la Chronique publiée hier matin de Bill Bonner .
** Une véritable campagne d’intoxication médiatique voudrait convaincre les marchés et l’opinion publique que le secteur immobilier se stabilise aux Etats-Unis — nous savons que ce n’est absolument pas le cas en Europe, et surtout pas au Royaume-Uni ou en Espagne.
C’est une pure fable, une invention à coucher dehors, tout comme ce qui attend les 342 000 ménages qui ont fait l’objet d’une procédure de saisie de leur logement au mois d’avril. Il s’agit d’un nouveau record historique, le chiffre est en augmentation de 1% par rapport au mois de mars et de 32% en un an.
Le nombre de foreclosures — un terme anglo-saxon pour "saisie" qui vous est désormais familier — s’est élevé à 96 500 en Californie (la barre des un million de saisies en rythme annuel pourrait être atteinte d’ici le mois de juin), à 64 600 en Floride (soit un bond de 37% par rapport au mois de mars), à 16 300 dans le Nevada (et viva Las Vegas !) et à 16 250 dans l’Arizona. Les chiffres sont en progression dans la totalité des 350 zones — cela va du comté à la métropole urbaine, en fonction de la taille des états — suivies depuis un an.
** Timothy Geithner a beau affirmer que le système financier américain est en convalescence et que le risque systémique est écarté, Wall Street retient surtout de son discours le fait que de nombreuses réformes — et la mise en place de réglementations plus contraignantes — devront être entreprises, sans oublier la création d’un nouveau fonds de solidarité.
Si la santé des grosses banques s’améliore — c’est plus facile avec des tombereaux d’argent public –, si les petits établissements régionaux se voient également autorisés à recourir aux liquidités du TARP, il n’est pas encore certain que la restauration de leur capacité à offrir de nouveaux prêts parvienne à relancer la croissance.
En effet, les emprunteurs solvables se font de plus en plus rares et le fardeau des cartes de crédit prive des millions d’américains de toute marge de négociation avec leur banque. L’effet de ciseaux du negative equity sur la valeur des logements aggrave la situation.
** Le climat de confiance qui prévalait encore en début de semaine se délite. Une lourde consolidation affectant le compartiment des valeurs financières a fait basculer la tendance dans le rouge dès hier midi. Les trimestriels d’ING ont déçu ; le bancassureur néerlandais a ainsi dévissé de 11%, Aegon a plongé de 14%, Barclays de 9,6% et Fortis de 12%.
Le scénario d’un stress test auquel seraient soumises les banques européennes se précise tandis que le gouvernement allemand vient d’adopter la solution bad banks — ou structures de defeasance pour toiletter les bilans. Sans cela, les dépréciations d’actifs vont continuer d’empêcher les banques germaniques de faire leur métier pendant encore de nombreuses années. Certains produits complexes de type RMBS vont être gelés pour une durée allant jusqu’à 20 ans, sauf possibilité de revente à un prix convenable.
Même débarrassées d’une partie de leurs mauvaises dettes, les banques vont de toute façon devoir affronter une conjoncture difficile. Selon Eurostat, la production industrielle (corrigée des variations saisonnières) a reculé de 2,0% dans la Zone euro et de 1,9% dans l’Union européenne en mars 2009 par rapport à février 2009.
De son côté, l’INSEE révélait mercredi matin que les investissements dans l’industrie française devraient enregistrer une chute record (de 18%) dans l’industrie.
** La Bourse de Paris avait accusé le coup en passant de +0,7% vers 11h à -1,5% à l’heure du déjeuner. Les dégagements se sont accélérés à partir de 14h30 avec la publication des ventes de détail en avril aux Etats-Unis (-0,4%). Le coupable de cette contre-performance n’est plus le compartiment automobile : une fois la baisse des immatriculations exclue des calculs, la consommation recule encore plus nettement (de -0,5%).
Rien de bon non plus du côté des prix à l’importation qui se redressent de 1,6% dans le sillage du baril de pétrole. Il tutoie désormais les 60 $ — alors que le dollar résistait un peu mieux face à l’euro en fin de journée.
Le support court terme des 3 215 points a cédé vers 14h35 midi à Paris et celui des 2 400 points a été enfoncé simultanément sur l’Euro Stoxx 50. L’indice chute au final de 2,8% à 2 357 points.
La tendance haussière s’est donc interrompue mercredi midi… après avoir en effet tenu durant neuf semaines et demie !
Philippe Béchade,
Paris