La contagion partie des banques centrales s’est intensifiée, produisant la dynamique de crise tant redoutée.
Le système ne peut plus fonctionner correctement pour des raisons structurelles et systémiques. Ce n’est pas seulement dû à la conjoncture présente.
Powell ne cesse d’évoquer les « conditions financières ». La Fed, en fait, espère qu’il ne sera pas nécessaire de relever les taux de façon agressive, et d’aller jusqu’au point où les principales mesures d’inflation reviendront au niveau cible de 2%.
Au lieu de fonder sa politique sur la défense de la monnaie et l’inflation, la Fed se concentre donc sur… les conditions financières, sans comprendre que cette concentration peut être fatale et inadéquate. La vitesse de modification des conditions financières n’est pas la même que la vitesse de modification des conditions économiques. L’économie est un paquebot, la finance bouge comme l’éclair.
La régulation repose sur un mythe.
La Réserve fédérale surveille de près un resserrement significatif des conditions financières pensant qu’il précédera organiquement le ralentissement de la croissance et la diminution des pressions sur les prix. Dans cette conception idiote, quelques hausses de taux agressives proactives et « préchargées » par des discussions/communications publiques sur l’inflation sont censées produire rapidement des conditions de marché plus strictes, ce qui assurera une trajectoire d’inflation conforme aux objectifs !
Un marché se ferme
C’est ici que git l’illusion, dans cette idée de transmission entre finance et économie réelle.
Dans ce contexte, et sur la base de la phase initiale qui visait à faire prendre au sérieux la volonté de lutte contre l’inflation de la Fed, le S&P 500 a baissé de 22,5%. Les bons du Trésor présents dans l’ETF TLT ont perdu 24,0%, les obligations d’entreprise de qualité supérieure (rassemblées dans l’ETF LQD) ont chuté de 16,7%. Les CDS à haut rendement ont doublé en 2022 pour atteindre 588 points de base, le plus haut depuis mai 2020.
Le marché de la dette des entreprises s’est fermé à l’émission à la mi-juin. Les taux hypothécaires fixes à 30 ans se sont envolés de 270 points de base pour atteindre un sommet de près de 14 ans à 5,81%. Les prix des matières premières se sont fortement inversés, l’indice Bloomberg Commodities a chuté de 20% en quatre semaines par rapport aux sommets de juin. Le « taux d’équilibre » des anticipations d’inflation sur cinq ans du Trésor s’est fortement inversé. Le marché a déjà commencé à prévoir une baisse des taux dès 2023.
Tout indiquait un resserrement significatif des conditions financières compatible avec une diminution des pressions sur les prix.
C’est alors qu’un problème majeur est apparu : ce problème, ce fut la fuite devant le risque et la mise en place d’un puissant courant de désendettement mondial, d’une puissante force de deleveraging et de réduction de l’exposition au risque. La finance c’est du mercure, on ne la saisit pas, elle fait ce qu’elle veut !
Le dollar bondit, la Fed prend peur
Les devises des marchés émergents et les marchés obligataires, en particulier, ont été soumis à une pression intense, l’instabilité est devenue menaçante. L’indice du dollar a bondi de 5% en deux semaines pour s’échanger au-dessus de 109. Pendant ce temps, la crise chinoise s’est aggravée. Au cours de la semaine du 11 au 15 juillet, l’indice Bloomberg China Real Estate Developers Index a chuté de 10% et l’indice bancaire chinois CSI 300 a chuté de 7,7%, la plus forte perte hebdomadaire depuis 2018.
Les marchés obligataires de la périphérie européenne ont tangué. Les rendements italiens (4,17 %) et grecs (4,69 %) ont atteint des sommets en près de dix ans. L’euro a cassé sous les 1,00 contre le dollar pour la première fois en près de 20 ans. Puis, après un bref rebond, il est revenu sous ce seuil hier.
Bref, la réduction des risques et le désendettement sont rapidement devenus systémiques. La contagion s’est intensifiée, produisant la dynamique de crise tant redoutée, l’instabilité à la périphérie gagnant dangereusement le centre du système.
C’est dans ce contexte d’une contagion globale rapide que la Fed a une fois de plus pris peur et qu’elle a été obligée de pivoter, comme je l’ai immédiatement diagnostiqué. Elle a habillé son genou à terre de jargon théorique, elle a fait savoir que le taux directeur avait atteint le voisinage de « neutre ».
Le problème c’est la différence entre le temps du marché financier et le temps de l’économie réelle.
Assouplissement
Les marchés ont fait ce qu’ils ont l’habitude de faire : au bord de la dislocation, ils se sont retournés, emballés et ont enclenché un rally puissant. Les fameuses conditions financières se sont brutalement détendues, la spéculation a fait le reste.
Après s’être négociés à 3,48% à la mi-juin, les rendements des bons du Trésor à 10 ans sont descendus à 2,58% au 1er août. Un rally obligataire qui a étranglé les shorts du marché des actions : entre les plus bas du 16 juin et la clôture du 5 août, l’indice Goldman Sachs Most Short a rebondi de 37%.
Les indicateurs de risque ont signalé un changement significatif des conditions du marché.
Les CDS à haut rendement ont terminé la semaine dernière à 464 points de base, en baisse de 123 points de base par rapport aux plus hauts du 16 juin. Les CDS des banques ont également terminé la semaine à des plus bas de deux mois. Et, vendredi : « Les entreprises américaines font la queue pour revendre des obligations alors que les rendements chutent. »
A 56 milliards de dollars, les émissions de qualité investissement pour la semaine ont été les plus fortes depuis mars.
Conclusion : les conditions financières se sont à nouveau considérablement assouplies.
C’est le contrepied pour la Fed. L’escarpolette.
Le recours à un « taux neutre » pour calibrer la politique monétaire est une doctrine profondément erronée. Ou, selon le mot de Mohamed El-Erian, « comique ».
La Fed a déjà assoupli les conditions financières alors que l’économie réelle elle, n’a pas cligné d’un cil.
En effet, les statistiques de l’emploi de juillet ont été publiées début août. Elles sont beaucoup plus fortes que prévu : 528 000 ajoutés. Plus de 900 000 emplois ont été créés au cours des deux derniers mois. Selon le rapport JOLTS du 2 août, il reste 10,7 millions d’offres d’emploi non satisfaites.
Les données de crédit à la consommation sont aussi en forte croissance :
« Les Américains ont ajouté 312 Mds$ de dettes au cours du deuxième trimestre – une augmentation que les chercheurs de la Fed de New York ont qualifiée de « assez importante ».
Les Américains ont chargé 46 milliards de dollars supplémentaires sur leurs cartes de crédit au cours du deuxième trimestre et leurs soldes ont connu la plus forte augmentation en plus de 20 ans, selon la Fed de New York.
Les dettes sur cartes de crédit ont augmenté de 5,5% du premier au deuxième trimestre et de 13% d’une année sur l’autre. L’augmentation annualisée a été la plus forte augmentation cumulée en plus de deux décennies… »
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]