La banque centrale américaine avait le choix entre plusieurs risques. Elle semble préférer celui qu’elle pense pouvoir contrôler…
Compte tenu des causes de l’inflation, il est peu probable à ce stade que la politique monétaire puisse en venir à bout sans précipiter la récession.
C’est évidemment un risque politique et social, voire géopolitique.
Mais la Fed a-t-elle le choix ? Ma réponse est non : elle doit accepter de se couper un bras.
Un risque ou l’autre
La balance des risques est un concept clef dans le livre de jeu de la Fed. Et si on l’applique ici, il semble justifier ce choix. Il n’y a pas de bonnes solutions, il n’y en a que des moins mauvaises.
La balance des risques, c’est le mode d’appréciation moderne de la Fed. Entre plusieurs risques elle essaie de choisir celui qui est le moins dévastateur. Elle va préférer le risque qui fait mal à celui qui tue.
Si la Fed ne prenait pas le risque d’accélérer les hausses de taux et le resserrement monétaire, elle laisserait l’inflation s’installer durablement : les anticipations des marchés deviendraient menaçantes. Les taux longs grimperaient et s’installeraient au-dessus des 5%, voire 6% ; ce serait la catastrophe, car le système financier mondial et surtout les finances publiques mondiales n’y résisteraient pas. Ce serait la crise type 2007/2008.
Le raisonnement consiste à se dire qu’il vaut mieux courir le risque d’une récession, laisser baisser les actions et l’immobilier plutôt que laisser le marché-clef, la pierre angulaire des fonds d’Etat et des obligations, s’effondrer. Entre différents maux, il faut choisir le moindre.
La récession et la chute des actions et de l’immobilier sont rattrapables, on peut les gérer. Tandis que, l’effondrement du marché des fonds d’Etat, il n’est pas possible de le gérer. Il faut le préserver. C’est la bombe atomique.
Et la stagflation est peut-être déjà arrivée… Cliquez ici pour lire la suite.
Pour comprendre tout cela, je vous propose de lire cet extrait d’un texte de Jack Rasmus :
« La stagflation est peut-être déjà arrivée
La stagflation est généralement définie comme l’inflation au milieu d’une croissance stagnante de l’économie réelle. C’est déjà ce qui se passe : le PIB américain pour le 1er trimestre 2022 a enregistré une baisse de 1,5% tandis que le PIB ‘fictif’ de la Fed d’Atlanta estime une croissance nulle du PIB (0,0 %) pour la période d’avril à juin (le 2e trimestre) !
Si les prévisions de la Fed d’Atlanta s’avèrent exactes, c’est au mieux une stagnation. Et si l’économie se contracte réellement au 2e trimestre, cela représentera une phase encore plus profonde de stagflation.
Tout comme les économistes traditionnels et les médias ont débattu pendant des mois pour savoir si l’inflation actuelle était chronique ou temporaire, les mêmes experts débattent maintenant de savoir si la stagflation se produira bientôt, alors qu’elle est déjà arrivée. […]
La prochaine phase de stagflation à venir, fin 2022 et début 2023, reflétera la contraction de l’économie réelle, c’est-à-dire une récession. Le PIB ne va pas simplement stagner sans croissance, mais décliner.
En effet, la récession est déjà sacrément proche si l’on en croit les prévisions de PIB du 2e trimestre de la Fed d’Atlanta et les différents indicateurs économiques précurseurs qui apparaissent maintenant.
La stagflation est peut-être déjà là, car la contraction du PIB américain de 1,5% au 1er trimestre est suivie d’une autre contraction – pas seulement une croissance nulle – au 2e trimestre en cours.
Deux trimestres consécutifs de contraction définissent ce qu’on appelle une ‘récession technique’. La qualification réelle de ‘récession’ est laissée aux économistes du bureau national d’analyse économique (NBER). Ils attendent toujours plusieurs mois après les faits pour passer leur diagnostic.
Les ‘récessions techniques’ se traduisent presque toujours par des déclarations ultérieures du NBER de récession réelle. Et l’économie américaine est clairement au bord d’une récession technique au minimum.
Les solutions de Biden sont creuses
Les différentes solutions de Biden à ce jour sont davantage des postures de relations publiques conçues pour donner l’impression que quelque chose est fait plutôt que des actions qui traitent directement le problème de l’inflation américaine intégrée et chronique.
Les solutions proposées par Biden consistent à amener les sociétés pétrolières américaines et d’autres producteurs mondiaux de pétrole à augmenter leur production ; convaincre d’une manière ou d’une autre les pays qui acceptent les sanctions américaines en Russie d’appliquer un « plafond » sur le prix du pétrole dans le monde ; réduire les tarifs sur les importations de la Chine vers les Etats-Unis ; compenser le prix des productions énergétiques pour les consommateurs américains en baissant le prix des autres biens de consommation ; accroître la concurrence entre les sociétés monopolistiques américaines en subventionnant de nouveaux concurrents pour qu’ils entrent dans leurs industries ; suspendre la taxe fédérale sur l’essence.
Malgré les railleries de Biden contre les compagnies pétrolières, les compagnies de transport maritime et d’autres abus évidents sur les prix, tout n’a été qu’un discours et aucune action. Aucune proposition n’a été mise en œuvre à ce jour. Il s’agit soit de simples idées soulevées sans véritables propositions exécutives ou législatives. Soit elles ont déjà été rejetés par le Congrès. Ou bien, même si elles sont mises en œuvre, elles seront ‘contournées’ et absorbés par les entreprises avec peu d’impact net sur les prix à la consommation. Il faudrait une production mondiale supplémentaire de pétrole, de gaz et de produits énergétiques pour atténuer considérablement l’escalade des prix de l’énergie.
La stratégie de Biden a été de ‘parler’ sans marcher, comme le dit le dicton.
La seule véritable solution sur laquelle l’administration s’est discrètement mise d’accord, mais n’ose pas l’admettre publiquement, est que la Fed précipite une récession au moyen de son niveau record de hausses rapides des taux d’intérêt au cours de cet été 2022 en cours.
Et, comme on dit, ‘ce train a quitté la gare’. C’est une affaire conclue. La ‘solution’ de Biden est de faire précipiter une récession par la Fed.
La Réserve fédérale a choisi la récession. De plus, c’est un modèle de politique qui a déjà été utilisé.
Les origines de la récession à venir ressemblent beaucoup à la récession de 1981-82. À cette époque, la Fed a également précipité une récession en augmentant agressivement les taux d’intérêt dans un but de « destruction de la demande », comme on dit.
En d’autres termes, à l’époque, comme aujourd’hui, la stratégie consistait à faire payer les ménages et les salariés en détruisant les revenus salariaux au moyen de licenciements.
A 75 points de base, les taux de la Fed augmentent déjà à un rythme jamais vu depuis 1994. Les hausses de taux en 1981-82 ont été encore plus agressives. Cependant, comme je l’ai soutenu, l’économie mondiale est plus fragile et plus interconnectée aujourd’hui qu’elle ne l’était en 1980-1981, lorsque la Fed a relevé les taux à 15% et plus. L’économie capitaliste mondiale d’aujourd’hui ne supportera pas des hausses de taux ne serait-ce qu’un tiers de ces 15% avant de se contracter brusquement.
Il est plus probable qu’improbable que la Fed continuera d’augmenter les taux d’intérêt de 75 points de base lors de sa prochaine réunion, en juillet, et peut-être la même chose lors de la réunion suivante. A 4% pour son taux de référence des fed funds (et non 1,75%), l’économie va craquer. Il n’atteindra même pas le tiers du niveau de 1982, les 5%.
La raison pour laquelle l’économie va sombrer dans la récession bien avant le niveau de taux de 5% a été discutée par cet écrivain en 2017 dans mon livre Central Bankers at the End of Their Ropes: Monetary Policy and the Coming Depression, publié par Clarity Press.
Dans la suite de cet essai, les raisons pour lesquelles l’économie réelle américaine est assez fragile aujourd’hui sont abordées, y compris les preuves les plus récentes d’un affaiblissement de l’économie réelle américaine. Il est également question de savoir pourquoi les augmentations des taux des fed funds de la Fed à 4% ou plus précipiteront une grave récession aux Etats-Unis plus tôt que tard, et, surtout, pourquoi des hausses de taux de la Fed de cette ampleur auront probablement également de graves effets négatifs sur les marchés des actifs financiers, provoquant de graves crises de liquidité et même d’insolvabilité dans le système financier capitaliste mondial.
Si une contraction des actifs financiers se produit parallèlement à une contraction de l’économie réelle, la récession de 2022 s’aggravera presque certainement en 2023. Et, dans ce cas, la crise économique ressemblera davantage à 2008-10 qu’à 1981-82. Ou peut-être une fusion des deux dynamiques de récession en une seule. »
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]