▪ Le CAC 40 a enfoncé les 3 730 points en milieu de journée lundi. Cela a constitué un signal d’alerte qui s’est traduit par le déclenchement d’une rafale de programmes de vente — lequel a engendré un effet boule de neige dévastateur en fin de séance, avec une clôture survenant à 3 660 points.
De nombreux commentateurs un peu hébétés et confus de n’avoir rien vu venir ont rapidement conclu que cela ressemblait à un accident et qu’il ne fallait pas tirer de conclusion hâtive sur l’achèvement de ce que nous considérons comme un rêve éveillé depuis fin novembre.
Nous avons d’ailleurs été les premiers à évoquer sur le Téléphone Rouge la possible réitération du scénario du 6 mars 2012 avec une brutale chute de cours sans aucun signe précurseur — mais qui fut suivie d’un rebond de 7% en l’espace d’une dizaine de jours.
Le rebond survenu mardi (+0,95% avec 2,4 milliards d’euros) fut effectivement très comparable à celui du 7 mars 2012 (+0,9% avec 2,75 milliards d’euros).
Mais dès mercredi, alors que le Paris rechutait de 1,4%%, il apparut évident que la belle histoire de 2012 ne se répèterait pas. Le CAC 40 a clôturé de façon assez troublante à 3 642 points, soit « pile poil » sur son niveau de clôture du 31 décembre 2012.
Les permabulls n’ont pu s’empêcher de se féliciter de cette coïncidence qui semblait procurer un joli point d’entrée technique aux acheteurs.
▪ Les choses ne se passent pas comme prévu…
On allait voir ce qu’on allait voir ce jeudi… et tout semblait se dérouler à merveille avec une succession d’oscillations entre 3 645 et 3 660 points, entre 9h et 15h45. La conférence de presse de Mario Draghi ayant enfin permis à l’euro de consolider sous les 1,34 $, cette détente aurait pu déboucher sur une accélération haussière du CAC 40 en direction des 3 675 points, de quoi déstabiliser les vendeurs.
C’est en fait tout l’inverse qui s’est produit, du fait d’un net fléchissement de Wall Street survenu après un quart d’heure de cotations. Le CAC 40 a replongé rapidement en direction du plancher de la veille (3 625 points). Ce re-test d’un support potentiel n’a vraiment pas inspiré les acheteurs : la dégringolade s’est accélérée en direction des 3 600 points, avec à la clé le retracement du zénith du 19 mars 2012.
Même les permabulls sont obligés d’en convenir : depuis lundi après-midi, ce sont bien les vendeurs qui ont la main.
Les acheteurs potentiels — courageux en parole devant les médias mais pas téméraires dans la vraie vie — s’en tiennent apparemment au postulat selon lequel un investisseur raisonnable ne tente jamais de rattraper un couteau qui tombe… même après 4,5% reperdus sur les sommets.
▪ Les gestionnaires aux abonnés absents
Cependant, vous ne nous ôterez pas de l’esprit que c’est une tactique un peu étrange si, comme les permabulls le prétendent, il y a tellement de gestionnaires sous-investis et « regorgeant de liquidités » qui n’attendent qu’une occasion pour se renforcer.
Non seulement les acheteurs s’abstiennent de rentrer en force sur le marché mais ils se montrent étrangement absents chaque fois que les indices se rapprochent d’un seuil de soutien important.
Peut-être reviendront-ils « payer » à la veille du week-end comme ils en ont pris l’habitude depuis de premier janvier ? Sinon, gare à la cassure des 3 600 (ex-zénith de la mi-mars puis de la mi-septembre 2012), car la prochaine étape sera le retracement des 3 560 points puis le comblement du gap des 3 519 points du 28 novembre 2012.
Etrangement, plus les cours baissent, moins nous entendons de stratèges nous asséner leur couplet sur le thème des actions qui ne sont pas chères et des produits obligataires qui offrent désormais « un risque sans rendement » au lieu d’un rendement sans risque.
Nous sommes d’accord avec eux — tout comme Jim Rogers qui s’attend à un possible krach sur les T-Bonds US… ce n’est qu’une question de temps.
Comme Jim Rogers aime à le répéter, Ben Bernanke ne comprend rien à l’économie réelle (il n’a pas vu venir la crise des subprime). Il ne sait qu’imprimer de la fausse monnaie, bien convaincu que le tort de la Fed en 29 fut de retirer « le bol de punch monétaire » au moment où il fallait soigner le mal par le mal.
Helicopter Ben n’a aucune idée de ce sur quoi va déboucher son recours massif à la planche à billets. Il est simplement convaincu que cela ne pourra pas causer plus de dommages à l’économie que la pénurie de liquidités observée d’octobre 1929 au mois de juillet 1933.
Il avait fallu pas moins de 40 mois pour que la Fed et le gouvernement américain réalisent qu’ils avaient fait fausse route… et cela fait exactement 40 mois que Ben Bernanke imprime entre 50 et 90 milliards par mois et ne parvient à obtenir que 1 $ de PIB supplémentaire pour 2 $ de dette rajoutée au fardeau budgétaire des Etats-Unis.
Ce PIB sous perfusion voit sa progression s’évaporer dès que le Pentagone cesse ses emplettes auprès des firmes d’armement et des sociétés high tech spécialisées dans tout ce qui touche de près ou de loin à l’espionnage numérique.
Il y a pire : la productivité américaine a plongé de 2% au quatrième trimestre, ce qui ramène sa progression annuelle à 1% seulement.
Ce phénomène ne reflète pas seulement le recul mécanique de la croissance (la quantité de biens et services produite s’est contractée de 0,1%). Il trahit également le fait que les entreprises ont épuisé leurs marges d’économies sur les coûts de production, soit par voie d’automatisation des tâches, soit par le biais de la compression de la masse salariale — et le plus souvent les deux à la fois.
▪ Les initiés accélèrent leurs ventes
C’est probablement ce qui explique que les insiders (PDG, directeurs financiers, cadres dirigeants et autres catégories d’actionnaires considérées comme « initiés ») accélèrent leurs prises de bénéfices alors que Wall Street flirte avec ses sommets. Ils vendent désormais 9,2 actions pour une seule achetée, le ratio le plus défavorable depuis le printemps 2008.
Ce sont certainement d’autres initiés qui se délestent en Europe depuis le début de la semaine. Ils sont probablement bien conscients que la fable de la reprise économique qui justifie la « grande rotation » des produits de taux vers les actions ne prend pas auprès du grand public, pourtant censé se ruer en bourse au son du violon quand les cours sont au plus haut.
Pour ceux qui veulent cependant continuer de croire que les marchés ont la faculté d’anticiper infailliblement la conjoncture avec six ou neuf mois d’avance, le communiqué de la BCE lu par Mario Draghi jeudi après-midi a de quoi faire douter les plus optimistes. En effet, le rebond qui leur a été promis en 2013 est maintenant anticipé « en fin d’année » et non plus « à partir du second semestre ».
Ce qui importe avant tout, c’est que les liquidités restent surabondantes et qu’elles le demeurent… et Mario Draghi confirme qu’il va continuer d’en être ainsi.
Mais malgré tout l’argent que la BCE a déjà déversé dans le système bancaire via la mise en place de deux LTRO de 500 milliards d’euros chacun, la production de crédit demeure très faible… et Mario Draghi avoue qu’il ne peut pas faire grand-chose de plus pour dissiper l’aversion au risque des agents économiques (ce qui désigne conjointement les particuliers et les entreprises).
▪ Déséquilibre du crédit
Aux Etats-Unis, le volume des crédits se redresse nettement au mois de janvier mais une fois mis de côté des prêts automobiles, il convient de s’intéresser à la ventilation des emprunts par catégories de populations.
Là, le tableau s’avère beaucoup moins sympathique que ce suggèrent les chiffres bruts. Ce sont les ménages à faible revenus ou à revenus « intermédiaires » (pour ne pas dire intermittents ou précaires) qui s’endettent le plus.
Ils sont victimes de la décrue globale des salaires affectant les emplois peu qualifiés ainsi que de l’inflation réelle qui se situe entre 5% et 7% selon les modes de calculs (en incluant ou non les hausses de taxes votées en fin d’année 2002).
Autrement dit, les ménages qui ont retrouvé quelque marge de manoeuvre pour financer de gros achats (ou la scolarité de leurs enfants) sont infiniment moins nombreux que ceux qui se retrouvent pris dans la spirale du surendettement (souvent pour cause de frais médicaux imprévus, malgré le programme Obamacare que les républicains se sont juré de vider de sa substance).
Nous avons un peu le sentiment que si Wall Street continue de progresser malgré tout, c’est peut-être grâce aux prises de bénéfices qui se radicalisent en Europe… Le rapatriement des liquidités permet de différer de quelques séances supplémentaires un scénario de correction identique à celui observé à Paris lundi, mais en beaucoup plus violent, pour peu que les robots s’en mêlent.