Aujourd’hui je voudrais vous montrer comment les décideurs politiques et leurs conseillers réfléchissent activement aux moyens d’imposer des taux d’intérêts négatifs sur le cash.
Notamment, il y a une idée, moins technologiquement sophistiquée que celle de la « puce dans un billet de banque », qui revient souvent : imposer une forme de « taux de change » entre la monnaie papier et les dépôts numériques.
Au moins trois économistes influents se sont penchés sur le sujet depuis l’année dernière.
Deux d’entre eux sont membres du Comité de Politique Monétaire de la Banque d’Angleterre. Le troisième a présenté son plan lors du dernier symposium de Jackson Hole, une sorte de jamboree pour banquiers centraux organisé par la Réserve Fédérale de Kansas City.
Comme vous pouvez le constater, des gens sérieux.
Commençons par un discours datant de septembre 2015 donné par le chef économiste de la Banque d’Angleterre, Andy Haldane.
Dans une partie intitulée « Les taux d’intérêt négatifs sur la monnaie », Haldane parle de « trouver un moyen technologique pour soit prélever un taux d’intérêt négatif sur la monnaie, soit briser l’obstacle que présente la monnaie physique vis à vis de la mise en oeuvre d’un tel taux [négatif]. »
Naturellement, cette contrainte correspond au fait que celui qui fait face à des taux négatifs à la banque pourrait en faire sortir son argent et le garder plutôt sous son matelas.
[NDRL : c’est une des raisons pour laquelle nous avons rédigé une pétition contre la disparition des espèces. Le cash est aujourd’hui le seul moyen d’échapper à l’idée folle des taux négatifs sur les dépôts. Aidez-nous à maintenir ce maigre espace de liberté qui nous reste : la survie des espèces sonnantes et trébuchantes ! Signez notre pétition ici.]
Haldane met en avant trois options. La première est de trouver un moyen de réduire la valeur des billets au fil du temps.
La deuxième est d’abolir totalement la monnaie sonnante et trébuchante.
Mais c’est sa troisième suggestion qui semble gagner du terrain dans les cercles politiques :
« Une troisième option est de fixer un taux de change explicite entre les espèces et la monnaie électronique (ou bancaire). Déprécier régulièrement la monnaie papier par rapport à la monnaie numérique génère effectivement un taux d’intérêt négatif sur la monnaie.«
Haldane n’entre pas plus avant dans les détails sur ce point (il parle plutôt beaucoup du Bitcoin) mais cela semble vouloir dire que si, par exemple, vous déposez cinq billets de 20 livres sterling dans votre banque, vous serez crédité de moins de 100 livres.
En outre, au fil du temps, l’écart entre la valeur nominale du papier et ce qu’il vaut lorsqu’il est traduit en argent numérique pourrait augmenter.
Par conséquent, aujourd’hui, je pourrais être crédité de 98 livres sur mon compte pour avoir déposé cinq billets de 20 livres, mais l’année prochaine, je serais crédité de seulement 95 livres…
Martin Weale, également membre du CPM, a soumis la même idée lors d’un discours donné en mars dernier.
Weale parlait du problème que peuvent poser les taux négatifs pour les banques commerciales et comment elles pouvaient réagir à cela :
« Actuellement, les banques commerciales ont des comptes à la Banque d’Angleterre et… elles peuvent retirer des espèces à la demande. Si elles s’attendent à ce que les taux négatifs persistent pendant un certain temps, elles stockeront du cash plutôt que de garder l’argent à la Banque d’Angleterre. »
Même les banques paieraient pour avoir du cash
Weale décrit ensuite une politique qui pourrait résoudre ce problème :
« Un moyen de limiter ce ‘problème’ est de rendre au moins partiellement non convertibles les dépôts des banquiers à la Banque d’Angleterre ; des frais pour retirer du cash seraient un moyen moins extrême pour limiter la volonté des banques à amasser du cash. Ce sont là des possibilités mais en même temps, elles représentent un changement assez radical. Au lieu d’avoir une forme d’argent, nous en aurions deux. Le cash commencerait par avoir une décote en terme de valeur par rapport aux dépôts bancaires, de manière assez semblable à ce qui s’est passé avec le contrôle des changes, et la décote de la monnaie convertible vis à vis de la monnaie inconvertible. »
C’est la même idée que Haldane mais avec vue par l’autre bout de la lorgnette. Alors que Haldane semble suggérer d’opérer une décote sur votre cash lorsque vous le placez à la banque (mais avec la menace que cette décote augmentera si vous attendez avant de le faire), l’idée de Weale est que vous devez payer pour pouvoir détenir de l’argent physique.
Par conséquent, si vous voulez retirer les cinq billets de 20 livres dont j’ai parlé plus haut, ils débiteront votre compte de plus de 100 livres.
Quoi qu’il en soit, l’objectif est le même : faire payer le cash.
Toutefois Weale reconnaît que cette idée soulève quelques problèmes.
Il conclut en remarquant : « Il est probable qu’il faudra plusieurs années avant qu’un gouvernement se sente à l’aise pour dire aux retraités que leur retraite ne pourra être perçue que sous forme numérique et qu’ils devront cesser d’utiliser du cash. »
Les crises et les chocs finissent par faire en sorte que l’impensable devient envisageable… puis réalité
Le fait même que ceci soit ne serait-ce que sujet de discussion au sein de tels cercles en est la preuve.
Toutefois, il pourrait bien y avoir un moyen indirect d’atteindre une société sans cash, un moyen de dire aux gens : « Oui, vous pouvez garder votre cash » tout en trouvant des moyens de le rendre payant.
Pour prouver que ces idées gagnent du terrain, il suffit de lire un article présenté par le Professeur Marvin Goodfriend lors du symposium qui s’est tenu cette année en août à Jackson Hole.
Goodfriend est depuis longtemps un « sceptique du cash » et cet article ne déroge pas à ses idées.
L’article est truffé de jargon économique à propos du besoin de « désentraver » les politiques de taux d’intérêt afin qu’elles ne soient plus contraintes par la « limite de l’intérêt zéro. »
Je me propose de citer quelques lignes de son article et de les expliquer :
GOODFRIEND : La charge que représente cette limite à zéro sur la politique des taux d’intérêt pourrait être éliminée complètement et rapidement en mettant fin à cette ligne de défense des banques centrales qui consiste à garantir la parité des dépôts en papier monnaie.
TRAYNOR : Si nous faisons payer les gens pour qu’ils puissent avoir du cash, nous pouvons faire passer les taux d’intérêt en dessous de zéro tout de suite.
GOODFRIEND : … la banque centrale ne laisserait plus le stock de papier monnaie en circulation varier pour s’équilibrer dynamiquement avec la demande de dépôt en papier monnaie. A la place, la banque centrale pourrait accroître le stock global de papier monnaie selon une règle conçue pour faire évoluer le prix de dépôt du papier monnaie dans le temps sur une valeur nominale.
TRAYNOR : Vous ne serez pas nécessairement capable d’obtenir autant de votre argent sous forme de cash sans payer des frais. A la place, la banque centrale fera varier le coût d’accès au cash.
GOODFRIEND : Le prix de dépôt de la monnaie papier serait déterminé comme suit. A titre d’exemple, supposons que la politique des taux d’intérêt négatifs se répercute en totalité dans les taux de dépôt et les taux des marchés monétaires. Les taux d’intérêt nominaux négatifs exerceraient une pression à la hausse sur le prix de dépôt de la monnaie papier.
TRAYNOR : En même temps qu’imposer un taux d’intérêt négatif sur vos économies, nous vous ferons payer des frais pour la détention d’argent liquide. Et plus nous vous ferons payer des frais pour posséder des économies, plus nous vous ferons payer pour les convertir en cash.
Et il continue dans cette veine tout en balançant quelques équations…
Derrière tout ce jargon, l’idée est simple. Les politiques qui rendraient le cash payant (car c’est là le slogan implicite) sont activement en discussion aux plus hauts niveaux.
C’est là une étape nécessaire avant que cela ne devienne réalité. Ces politiques sont déjà bien engagées sur cette voie.
Il y a déjà une dynamique concrète derrière l’idée d’une société sans cash.
Il faudra juste un petit effort, bien discréditer l’utilité du cash, pour arriver à un tournant à partir duquel il disparaîtra rapidement.
1 commentaire
La nature à horreur du vide.
Certes les dirigeants peuvent s’évertuer à banir le « cash », et certes ils peuvent y parvenir partiellement. Mais ce faisant il détruisent le monopole d’un service en supprimant ce service. Rappelons que le cash n’est que reconnaissance de dette de la banque centrale qui offre certains avantages de liquidité de constance et de confiance. Enlever ces avantages change profondément la nature du cash et revient à l’interdire en crééant une usine à gaz.
Cela provoquera immédiatement la montée de la concurrence sur les anciens avantages du cash : or, bitcoin, cash privé, chèques, etc…
Et plus ils contrecarreront, plus cela sera compliqué, plus la concurrence monétaire en profitera. Et cela aura alors un fin disons retentissante et trébuchante comme la nouvelle monnaie.