▪ Et c’est reparti de plus belle pour les comparaisons idiotes, les références à côté de la plaque, les raisonnements biaisés ou d’une mauvaise foi confondante.
Wall Street semble plafonner depuis la dernière séance des « Trois sorcières » — c’était il y a tout juste une semaine. Pendant ce temps, un florilège d’études bidon et manifestement très orientées — à la hausse comme de bien entendu — tente de venir à la rescousse des sherpas de Wall Street… Lesquels s’acharnent (sur ordre de Ben Bernanke ?) à tirer les cours de bourse en totale déconnexion avec les taux d’intérêt — qui se tendent — et les résultats des entreprises — qui se dégradent.
De pseudo-experts nous expliquent qu’il ne faut surtout pas s’abstenir d’acheter sur des plus hauts historiques, car lorsqu’un marché haussier est lancé, rien ne l’arrête.
La preuve, lors de précédents rallies haussiers « séculaires » (de 30 mois et plus), Wall Street ne s’est pas contenté de battre 24 records, comme le S&P depuis le 10 avril dernier. Non, les places américaines en ont inscrit presque à chaque fois plus de 80, et même 150 entre le printemps 1982 et l’été 1987 et jusqu’à 308 entre octobre 1990 et mars 2000.
C’est là que nous dénonçons deux impostures. En effet, il y a bien eu un marché baissier entre janvier et décembre 1994, puis un krach entre juillet et octobre 1998. La fantastique série de 300 n’existe donc pas « d’un seul bloc ».
Cette précision est tout à fait accessoire en regard de l’autre méga-imposture : lors des précédents marchés haussiers, tout le monde achetait… C’est-à-dire des dizaines de millions d’épargnants (avec du « vrai argent »), des milliers de fonds d’investissement, des centaines de banques de premier plan, des hedge funds, etc.
▪ Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul acheteur, la Fed, et avec de la fausse monnaie
Tout le monde a tellement bien compris à quel point le jeu est truqué qu’il n’y a plus personne pour investir.
La richesse boursière (disons 90% de tous les actifs en valeurs mobilières) se retrouve ainsi concentrée entre un nombre de mains qui n’ont jamais été aussi peu nombreuses depuis la fin du 19ème siècle et les premières grandes fortunes constituées par des capitaines d’industrie et des banquiers (Carnegie, Vanderbilt, Rockefeller, Morgan).
La différence, c’est que la hausse actuelle des marchés américains n’est liée à la constitution d’aucun grand empire industriel, aucune source de richesse nouvelle. On s’extasiait de nouveau mercredi soir sur le modèle de Facebook — lequel ne repose que sur les heures de présence d’une masse d’adolescents qui ont peu d’argent à dépenser… mais continue de faire fantasmer les annonceurs et se remet à faire délirer Wall Street.
▪ Les voleurs se volent entre eux
Non, la principale cause de l’inflation irréversible des cours de bourse, c’est le déversement de toujours plus d’argent virtuel entre quelques mains autorisées par la Fed, et qui pour rien au monde ne voudraient l’investir dans l’économie réelle.
Cette fausse monnaie alimente une gigantesque machine à spéculer où les CDS, ETF et autres dérivés de volatilité permettent aux voleurs de se voler entre eux (ce n’est pas nouveau), à une échelle jamais observée dans toute l’histoire du capitalisme (ça, c’est beaucoup plus excitant !).
Le commun des mortels n’a aucune idée des sommes qui peuvent être engagées en un seul clic. Les contribuables ont le souvenir qu’on a voulu leur faire croire qu’un trader fou pouvait constituer des positions dépassant 50 milliards d’euros à l’insu de sa hiérarchie… et que cela constituait l’extrême limite du concevable et de la démesure.
Ils n’ont même pas idée des engagements à terme qui se constituent et se dénouent chaque jour sur les dérivés : cela se chiffre en dizaines de milliers de milliards de dollars !
Jérôme Kerviel se cachait, nous explique-t-on… Mais Bruno Iksil, surnommé « la baleine de Londres » et dont les prises de risque supérieures à 100 milliards de dollars ont coûté beaucoup plus cher à JP Morgan (nous ne saurons jamais exactement combien), ne se cachait pas, lui.
Ce trader vedette, contrairement à Kerviel, était parfaitement accrédité pour jouer dans la cour des grands, en compagnie des Goldman Sachs, Blackstone et autres HSBC. Cela sur des marchés où l’on peut gagner ou désintégrer des milliards de dollars en quelques heures.
Les gains stratosphériques, vous n’en entendez jamais parler (et pourtant ils existent)… Mais quand il y une « paume » — c’est souvent le collègue super-trader d’en face qui assurait la contrepartie et qui a perdu son pari –, on fait appel à l’actionnaire puis au contribuable.
▪ Facebook et les moutons de Wall Street
Bien sur, il n’y pas que des « baleines de Londres » dans l’univers des brasseurs d’argent. Il y a aussi des milliers de professionnels qui se contentent de mises raisonnables… Mais tout se passe comme si tous ces acteurs, formatés par le système, ne faisaient plus qu’un.
Ils aiment ou détestent tous les mêmes secteurs et les mêmes entreprises au même moment — surtout si un conseiller influent et capable d’orienter la tendance leur indique quoi penser.
Facebook est l’exemple caricatural de l’esprit moutonnier, de la « dégonfle » généralisée de l’esprit critique, du suivisme aveugle programmé via des automates censés flairer les bons coups.
Facebook à lui tout seul a sorti Wall Street de la morosité qui régnait depuis 48 heures. La société a beau représenter un modèle économique totalement unique, la hausse des profits annoncée mercredi soir rejaillit sur l’ensemble des valeurs du secteur technologie numérique.
Les investisseurs ont oublié à la vitesse de la lumière (celle du high frequency trading) comment la quasi-totalité des analystes se sont trompés et fourvoyés sur ce dossier ; pourtant, cela se passe sous leur nez.
Les voici contraints d’encenser d’un même élan le numéro un mondial des réseaux sociaux qu’ils vouaient aux gémonies depuis son introduction. Le titre a pris 15% en quelques secondes mercredi peu après 22h : les robots couplés aux analyseurs lexicaux veillaient au grain, ils ont réagi en quelques millisecondes. Les autres programmes de trading ont accompagné le mouvement comme un nuage d’étourneaux.
Personne ne voulait détenir du Facebook la veille… Maintenant pas un seul fonds, pas un seul gérant ne saurait s’en passer. Il faut désormais en détenir une ligne, à n’importe quel prix, même à +30% et pourquoi pas à +50% ce vendredi. Ce qui compte c’est de pouvoir montrer à son comité de gestion qu’on en a.
Il s’est échangé 365 millions de titres à 32 $ en moyenne. Cela représente plus de 11 milliards de dollars de capitaux échangés, soit huit milliards d’euros ou trois fois le volume traité à Paris.
▪ Résumer la situation jeudi soir était facile : Wall Street doit tout à Facebook !
Facebook, c’est 100% des 0,71% de hausse du Nasdaq, qui finit au zénith à 3 605 points.
Facebook, c’est 100% des 0,24% de hausse du S&P 500. Sans le titre, l’indice aurait fini dans le rouge au lieu d’afficher 1 690 points.
Par la magie d’un optimisme contagieux, le Dow Jones a clôturé en hausse de 0,09% à 15 555 points. La hausse a été acquise à 100% au cours de la dernière minute de cotation : il faut bien que les robots algorithmiques servent à quelque chose…
Côté statistiques, peu de réaction de Wall Street lors de la publication des commandes de biens durables pour juin. Elles sont ressorties en hausse de 4,2% au lieu de 2,5% anticipés… mais c’est grâce à l’envolée de 12,8% des commandes passées au secteur aérien. Hors transport, le reste de l’industrie américaine réalise une performance zéro.
Pendant ce temps là, les taux longs continuent de se tendre, encore et encore, jusque vers 2,63% à mi-séance puis 2,60% en clôture.
Cela n’a évidemment aucune espèce d’importance, puisque Facebook gagne plus d’argent que prévu : Wall Street a posté un grand « like » et tout est dit !