▪ Les marchés se sont (et nous ont) fait bien peur à l’occasion de la journée des « Trois sorcières », le vendredi 18 mai. Mais Wall Street enregistre enfin un joli rebond (de 1,5% à 2,5%), ce qui s’est toujours produit par le passé après des séries de 12 ou 13 séances de baisse consécutives. Nous pouvons donc nous offrir un petit frisson rétrospectif par le biais d’une market fiction qui a également pour but d’éclairer certains paradoxes de notre merveilleuse époque.
Voilà, c’est parti pour le Grand Huit…
Porter le coup de grâce aux indices boursiers semblait tellement facile, évident, imparable depuis l’enfoncement des 1 345 points sur le S&P et la cassure des 2 200 points sur l’Euro-Stoxx 50. Les ours baissiers n’ont pas résisté au plaisir de balancer l’ultime coup de patte qui devait faire s’écrouler le système bancaire européen et mondial en quelques heures.
Il suffisait de faire courir la rumeur que les retraits de dépôts bancaires s’étaient poursuivis vendredi en Grèce et en Espagne (bank run)… que la BCE commençait à discuter d’une reconstitution de ses fonds propres — virtuellement anéantis par la décote des actifs grecs qu’elle détient dans ses livres — et l’affaire était pliée.
Le succès de l’opération reposait ensuite sur la bonne exécution d’un plan parfaitement au point à force d’être inlassablement rejoué depuis deux ans.
▪ Sortir le cash et couler l’euro
Déluge de rumeurs alarmistes sur la Toile (diffusion de photos prétendument datées du jour attestant de la formation de queues devant les guichets des banques grecques pour en retirer le cash)… ventes massives d’emprunts espagnols, italiens, puis délestage sur les OAT… et pour achever de sceller le sort des marchés, séries d’attaques coordonnées contre l’euro (depuis divers paradis fiscaux).
Finie la glissade en douceur des deux derniers mois face au dollar : chute brutale de la monnaie unique sous les 1,25 $ en direction des 1,20 $.
Il s’ensuit une réunion de crise en Suisse alors qu’il devenait effectivement impossible d’enrayer l’envol de la devise helvétique face à l’euro.
Pour parfaire ce scénario catastrophe, des ventes de contrats sur indices américains ont été savamment orchestrées en pré-ouverture — cela ne coûte pas cher et c’est terriblement efficace. Le but étant de démoraliser les marchés via les plates-formes électroniques asiatiques et européennes, préfigurant un plongeon de 3% ou 4% de Wall Street lors de la reprise des cotations.
Il était quasi-certain que moins d’une heure après l’ouverture, les places européennes afficheraient -5 ou 6%, tandis que le rendement des Bunds aurait plongé vers 1,20% puis 1,1%. Les bons du Trésor espagnol, quant à eux, se tendent symétriquement vers 7% puis 7,5%.
▪ Facebook chute et entraîne Apple avec lui
Avant la mi-journée, l’évolution des marchés financiers devient totalement hors de contrôle en Europe et la contagion gagne Wall Street. Le titre Facebook s’effondre de 50% dans les échanges électroniques au lendemain même de son IPO, entraînant des ventes massives de titres Apple (550% de gains à matérialiser depuis début 2009) qui cote à Francfort afin de couvrir les pertes attendues.
Les algorithmes de trading, déjà fortement biaisés par une anticipation baissière depuis 15 jours, se déchaînent alors. Il n’y a plus qu’un sens, la vente, les teneurs de marché s’étant tous mis off — ils en ont le droit lorsque la volatilité explose et que le VIX grimpe comme une fusée.
Les carnets d’ordres se vident alors en quelques minutes tandis que les stops se déclenchent par dizaines, puis rapidement par centaines de milliers. Cela devient un 6 mai 2010 mais sur le sol européen… et pour de vrai cette fois-ci.
Il n’y a en effet plus d’acheteurs dans le marché dès 11h30 car plus aucune banque ne leur prêtait un centime. La priorité absolue du moment devient le prélèvement des marges et la liquidation des positions débitrices.
Pleinement conscientes qu’injecter massivement de l’argent dans un tel climat serait considéré comme un acte désespéré, les banques centrales s’abstiennent d’intervenir — la BCE n’ayant de toute façon plus les moyens d’une telle politique.
▪ Wall Street, la City, Paris… tous fermés
La Maison Blanche, sur le pied de guerre depuis trois heures du matin — sachant que les circuits financiers auraient cessé de fonctionner aux Etats-Unis avant la tombée du jour sur la côte Est — décrète la fermeture des marchés, imitant la COB au lendemain d’un certain10 mai 1981. Dès que la nouvelle est connue en Europe, les autorités de marché annoncent la fermeture de la City et des autres places continentales à 13h30.
Il était temps : Londres venait de passer le cap des 10% à la baisse, Paris affichait -14% (soit 2 550 points, son plancher de mars 2003, avec la moitié des titres réservés à la baisse et bien partis pour perdre 10% supplémentaires dès la reprise des cotations. Ce qui nous donne un niveau indicatif de 2 400 points pour le CAC 40 sur le futur juin. La place de Madrid, quant à elle, affiche -22,5% (avec seulement six valeurs sur 35 encore négociables).
La perte de capitalisation boursière potentielle — en additionnant l’Europe et les Etats-Unis — se chiffre au bout de quelques heures en milliers de milliards d’euros, égalant les pertes du krach consécutif à la faillite de Lehman.
La croûte terrestre vient de s’ouvrir sur un axe Athènes/Rome/Madrid et seul le plus puissant des dieux de l’Olympe aurait la force de la refermer.
▪ Certes nous exagérons… mais des milliers de milliards d’euros sont partis en fumée !
Vous croyez que nous exagérons ? Mais des milliers de milliards d’euros, c’est précisément ce que la fichue crise grecque a englouti boursièrement à plusieurs reprises depuis décembre 2009, avec les plongeons d’avril/mai/juin 2010, puis le krach de l’été 2011 et enfin la rechute actuelle.
Si on avait demandé leur avis aux actionnaires, aux épargnants, aux futurs retraités, ils auraient volontiers fait cadeau de 10% de leur portefeuille aux Grecs pour éviter d’en perdre 40% ou 50% (en cumulant les pertes) en moins de 24 mois.
Il y a deux ans, solder la crise grecque –renflouer le pays et soutenir son redressement — aurait coûté une centaine de milliards d’euros, en comptant très large. Et cela aurait eu des retombées positives en termes de croissance (et donc de recettes fiscales) pour l’ensemble des pays européens.
▪ Facebook : 30 milliards de dollars évaporés
Cette somme est comparable à la capitalisation de Facebook vendredi dernier vers 17h30 quand le titre cotait 44,50 $ — soit une capitalisation théorique de 123 milliards de dollars. Ce lundi, à 34 $ vers 15h45, Facebook ne pesait plus que 92 milliards de dollars, soit 30 milliards de dollars de capitalisation évaporés en quelques heures de cotation, ce qui a été pratiquement le niveau à la clôture: -11% à 34,03 $.
Le constat est vertigineux : trente milliards de dollars — certes en grande partie virtuels — ont pu disparaître en quelques heures de cotation sans que Wall Street ne sourcille. Le Nasdaq affichait rapidement 1,5% et il n’a cessé de gagner du terrain pour afficher 2,5% au final.
Et si Facebook ne valait bientôt plus que 10 $ (soit 10 fois ses bénéfices, ce qui serait encore bien payé), cela représenterait bel et bien 90 milliards de capitalisation détruite par rapport son zénith du 18 mai, et Wall Street ne s’en porterait pas plus mal !
Les investisseurs affirmeraient sans sourciller qu’il n’y a aucun péril à voir cette bulle éclater comme tant d’autres : il y a mieux à faire avec son argent… comme sauver la Grèce par exemple ?
Parce que franchement, si l’Europe avait imprimé 90 ou 100 milliards de dollars pour renflouer Athènes en mai 2010 — aussi immoral et indécent qu’ait pu être le comportement de la Grèce ces 10 dernières années — qui s’en soucierait aujourd’hui ?
Et qui se souviendrait d’un montant aussi insignifiant pour « sauver le monde », à l’aune des pertes encourues par ceux qui se sont rués sur l’IPO de Facebook à 45 $ ou qui persistaient à miser sur Apple à 640 $ en espérant 750 $ avant fin 2012 ?
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