Il y a deux ans, l’exploitation minière des astéroïdes a fait un grand pas en avant. Faut-il s’attendre à ce que des vaisseaux spatiaux reviennent bientôt sur Terre chargés d’or, à la manière des galions espagnols des conquistadors du XVIe siècle ?
Fin 2023, l’exploitation minière des astéroïdes était sous le feu des projecteurs.
Le 24 septembre, la sonde OSIRIS-REx de la NASA et du MIT est revenue de son voyage de 7 ans, rapportant sur Terre un échantillon de 250 grammes de l’astéroïde Bénou. Le précédent record, avec les 5 grammes de matière d’astéroïde rapportés en 2020 par la mission japonaise Hayabusa 2, s’en est trouvé pulvérisé. Le 13 octobre, la 14e mission spatiale du programme Discovery de la NASA vers l’astéroïde Psyché 16 a été lancée dans le but d’étudier cet astéroïde métallique.
Faut-il en conclure que l’or des astéroïdes va bientôt dépasser les 212 000 tonnes d’or terrestre ?
Rien n’est moins sûr…
L’industrie de l’exploitation minière des astéroïdes n’en n’est encore qu’à ses balbutiements
Comme l’expliquent Ronald Stöferle et Mark Valek (S&V) dans leur rapport In Gold We Trust de 2024 : « Malgré ce succès, la composition des deux échantillons d’astéroïdes n’était pas du métal, mais principalement de la terre, de la poussière et des roches. Par conséquent, la première chose à garder à l’esprit lorsqu’il s’agit d’extraire des métaux des astéroïdes, c’est que l’industrie en est encore à ses balbutiements. Ceci dit, au cours des trois dernières décennies, des progrès matériels ont été réalisés en vue d’une viabilité commerciale. »
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Chronologie des progrès en vue de l’exploitation minière des astéroïdes
Parmi cette liste, deux projets ont permis de jeter les bases de l’exploitation commerciale des astéroïdes.
- La mission Lucy de la NASA, lancée le 16 octobre 2021 : au retour de son voyage vers les astéroïdes troyens de Jupiter, cette sonde sera le premier engin spatial à revenir dans le voisinage de la Terre depuis l’extérieur du système solaire.
- La mission DART, lancée le 24 novembre 2021 : le 26 septembre 2022, elle a permis de réaliser la toute première déviation d’astéroïde.
Ceci dit, c’est une tout autre mission qui, pour certains, représenterait la plus grande menace pour l’équilibre entre l’offre et la demande d’or…
La mission Psyché pourrait-elle déséquilibrer le marché de l’or ?
La sonde Psyché doit étudier l’astéroïde éponyme, Psyché 16.
« Pour situer le contexte, écrivent S&V, la distance entre Psyché 16 et la Terre est 580 fois supérieure à celle qui sépare la Terre de la Lune, alors que Psyché 16 n’a même pas 0,5% de la surface de la Lune.
De plus, Psyché 16 est classé comme un astéroïde de type M, et l’on pense qu’il possède un noyau composé à 60% de nickel et de fer, ainsi que d‘importantes veines de minéralisation aurifère. En conséquence, Forbes a été l’un des innombrables médias à proposer une évaluation totale de 10 000 quadrillions de dollars pour Psyché 16. Ce chiffre représente non seulement 38,5 millions de fois la valeur de l’ensemble des réserves d’or sur terre, mais aussi 96,1 fois la valeur de l’économie mondiale de 104 trillions de dollars. »
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PIB mondial, et valeur marchande de Psyché 16 (échelle logarithmique, Mds$, 2023)
« Voilà de quoi être inquiet pour la valorisation de mes avoirs en métal jaune », vous dites-vous peut-être…
Et bien, ce n’est pas l’avis de nos deux Autrichiens, et ce pour plusieurs raisons :
- les hypothèses au sujet de la composition de Psyché 16 ne sont que des hypothèses. En effet, en l’absence de données géologiques concrètes, « on ignore si Psyché est un corps entier ou un tas de décombres », comme l’a formulé Lindy Elkins-Tanton, vice-présidente de l’Initiative interplanétaire à l’université d’Etat de l’Arizona ;
- et même en partant du principe que ces estimations sont exactes, « de nombreuses raisons amènent à penser que l’exploitation commerciale des astéroïdes ne se fera pas avant des années (lumière) », résument S&V.
Voyons ce qu’il en est plus en détail…
L’exploitation commerciale des astéroïdes n’est pas pour demain (ni pour après-demain)
La première raison qui explique cela tient à la rentabilité financière d’une telle entreprise.
En septembre 2023, il aurait en effet fallu que le cours de l’or soit environ 140 000 fois plus élevé qu’il ne l’était alors pour atteindre le point mort de l’opération, c’est-à-dire pour que l’exploitation minière des astéroïdes ne soit ni bénéficiaire, ni déficitaire.
Mais admettons que ce genre d’opérations soit rentable. Il n’en reste pas moins qu’une telle opération serait si contreproductive qu’elle signerait la ruine de toute entreprise qui s’y lancerait. En effet, en submergeant le marché de l’or terrestre avec de l’or d’origine extraterrestre, le cours de l’or serait amené à s’effondrer, et ce avant même que la cargaison ne parvienne à destination !
Par conséquent, aucune compagnie d’exploitation minière spatiale ne dépensera des milliards de dollars dans ce genre d’entreprises.
Mais, comme dit Bigard dans le sketch de la chauve-souris enragée… Admettons. Admettons que l’une des plus grandes fortunes de la planète n’ait qu’une envie : retirer toute sa valeur au métal jaune.
La question qui se pose à ce stade est celle du délai de l’opération.
Or comme le précisent S&V :
« Il faut savoir que la planification de Psyché 16 a commencé en 2011, lorsqu’une équipe de scientifiques a commencé à travailler sur un rapport préliminaire qui a fini par atteindre 1 000 pages en 2016. La NASA a ensuite intégré les marines de l’espace dans son programme en 2017, marquant ainsi le début d’une période de recherche et développement de 6 ans qui a duré jusqu’au lancement de Psyché en 2023. A partir de là, la sonde Psyché devrait s’amarrer à l’astéroïde à la fin du mois de juillet 2029, avant de revenir sur Terre vers 2034. La diligence requise pour ces projets pionniers est telle que les recherches qui s’ensuivent prendront probablement 5 années supplémentaires, ce qui nous amènera à 2039 avant que l’exploitation commerciale de Psyché 16 ne devienne une proposition viable. »
En faisant abstraction de l’aberration que représente une telle entreprise sur le plan financier, il est donc impossible que le marché de l’or puisse être submergé de métal d’origine extraterrestre avant les années 2040.
Voilà pourquoi les experts de l’industrie minière ne prévoient pas que l’or extrait des astéroïdes devienne une menace pour l’approvisionnement en or terrestre.
Mais alors…
Quel est le destin de l’or des astéroïdes ?
L’or des astéroïdes finira tôt ou tard par être exploité mais, pour toutes les raisons évoquées plus haut, il sera utilisé en tant que matière première au sein de l’économie spatiale. Tel est actuellement le consensus au sein de l’industrie : les entrepreneurs réfléchissent à la façon dont les ressources spatiales seront utilisées dans l’espace, plutôt qu’à leur rapatriement sur Terre.
Et dans l’espace, la valeur de l’or sera (au moins dans un premier temps) celle de son utilité industrielle.
Par ailleurs, il ne s’agit pas dans ce cadre de la ressource la plus précieuse : les sociétés minières d’astéroïdes mettent l’accent sur la glace, l’eau et l’hélium 3, utilisé dans les réacteurs à fusion. La conquête spatiale ne sera donc pas une conquête de l’or, mais avant tout une conquête de l’eau ! (En témoigne le fait que l’objet premier de la mission OSIRIS-Rex était de trouver non pas de l’or, mais de l’eau et de glace. De la même manière, les start-ups du type TransAstra ont pour objet d’extraire des astéroïdes non pas l’or, mais l’eau et la glace.)
Voilà pourquoi, comme l’indiquent S&V : « les véritables motivations pour l’exploitation minière des astéroïdes résident [non pas dans la perspective de s’accaparer des métaux précieux, mais] dans la quantité de propriété intellectuelle associée, où d’énormes volumes de brevets potentiels (par exemple des applications de l’IA et la récente liste de brevets de la NASA pour des systèmes de raffinage ‘modulaires’ dans l’espace) attirent les capitaux. On estime que la valeur du marché mondial de l’industrie minière des astéroïdes devrait passer de 712 Mds$ en 2017 à quelques 3,87 Mds$ d’ici 2025. »
Conclusion
Lorsque l’exploitation minière des astéroïdes sera commercialement viable, l’eau et la glace seront la priorité, l’or jouant un rôle industriel dans le cadre de l’économie extraterrestre.
Puis, une fois que l’Homme sera devenu une espèce multi-planétaire, il y aura probablement plusieurs cours de l’or : un cours de l’or sur l’économie terrestre, et d’autres cours de l’or dans les économies extraterrestres, en fonction du rapport entre l’offre et la demande au sein de ces économies. (Et il en sera de même pour chaque matière première, y compris pour l’eau. On estime actuellement que 100 tonnes d’eau valent environ 1 Mds$ dans l’espace.)
Cette bifurcation du marché se maintiendra tant qu’il sera long et coûteux de se déplacer dans l’espace. Evidemment, le progrès technique permet de tout imaginer – mais ce sera le problème de nos lointains héritiers.
Pour conclure, il semble très probable que l’exploitation minière des astéroïdes reste sans conséquence sur le cours de l’or pendant de nombreuses décennies, si ce n’est des centaines d’années.
D’ici là, l’Homme aura probablement bien avancé au niveau de l’exploitation minière des eaux profondes. Ceci dit, ici non plus, l’or ne sera pas la priorité, et il n’est de toute façon qu’assez peu présent au fond des océans.
Vous pouvez donc dormir tranquille : il n’y a pas d’inondation en vue sur le marché de l’or.
1 commentaire
Je n’arrive pas à comprendre l’envie d’aller vivre dans l’espace : c’est impossible sans être enfermé dans un scaphandre et cela coûtera toujours une fortune .Il vaut mieux éviter de saloper la terre avec des décharges et des gigafactories. Surtout sortir de la fabrication simultanée de bidonvilles et de quartiers » chics ».