Le retard technologique de l’Europe s’explique aussi par un excès de réglementations.
Comme nous l’avons vu dans notre précédent article, le manque d’épargne de long terme en Europe freine le financement de l’innovation technologique, car il prive les entreprises des capitaux nécessaires pour soutenir les investissements de rupture.
Ce déficit d’épargne de long terme est à rapprocher de l’indice de dépendance numérique (IDN) qui montre que les pays européens accusent un retard sur tous les plans – infrastructures, plateformes, échanges de TIC – avec la Chine, la Corée du Sud et les Etats-Unis.
Pour Cécile Philippe, si l’on veut former des leaders technologiques européens et éviter que l’incapacité de l’UE à financer l’innovation ne la transforme en un nain numérique, la question du financement de l’innovation, et par conséquent celle de l’épargne de long terme, doit être prioritaire.
Les réglementations européennes entravent l’innovation
Parmi les autres causes du retard technologique de l’Europe, le corpus réglementaire qui entrave, lui aussi, l’innovation tient une place prépondérante.
Sans entrer dans les détails, il est tout de même intéressant de citer quelques réglementations mises au point ces dernières années et qui touchent directement les sujets technologiques. Bien souvent, elles visent à protéger les utilisateurs et à promouvoir la concurrence. Mais force est de constater qu’elles introduisent des obligations lourdes qui, finalement, limitent le dynamisme des entreprises. Dans certains cas, elles découragent même l’expérimentation ou le développement de nouvelles technologies, voire l’adoption d’innovations.
Passons donc en revue les RGPD, DSA, DMA et AIA
Le règlement général sur la protection des données (RGPD) impose des exigences strictes en matière de traitement des données personnelles. Si ces objectifs peuvent paraître louables, son application a engendré des défis inattendus qui vont au-delà de la protection des données et impactent la liberté économique, la compétitivité et le progrès technologique au sein de l’UE.
En effet, le cadre réglementaire du RGPD s’est avéré assez restrictif, avec des conséquences importantes pour les activités économiques et l’innovation. Les coûts opérationnels considérables, résultant des exigences strictes du règlement, ont un impact négatif sur les petites et moyennes entreprises (PME), qui ne disposent souvent pas des ressources nécessaires pour remplir efficacement ces obligations.
De plus, les mécanismes d’application, notamment le système de « guichet unique », ont donné lieu à des interprétations divergentes entre les Etats membres, entraînant une application incohérente et une insécurité juridique pour les entreprises.
Surtout, le RGPD a freiné l’innovation, notamment dans les technologies émergentes telles que l’IA et le big data. Ces « technologies » dépendent, en effet, d’énormes quantités de données pour développer, entraîner et optimiser les algorithmes. L’accès à des ensembles de données diversifiés est donc crucial pour leur développement. En restreignant la collecte et la réutilisation des données, le RGPD a entravé le développement de modèles d’IA et d’apprentissage automatique qui s’appuient sur des ensembles de données continus et volumineux, réduisant ainsi la compétitivité de l’UE.
Ajoutons que les limitations imposées par le RGPD aux transferts transfrontaliers de données entravent le cloud computing et les services numériques qui reposent sur des flux de données mondiaux. Les start-ups et les petites entreprises technologiques, qui sont souvent les moteurs de l’innovation, sont les principales « victimes » du RGPD.
Le Digital Services Act (DSA) a pour principaux objectifs de garantir les meilleures conditions possibles à la fourniture de services numériques innovants sur le marché intérieur ; de contribuer à la sécurité en ligne et à la protection des droits fondamentaux ; et de mettre en place une structure de gouvernance solide et durable pour une supervision efficace des prestataires de services intermédiaires. Il s’agit aussi d’harmoniser les législations au niveau de l’UE, chaque Etat membre ayant pris des initiatives réglementaires relatives aux médias sociaux. Enfin, la Commission européenne voulait mettre à jour la directive sur le commerce électronique qui était devenue obsolète.
Dans les faits, le DSA impose des responsabilités en fonction de l’activité des opérateurs et de leur taille. Ainsi ce sont les très grandes plateformes en ligne et les moteurs de recherche qui supportent la plus lourde charge réglementaire qu’on ne détaillera pas ici pour ne pas alourdir le propos.
Il est encore tôt pour faire un premier bilan de la mise en oeuvre du DSA puisqu’il est entré en vigueur le 17 février 2024. Néanmoins, la Commission n’a pas tardé à s’en prendre aux acteurs puisque, dès le mois de juillet 2024, elle estimait que X (ex-Twitter) avait enfreint la réglementation DSA. A la suite de cela, le commissaire européen Breton a interpellé Musk sur X dans le cadre d’une conversation avec Trump.
Beaucoup ont jugé cette intervention comme une menace à la liberté d’expression et une tentative d’ingérence dans la politique américaine. On ne peut nier qu’il s’agissait d’une dangereuse tentative de politisation de la DSA et qu’elle aurait dû être évitée. Même si Breton a quitté la Commission (peut-être a-t-il été poussé dehors à cause de cela), cet incident devrait inciter à rester très vigilant sur les atteintes à la liberté d’expression qui pourraient découler de la mise en oeuvre de la DSA si les responsables de l’UE commençaient à en faire un usage abusif.
Les textes qui pénalisent les entreprises et les habitants de l’UE ne s’arrêtent pas là ; nous verrons cela dans notre prochain article.