L’euphorie boursière est à des sommets historiques : est-ce une bonne chose, une mauvaise chose… peut-on s’attendre à une fin brutale de la bonne humeur boursière… et si oui, quand ?
L’indice « panique/euphorie » de Citi a atteint « des sommets records ».
Autrement dit, l’euphorie du marché touche « des sommets historiques ». L’euphorie actuelle dépasse de loin le délire technologique de 2000… selon les calculs de Citi.
C’est ce que confirme le légendaire investisseur value Jeremy Grantham.
La bulle d’aujourd’hui, dit-il, équivaut à la bulle de la mer du Sud puis à… 1929… et 2000 : le marché haussier qui a pris naissance en mars 2009 sur l’autorisation donnée aux banques de modifier leurs règles comptables et de truquer leurs bilans est finalement devenu une bulle épique à part entière.
Selon Grantham :
« Avec une surévaluation extrême, des hausses de prix explosives […] et un comportement hystérique des investisseurs spéculatifs, je pense que cet événement sera enregistré comme l’une des grandes bulles de l’histoire financière, au même titre que la bulle de la mer du Sud, 1929 et 2000. »
Je rappelle que Grantham n’a pas toujours été baissier pendant le grand marché haussier, comme par exemple l’a été Hussman ; pendant un moment, il a accepté le TINA (« There Is No Alternative ») et le « cette fois c’est différent ».
Erreur de raisonnement
En effet je me souviens d’une note de son fonds, GMO, dans laquelle il expliquait que la forte déviation de la répartition de la valeur ajoutée en faveur des entreprises était peut-être durable et que cela justifiait des multiples historiques de capitalisation par rapport au PIB plus élevé.
Je ne m’étais pas rallié à cette interprétation haussière de Grantham car il commettait selon moi une erreur de raisonnement : la répartition de la valeur ajoutée en faveur du capital et au détriment des salariés ne peut être éternelle, car la contrepartie de ce phénomène, c’est l’endettement croissant des salariés pour maintenir leur niveau de vie – or cet endettement a des limites.
Ces limites forceront à rééquilibrer la balance entre salaires et profits, et donc à remonter la part des salaires et à rééquilibrer la répartition de la valeur ajoutée.
Aujourd’hui, Grantham nous dit :
« Chaque fois que le sentiment du marché atteint des sommets extatiques comme celui d’aujourd’hui, l’effondrement se fait dans des mois qui suivent. »
Pour ma part, je critique :
– d’une part, on ne sait qu’on a atteint un sommet que… lorsque le sommet a été dépassé et qu’on a commencé à chuter. Donc dire qu’on doit baisser parce qu’on est à un sommet de quoi que ce soit n’est jamais un argument !
– d’autre part, si c’est l’esprit de jeu qui a permis de pousser les prix des actifs financiers/billets de loterie à des niveaux historiquement élevés, il est évident que ce qu’il faut analyser, c’est l’esprit de jeu. Pour faire une prévision, il faut avoir des éléments qui disent que l’esprit de jeu va faiblir – or Grantham n’en a pas, il constate simplement qu’il est euphorique, élevé, et qu’un jour cela finira bien par retomber.
En fait l’analyse serrée nous dit que malgré sa culture et son expertise, Grantham ne nous apprend rien, il pense que cela va chuter un jour et c’est tout.
Vive le jeu !
La position de l’économiste John Hussman est plus cohérente. Il dit que nous avons dépassé toutes les normes historiques de valorisations mais que le marché continue de monter grâce au jeu.
Tant que le jeu continue, le marché ne baissera pas. Il ne faut pas l’attaquer. Au lieu de dire qu’un jour cela finira par chuter, Hussman explique qu’il faut trouver des instruments de mesure de l’intensité de l’esprit de jeu.
Ces instruments, il les a construits autour de l’ordre interne du marché et du suivi de sa dynamique.
Quand l’esprit de jeu est puissant, on achète tout et n’importe quoi ; quand l’esprit de jeu faiblit, on chipote, on devient sélectif, nous dit Hussman. L’unanimité du marché disparaît, tout ne monte plus en même temps.
On peut mesurer la force de l’appétit pour le jeu par l’unanimité du marché et son symétrique, les divergences. Il est donc possible d’élaborer des indicateurs qui mesurent les divergences au sein des marchés et de les reporter historiquement pour en tirer des enseignements pour l’avenir.
Voilà qui est bien plus rationnel.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]