** Oh, quel merveilleux été indien…
* Nous ne parlons pas de la météo. Il fait froid et pluvieux, à Londres.
* Nous parlons des marchés financiers.
* L’été dernier, les marchés financiers ont été heurtés de plein fouet par la crise du subprime. Tout à coup, les hedge funds ont fait faillite… les bourses ont vacillé… et les gens se sont mis à faire la queue devant une banque britannique, cherchant désespérément à retirer leur argent. Ils avaient peur de la voir couler — entraînant leurs capitaux avec elle.
* En quelques heures, les autorités financières prirent des mesures. Elles ouvrirent grand les portes, en disant "c’est la tournée du patron" ! La Banque d’Angleterre garantit, dans les faits, tous les dépôts bancaires… et la Banque des Etats-Unis d’Amérique, la Fed, baissa son taux directeur tout en injectant plus de nouvel argent dans le système bancaire qu’à aucun autre moment depuis 2001.
* "Liquidez la main d’oeuvre… liquidez les banques… liquidez le marché boursier…" tel avait été la réponse d’Andrew Mellon au credit crunch du début des années 30. Il pensait qu’un bon coup de balai remettrait les choses en ordre. Mais 75 ans plus tard, la "liquidation" s’est transformée en "liquéfaction". A présent, avec la politique d’open bar pratiquée par les banques centrales, on aurait dit pendant un temps que la fête pourrait se poursuivre encore un peu. Les actions ont rebondi. Le problème était "contenu", selon Henry Paulson, secrétaire au Trésor US.
* Et durant quelque temps, on aurait effectivement dit que l’été caniculaire était terminé. Puis il est revenu. En septembre, les plus grandes sociétés de Wall Street ont commencé à annoncer de mauvais résultats… un milliard en moins ici, deux milliards là… et bientôt, tout cela commençait à faire une vraie somme.
** Bloomberg nous apprenait hier que les pertes de Citigroup — la plus grande banque des Etats-Unis… et celle qui a exploité le plus agressivement la bulle de crédit — pourraient se monter à 13,76 milliards de dollars. D’autres sociétés enregistrent elles aussi de grosses pertes.
Hélas, les modèles financiers ultra-futés qu’elles utilisaient avaient des défauts. Goldman Sachs a déclaré avoir été atteint par un événement "25 sigma" — ou 25 déviations par rapport à la norme… le genre de chose qui n’arrive qu’une seule fois dans la vie de l’univers. Du moins c’est ce que disaient leurs modèles mathématiques.
* Mais qu’avaient-ils en tête ? Ces modèles étaient absurdes… des confections élégantes et sophistiquées basées sur des suppositions qui n’étaient simplement pas vraies. Comme nous l’avons expliqué souvent dans nos lignes, il n’y a aucun moyen de mesurer le véritable "risque" dans le monde réel. On ne sait jamais ce qui va se passer. Et lorsqu’on pense savoir, on ne fait que s’attirer de monumentaux ennuis. Si vous pensez savoir que les actions grimpent toujours, par exemple, vous les achetez à n’importe quel prix — même s’il est exagérément élevé. Résultat : vous créez les conditions d’un krach ; vous créez la chose même dont vous essayiez de vous protéger.
* Il était évident, même pour un mathématicien débutant, qu’on ne peut pas calculer le risque réel… et que les marchés ont des mécanismes de réactions qui tendent à court-circuiter toute espèce de technique de modélisation suivie par le plus grand nombre. Malgré cela, les tordus de Goldman Sachs et d’ailleurs n’ont vu aucun profit dans l’honnêteté intellectuelle. L’argent devait être gagné en jetant de la poudre aux yeux des pigeons avec des formules alambiquées et de nouveaux instruments de trading incompréhensibles. Au lieu de risque réel, ils ont simplement inséré de la volatilité… comme si le prix le plus bas auquel un dérivé pouvait se vendre demain ne pouvait pas être inférieur au prix d’hier — quel que soit le nombre de nouveaux contrats de pacotille entrant sur la place boursière.
* Et là était une nouvelle erreur… consistant à supposer que ces contrats étaient indépendants les uns des autres. Les mathématiciens se dirent qu’ils pouvaient estimer le cours d’un CDO comme s’il était parfaitement isolé du monde réel des paniques boursières… et de l’hystérie des investisseurs. Ils imaginèrent que leurs modèles fonctionneraient normalement… même lorsque les investisseurs étaient en proie à des frayeurs anormales.
* Au lieu de cela, lorsque les ennuis commencèrent, les investisseurs réalisèrent soudain que leurs modèles étaient tout à fait inutiles. Ils se demandèrent ce qu’il y avait vraiment dans les contrats qu’ils possédaient… et ce qu’ils valaient réellement. Les acheteurs se mirent en grève. Ils n’étaient prêts à débourser que 20 $ pour un lot que le vendeur offrait à 100 $. Soudain, les acheteurs et les vendeurs, les prêteurs et les emprunteurs, ne pouvaient plus tomber d’accord. Ils ne savaient plus ce que valaient les choses… et ne voulaient pas l’apprendre par la manière forte. Les marchés du crédit s’étaient bloqués.
** Et à mesure que les grosses sociétés annonçaient de grosses pertes, les grosses têtes se mirent à tomber. Tous les jours, on entend parler d’une nouvelle huile de la finance à qui on a donné quelques millions de dollars et l’ordre d’emballer ses cartons. Warren Spector… Stan O’Neal… Chuck Prince…
* Bien entendu, tout cela n’est que saine distraction. C’est en fait un plaisir de voir que la roue tourne. Tout cela n’aurait pas pu arriver à des gens plus sympathiques. Tout le monde apprécie de voir l’industrie de la finance obtenir ce qu’elle mérite. Le problème, c’est que les problèmes, justement, ne s’arrêtent pas là…